Intervention de Alain Grandjean

Réunion du 26 janvier 2016 à 16h30
Mission d'information sur l'offre automobile française dans une approche industrielle, énergétique et fiscale

Alain Grandjean, associé fondateur de Carbone :

Je descendrai dans des considérations plus ciblées sur la mobilité. L'arbitrage entre les particules fines et les émissions de dioxyde de carbone doit être fait de telle manière que l'objectif central de freiner le changement climatique ne conduise pas à détériorer la qualité de l'air inspiré par tous, et vice versa. Le secteur des transports est le deuxième en France pour la consommation d'énergie. Il représente 30 % des émissions de gaz à effet de serre.

La voiture constitue 83 % du volume des transports individuels. Cette part est remarquablement stable depuis vingt-cinq ans. Il ne faut pas s'attendre à que les choses puissent changer très vite, ni à ce que la répartition modale évolue rapidement. Cela vous semble sans doute une évidence, mais peut-être vous rappelez-vous qu'au moment du Grenelle de l'Environnement, beaucoup avaient fondé des espoirs sur le report modal.

Il y a cependant une bonne nouvelle, à savoir que la mobilité par personne se stabilise. Elle stagne en effet depuis l'an 2000. Certains ont cru pouvoir affirmer que le PIB croît avec la mobilité. Ils ont reçu le démenti des faits. Sur les graphiques, les courbes de mobilité évoluent de toute apparence vers une asymptote. À partir d'un certain point, le besoin de mobilité paraît pleinement satisfait.

Le nombre des voitures particulières stagne depuis 2000. La baisse des émissions de gaz à effet de serre observable à la même période n'est donc due qu'à la baisse de la consommation unitaire par véhicule. Ne nions pas d'ailleurs que celle-ci soit liée à la progression des véhicules diesel.

Je voudrais maintenant dessiner quelques scenarii pour le futur. Contrairement à ce que l'on a cru, ou craint, par peur de la décroissance, il sera impossible de faire baisser les émissions de gaz à effet de serre sans faire baisser la consommation d'énergie. Cela étant dit, cette dernière repose sur cinq grandes variables : le nombre de voyageur-kilomètre ; la répartition modale entre les véhicules particuliers, les bus, les trains et les avions ; le type de motorisation, éventuellement hybride ou électrique ; le taux de remplissage des véhicules de transports, amélioré par des mises en réseau comme Blablacar ou par les bus dont mon associé vous a parlé ; l'efficacité énergétique des moteurs employées, exprimée en kilowatts-heure.

En fonction de ces paramètres, quatre scenarii de facteur 4 sont envisageables, c'est-à-dire des scenarii qui permettent d'arriver à une baisse très forte des gaz à effet de serre : soit on décarbone par l'électricité, soit on mise sur une forte sobriété énergétique et une efficacité accrue, soit on adopte l'une ou l'autre de deux hypothèses intermédiaires, l'une prévoyant une diversité plus forte des moyens technologiques. Il me semble en tout cas qu'il faut privilégier une hypothèse de croissance faible.

Comment la part modale de la voiture, qui s'établit aujourd'hui, comme nous l'avons dit, à 83 %, est-elle envisagée par ces scenarii très volontaristes ? Il vaut la peine de constater que, malgré leur ambition, ils se contentent, pour l'un, de n'envisager qu'une quasi-stagnation de cette part, à 82 %, ou bien, pour deux autres, de ne la voir diminuer qu'à 67 % ou 71 %. Nous parions, et nous recommandons de parier, quant à nous sur une stabilité de cette part.

J'en viens à la répartition des types de motorisation dans les véhicules particuliers : moteur électrique, moteur au gaz, moteur à l'hybride rechargeable, moteur à l'essence. Il est bien difficile de dire quelle motorisation l'emportera. Aussi ne faut-il pas privilégier un choix technologique plutôt qu'un autre quand les décisions prises engagent l'argent public.

Quel est d'ailleurs l'impact du véhicule électrique en termes de rejets de dioxyde de carbone ? La question est posée si l'on envisage l'ensemble de son cycle de vie. En centre-ville, il répond en effet au problème des particules fines et du dioxyde d'azote de manière plutôt efficace, hormis pour ce qui est des plaquettes des pneus, auquel le tramway est seul apte à répondre.

Du point de vue du gaz à effet de serre, le véhicule électrique paraît performant en France métropolitaine. Selon des études publiées par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), un véhicule électrique sera responsable de l'émission de neuf tonnes de dioxyde de carbone dans l'atmosphère pour un cycle de vie complet et une distance totale parcourue de 150 000 kilomètres, contre vingt-deux tonnes pour un véhicule classique. Si l'émission de gaz à effet de serre est plus forte pour un véhicule électrique au stade de la production, cela est donc compensé au stade de son usage, puisqu'il fait mieux que la voiture traditionnelle dès qu'il a parcouru 25 000 kilomètres.

C'est cependant une affaire française, s'expliquant par le fait que notre mix électrique est bas carbone. Il en va de même en Norvège, où l'hydroélectricité prédomine. En revanche, l'analyse ne vaudrait pas en Chine ou en Allemagne, car l'électricité y est très fortement carbonée. Dans ces pays, l'usage de la voiture électrique ne serait pas très écologique.

Je termine sur la voiture électrique par deux derniers points. D'abord, contrairement à une idée reçue, la multiplication des voitures électriques ne devrait pas faire naître d'énormes besoins en électricité. Le moteur électrique a en effet un rendement élevé. Il est si efficace qu'il ne faudrait, pour un parc de un million de voitures, que la capacité équivalent au quart de la production d'un réacteur nucléaire. Ensuite, la question de l'appel de puissance se pose, en termes de déploiement d'un réseau de rechargement. Indubitablement, il faudra de la puissance installée pour que les batteries électriques puissent reconstituer leur contenu.

J'en viens aux mesures qu'il faudrait envisager de prendre. Comme l'a dit mon associé, ce serait actuellement le moment de relever la taxe carbone, en profitant de la baisse du baril de brut de 100 dollars à 50 dollars. Oui, partageons-nous la baisse ! Cette baisse correspond, par son ampleur, à une taxe carbone de 100 euros par tonne de dioxyde de carbone. Or l'instrument fiscal est l'un des meilleurs pour déplacer l'offre de voitures vers des véhicules moins gourmands en carburant, comme le montre le parallèle entre le marché américain et le marché européen.

D'autres mesures de moindre ampleur sont envisageables. La baisse de la vitesse limite sur les routes et autoroutes en fait partie. Ce serait une incitation magistrale à la construction de voitures à basse consommation, plus légères et plus rapides. Sur le plan de la sécurité, l'énergie cinétique étant proportionnelle au carré de la vitesse, il serait au demeurant dangereux, dans l'éventualité de collisions, de laisser des voitures légères rouler trop vite, alors que d'autres véhicules plus lourds circulent sur les mêmes voies.

Il serait également envisageable d'accélérer le rajeunissement du parc de voitures particulières, la vignette annuelle de CO2 étant le meilleur outil pour atteindre cet objectif. Une aide à la conversion des véhicules utilitaires pourrait être accordée ; je crois que l'on ne s'en occupe pas assez. Les voitures électriques pourraient aussi être favorisées dans les centres villes, qui concentrent la plupart des problèmes d'asthme. Je pense aussi qu'il faut aider l'usage du vélo et du vélo électrique : en ce domaine, la principale difficulté réside dans le risque d'accident ; ce problème de sécurité freine le développement de ce moyen de locomotion, comme en témoignent les sondages d'opinion. Des pistes cyclables, mais aussi d'autres aménagements, sont à prévoir. Particulièrement polluants, les deux roues jouent également un rôle croissant dans la mobilité intra-urbaine ; les scooters électriques devraient être étudiés. Enfin, il convient de favoriser le bus au biocarburant ; pour la voiture particulière, le gaz ne paraît pas viable, du moins en France.

S'agissant du transport de marchandises, nous devons travailler sur la logistique du dernier kilomètre. Des enseignes comme Carrefour et Monoprix s'équipent déjà. Voilà un axe sur lequel parier dans les dix ans à venir. Il faudrait enfin étudier la possibilité d'ouvrir des autoroutes électriques, qui consisterait à réserver aux camions sur les autoroutes, sur laquelle ils seraient alimentés à l'électricité ; il faudrait cependant évaluer la rentabilité de tels projets. Enfin, la relance du fret ferroviaire mérite d'être mentionnée.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion