Nous nous partagerons l'exposé de présentation, Alain Grandjean et moi-même. Je replacerai la problématique des transports dans la stratégie générale Énergie-climat ; il vous fera part d'éléments plus pragmatiques.
Quelle est la part des transports dans la problématique du climat ? L'évolution des choses dépend-elle de notre bon vouloir ou sommes-nous soumis à des contraintes externes ? Pour entamer ce cadrage macroscopique, voici quelques éléments à avoir en tête : il faut s'attendre à ce que la récession appartienne au paysage structurel, interdisant de recourir à des mesures gourmandes en capitaux ; la production de pétrole restera contrainte, ce qui ne signifie pas que sa consommation va augmenter en France ; le raffinage continuera, comme par le passé, à donner du diesel en même temps que de l'essence. À cet égard, la prohibition du diesel nous laisserait donc sans solution pour 30 % du pétrole utilisé sur la terre.
Au mois de décembre 2015, l'accord de Paris sur le climat a été salué comme un grand succès diplomatique. J'ai publié à ce sujet une chronique dans Les Échos intitulée de manière taquine : « Victoire ! Tout reste à faire ». Si vous observez les chiffres publiés par le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), vous constaterez que 2 000 milliards de tonnes de CO2 ont été émises dans l'atmosphère depuis 1850. Le pétrole n'est pas seul en cause, puisque ces émissions sont également imputables au charbon, à la déforestation ou au gaz. À l'époque du sommet de Copenhague, certaines associations écologistes prétendaient que le pétrole tue le climat ; en réalité, il y contribue, mais d'autres facteurs agissent aussi.
Le GIEC a mis en relation ces émissions avec l'augmentation de la température planétaire. Compte tenu de l'inertie du système climatique, notamment dans ses compartiments océanique et cryogénique –les calottes polaires–, nous savons déjà qu'une augmentation de 1,2° est acquise pour 2100, à plus ou moins un demi-degré près.
Pour que l'augmentation cumulée ne dépasse pas 2 °d'ici 2100, il faudrait en tout cas que l'émission totale de CO2 ne dépasse pas 3 000 milliards de tonnes depuis 1850. Vu que 2 000 milliards de tonnes de CO2 ont déjà été émises, une simple soustraction vous indique qu'il ne faudra pas dépasser 1 000 milliards de tonnes de CO2 d'émissions supplémentaires d'ici 2050. Or, les émissions précédentes ont eu lieu alors que la planète ne comptait qu'entre un milliard et sept milliards d'habitants, qui ne possédaient majoritairement pas de voiture ou du pouvoir d'achat pour acquérir des billets d'avion à prix cassé. Jusqu'en 2100, la planète portera plutôt entre sept et neuf milliards d'habitants.
Nous devons donc diviser par trois les émissions mondiales d'ici 2050. En France, le volume des émissions devra même être divisé par cinq pour s'approcher d'une moyenne par habitant plus proche de la moyenne mondiale. Pour cela, il faudra frapper ailleurs que dans la production électrique nationale, peu carbonée. Je dois donc vous dire que, dans le débat national sur la transition énergétique (DNTE), on s'est trompé de problème à l'entrée.
Observons maintenant les diverses origines des émissions mondiales de CO2. Un cinquième, ou plus précisément 21 %, provient des centrales à charbon, première source de production d'électricité au monde. Ce volume s'est accru, en quatorze ans, quinze fois plus vite que le photovoltaïque. Il y a peu, la Chine mettait encore en service l'équivalent d'un EPR (European Pressurized Reactor) par semaine en capacité de centrale à charbon. L'explosion de la production d'énergie électrique au charbon est le fait marquant des dernières années. Cumulées, ces centrales à charbon représentent une puissance installée de 1 800 gigawatts, contre seulement 63 gigawatts de capacité nucléaire installée en France.
D'autres centrales électriques fonctionnent quant à elles au gaz et au pétrole, à hauteur de 6 %. La production d'électricité à base d'énergie fossile représente donc 27 % du total de l'énergie électrique produite dans le monde. À la lumière de cette observation, force est de se demander si, dans les transports, le mode de propulsion électrique est toujours une affaire sur le plan climatique. Dans une étude récente, nous avons pu prouver que les émissions dues à un tram électrique, en particules en CO2, peuvent être équivalentes à celle d'une ligne de bus au diesel, à ceci près que les émissions n'ont simplement pas lieu au même endroit.
Si nous poursuivons, nous nous apercevons que 5 % des émissions de CO2 sont imputables aux cimenteries. Le reste de l'industrie, en représentent 10 %, (dont les aciéries, pour 4% ou 5 %) et les chaudières de bâtiment 6 %.
Les transports dans le monde ne sont donc la cause que de 13 % des émissions de CO2. Ils ne constituent donc qu'un sujet parmi d'autres. La part de ces émissions se décompose comme suit : 4 % pour les camions, 4 % pour les automobiles, 2 % pour les bateaux et 2 % pour les avions. Viennent enfin d'autres sources, telles que l'agriculture, pour 20 %, et la déforestation, pour 8 %.
Qu'en est-il en Europe ? Nous observons que les transports sont à l'origine de 20 % des émissions de CO2 sur ce continent, trois quarts des émissions étant imputables aux transports routiers. Encore est-il difficile de savoir, sur le plan statistique, comment affecter les émissions dues aux véhicules utilitaires, qui peuvent être aussi bien considérés comme des véhicules particuliers que comme des véhicules de transports de marchandises : la camionnette du plombier a-t-elle pour première fonction de lui permettre de se déplacer ou de transporter son matériel ? Les utilitaires constituent tout de même 20 % de la consommation totale de carburant dans le pays. La marine marchande et l'aviation ne viennent qu'ensuite dans l'ordre des activités émettrices.
Soulignons qu'en Europe, l'approvisionnement en pétrole est déjà en décrue depuis 2006. Cela est dû à la géologie. Encore faut-il distinguer entre pétrole et pétrole. L'on a coutume de classer sous cette appellation de liquides, des extra-lourds, tels que les sables bitumineux du Canada, aussi bien que le brut (crude), le vrai pétrole ; ceux sont de vrais carburants, mais des condensats de gaz naturel (natural gas condensate, NGL) sont également inclus dans cette catégorie, où l'on retrouve également le gaz liquide, éthane, butane ou propane. La production de pétrole stricto sensu n'augmente plus depuis 2005.
La crise actuelle trouve son origine dans le fait que le prix du pétrole a cessé d'augmenter. De ce fait, les prix de l'immobilier se sont retournés aux États-Unis en 2006. Tout le reste a suivi. Ce n'est pas la crise financière qui a provoqué la crise économique : c'est un ralentissement sensible de la production industrielle dans tous les pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) qui a déclenché la crise économique, qui a généré la crise financière.
Les mêmes causes produisant les mêmes effets, j'entrevois à un horizon de six mois à deux ans un coup de tabac sur les marchés financiers. Car la baisse des prix du pétrole va rendre non rentables certains projets de production, contraignant à due proportion la croissance du produit intérieur brut (PIB). Cela signifie que l'argent sera de moins en moins disponible pour financer des politiques publiques.
J'en viens à la décomposition des produits raffinés. Depuis 1965, la part des produits légers stagne, tandis que la part du fioul et du gaz augmente un peu. En tout état de cause, le diesel constitue un tiers des produits qui sortent des raffineries. S'il ne doit plus être utilisé comme carburant, il continuera à être produit au cours de la distillation de l'essence, laissant ouverte la question de son emploi éventuel. Car le parc mondial de raffinerie ne saurait changer du jour au lendemain, chaque unité installée coûtant quelques milliards d'euros… Les métaux lourds, tel le fioul utilisé dans la marine marchande, représentent eux aussi un tiers du total.
Le carburant qui vous intéresse aujourd'hui, le diesel, représente un tiers du total produit dans le monde par les raffineries. À l'heure où la production de pétrole est orientée à la baisse, il est tout à fait possible de se passer du diesel. Mais la contrepartie en termes de contrainte immédiate sur la mobilité est réelle, car il ne saurait être remplacé rapidement par un autre carburant.
De manière contre-intuitive, le pétrole reste pour sa part peu cher malgré la contrainte à la baisse qui s'exerce sur lui. Car, même si volumes et prix interagissent, à six mois ou un an, il n'existe pas d'élasticité sur le long terme entre les volumes produits et le prix du pétrole. Ils varient de manière erratique, et complètement indépendants l'un de l'autre. C'est pourquoi je n'ai jamais affirmé qu'un pétrole contraint serait plus cher.
De manière caricaturale, on pourrait dire qu'il n'existe que deux régimes de cours du pétrole : l'un où les volumes sont stables tandis que le prix évolue de manière imprévisible, l'autre où le prix est stable tandis que les volumes évoluent de manière erratique. Ne croyons donc pas une seconde qu'un approvisionnement pétrolier se répercute sur un prix perpétuellement croissant. Les faits le démentent.
En revanche, un approvisionnement contraint à la baisse peut avoir pour effet une récession, comme on l'a vu en 2007 et en 2011. Dans notre ouvrage, Le Plein s'il vous plaît !, nous avions défendu l'idée qu'une taxe carbone est le meilleur impôt qui soit, car elle permet de conserver la rente pétrolière chez soi. Sinon, à chaque hausse du pétrole, c'est le producteur qui encaisse la rente. Ainsi, la taxe carbone protège, et non saigne le consommateur. Ce livre avait été envoyé par notre éditeur à tous les députés. En tout cas, nous devrions nous partager le bénéfice de la baisse actuelle du pétrole.
Si nous ne le faisons pas, nos enfants ne nous remercieront pas ! Les projections de prix régulièrement publiées par l'Agence internationale de l'énergie sont souvent démenties par les faits, comme le prouvent celles qui ont été produites entre 2003 et 2014. Je ne m'y fierais donc pas. Pour ce qui est du cours du pétrole, c'est le Fonds monétaire international qui voit juste, en ne faisant de prévisions qu'à douze mois, sans s'aventurer au-delà. Mais je suis sûr en revanche que, si le baril reste à un bas niveau pendant cinq ans, la récession sera forte au niveau mondial. Car le pétrole conditionne l'économie. La variation de la production de pétrole par rapport à la population est un bon indicateur avancé de la variation du produit intérieur brut par habitant.
Passons à l'approvisionnement européen en pétrole depuis 1965. Avant les chocs pétroliers, il venait pour l'essentiel des importations. À partir de 1970, le pétrole de la mer du Nord a commencé de se développer. Il est passé par un maximum en 2000. Ensuite, depuis 2006, l'approvisionnement en pétrole a baissé de 20 % en Europe, sans que cela procède de la mise en oeuvre d'une politique publique. Parallèlement, la production recule dans tous les pays de l'Union européenne, sauf l'Allemagne. Cela est dû au fait qu'on importe de moins en moins de pétrole, que de moins en moins de camions circulent et que la machine économique se grippe. Cela va au demeurant continuer.
J'en viens à la variation du PIB européen depuis cinquante ans. Jusqu'en 1975, elle s'établissait à 5 % ; elle est ensuite descendue à 2 % en moyenne jusqu'en 2007 ; depuis cette date, elle est quasi-nulle. Et je ne parierais pas mon dernier euro d'économie sur le fait que cela va repartir à la hausse ! La dette publique a augmenté, tant en France qu'au Royaume-Uni. Aux États-Unis, elle a même doublé entre 2007 et 2013. Ainsi, avant les chocs pétroliers, le rythme de croissance de l'énergie vous donnait le rythme de croissance de la production industrielle, qui vous donnait le rythme de croissance du PIB. Depuis les chocs pétroliers, la croissance de l'énergie a été moins élevée ; en apparence, une dématérialisation se dessine, ce qui pourrait passer pour une bonne nouvelle si elle n'allait de pair avec une croissance de la dette. À mon sens, une partie de cette dématérialisation est indissociable de la croissance de la dette, car elle n'est ni plus ni moins que de l'inflation d'actifs.
Nous pouvons en dégager quelques règles cardinales pour l'avenir, y compris pour l'avenir du diesel dans les transports. D'abord, il faudra apprendre à faire plus avec moins. Ensuite, il faut s'attendre à ce que le trafic soit stable, voire baisse –il s'agit d'une règle de prudence pour évaluer les projets d'infrastructure. Enfin, l'on peut considérer que les taux longs sont devenus nuls, et qu'il faut donc actualiser à taux nul les prévisions économiques, ce qui n'est pas sans modifier l'ordre de mérite des projets que l'on peut financer.
La technologie ne règlera pas tout, comme cela est démontré historiquement. Au contraire, les usages technologiques se sont plutôt multipliés, plutôt qu'ils ne se sont remplacés. Il faut donc manier l'obligation ou l'interdiction, agir par la réglementation et se souvenir de ce que j'ai écrit dans le livre que je vous citais : la subvention vide les caisses de l'État, tandis que la fiscalité les remplit, car je vois arriver l'apurement de la dette publique sous la forme d'un défaut obligataire sur la dette souveraine. Dans un monde sans inflation, c'est la seule forme d'apurement possible. Il se produira donc tôt ou tard, c'est évident !
Dans un monde sans croissance, il ne faut pas compter sur les seuls ingénieurs pour sauver la situation. Le monde sans croissance n'est pas un monde facile. Au contraire, il convient de faire des choix. Mon cadrage était à dessein un peu appuyé, mais il aurait été le même au sujet de la loi de finances, des subventions aux énergies renouvelables ou de la rénovation des bâtiments.
S'agissant des transports, je crois pouvoir dire qu'il restera des voitures dans le futur. L'étalement urbain ne disparaîtra pas en une semaine. Un tiers des trajets individuels effectués en France aujourd'hui sont des trajets entre domicile et travail. Un magasinier trop heureux d'avoir trouvé un emploi à trente kilomètres de chez lui ne saurait y renoncer au motif qu'il ne doit pas prendre sa voiture.
Dans notre économie, les types de métier sont de plus en plus spécialisés, de sorte que ces derniers deviennent la variable d'ajustement de la rencontre entre offre et demande d'emploi. J'ai eu l'occasion de m'en rendre compte à l'occasion de la réalisation du premier bilan carbone d'une grande surface en périphérie. Les salariés venaient souvent de très loin. Il ne sera donc pas possible de diviser par deux en dix ans les déplacements individuels.
La mesure urgente à prendre est de diminuer la consommation unitaire des véhicules. Cela signifie, vu les impondérables des sciences physiques, que leur volume et leur masse doit baisser. Je peux seulement prendre l'exemple de la deux-chevaux hybride à air comprimé telle qu'en fabrique Peugeot. Il faut aller vers des voitures de 500 kg, atteignant au plus 110 ou 120 kilomètres à l'heure en pointe, pour un moteur de 30 chevaux. Car de telles voitures consomment sans difficulté seulement deux litres aux cent.
Pour encourager leur production, de fortes incitations fiscales et réglementaires sont nécessaires, comme un système de bonusmalus, une vignette ou une prime à la casse, qui soit étroitement corrélée à la variation de la consommation du véhicule acquis par rapport à celle du véhicule mis à la casse.
Enfin, il est nécessaire, pour conduire une politique industrielle intégrer, de protéger dans une certaine mesure le marché. Car nul ne saurait faire des investissements de plusieurs milliards d'euros sans assurance de les rentabiliser. Les règles européennes de libre concurrence devraient pouvoir supporter quelques entorses lorsqu'il s'agit de sauver le climat ou de garantir l'approvisionnement énergétique de l'Europe.
En tout état de cause, il faut aller le plus vite possible vers des véhicules ne consommant que deux litres aux cent. Cette solution vaut non seulement pour le diesel, mais aussi pour tous les autres types de carburant. Elle ouvre la voie à des substitutions de carburant vers du carburant propre, car la substitution portera alors sur un contenu énergétique trois fois moindre.
Il convient également de favoriser des solutions du type du bus périurbain du grand Madrid, que l'on pourrait comparer, par sa taille, à l'Île-de-France. Grâce à ce bus, le taux de transport par les transports en commun est l'un des meilleurs d'Europe, meilleur même qu'aux Pays-Bas. Ces bus effectuent en effet une boucle de ramassage à vingt ou vingt-cinq kilomètres du périphérique, puis amènent d'une traite leurs passagers à la station de métro la plus proche.
De tels bus périurbains pourraient être rapidement mis en place en Île-de-France. Il ne coûte pas si cher de construire un arrêt de bus. Des aménagements des gares de RER seraient cependant nécessaires. Mais ils apporteraient de la mobilité à ceux qui sont chassés de l'usage de la voiture, sans induire de grandes dépenses d'investissement en capital.
Par comparaison, les investissements au titre du Grand Paris s'élèvent à 40 milliards d'euros, qu'il faut multiplier par le chiffre π (3,14). Une règle d'airain veut en effet que tous les grands investissements d'infrastructure coûtent au total ce multiple de l'investissement initialement prévu, comme l'ont montré l'EPR d'Olkiluoto ou Eurotunnel. Or ces investissements du Grand Paris ne permettront à peu près aucun transfert modal. Soit les nouvelles stations de métro seront construites en zone dense, déjà desservies ; soit elles seront construites dans des milieux moins peuplés, dans l'attente de futures constructions… Je puis cependant vous affirmer que, sur le plateau de Saclay, l'habitat diffus n'incite pas à l'utilisation des transports en commun.
Avec cette même somme de 40 milliards d'euros, il serait possible de financer à 80 % l'acquisition par les ménages de voitures ne consommant que deux litres aux cent. Telle serait la solution, plutôt que de se concentrer exclusivement sur le diesel.