Venons-en en effet au volet industriel lié au déploiement de ces véhicules. Il y a des compétences en France pour fabriquer des bus et des camions. Le groupe Iveco a une usine de gros moteurs à gaz. Sur ce segment, les barrières à l'entrée sont telles qu'une délocalisation de la production paraît difficilement envisageable. Les acteurs français sauraient donc rapidement tirer parti des mesures d'aide octroyées dans ce secteur.
Il n'en va pas de même sur le segment des voitures. Pour atteindre le seuil de rentabilité, l'investissement dans une chaîne de production de voitures ne consommant que deux litres aux cent doit pouvoir compter sur la vente de plusieurs centaines de milliers de véhicules par an. Or, le marché français ne représente que deux millions de voitures neufs par an, volume en baisse, car les automobilistes conservent de plus en plus longtemps leur voiture, comme tous leurs autres biens, en période de finances contraintes. Et la situation n'est pas près de changer.
Si vous voulez que Peugeot investisse les quelques milliards d'euros nécessaires dans la construction de véhicules faiblement consommateurs, vous devez donc avoir en tête que ce groupe ne le fera que s'il bénéficie de garanties au sujet de son retour sur investissement, en d'autres termes s'il peut compter sur un marché protégé pour un temps long et pour des volumes importants. Le protectionnisme a mauvaise presse, mais, sur des infrastructures lourdes, le principe de libre concurrence n'est qu'une ânerie sans nom ; elle conduit à perdre du capital, non à améliorer le sort commun.
Dans les domaines qui exigent des investissements très lourds, un oligopole bien régulé est bien préférable. Autrement dit, on encadre la rente de l'acteur privé à un niveau tel que cela reste socialement acceptable. Dans l'industrie lourde des transports –je ne parle certes pas des vélos, mais des trains, des voitures et des avions– la fabrication va de pair avec des besoins capitalistiques au vu desquels les bienfaits de la libre sont une simple vue de l'esprit.
Au niveau européen, les Britanniques font d'ailleurs tout l'inverse de ce qu'ils professent depuis vingt ans à la Commission européenne, puisqu'ils investissent massivement dans la production d'une électricité et de transports à eux. Ce n'est rien d'autre que du jacobinisme. Le maire du Grand Londres, Boris Johnson, joue en outre un rôle central en exerçant son autorité sur l'ensemble du réseau de transport de ce périmètre, quel que soit le mode de locomotion.
Soyons donc intelligemment régulateurs. Je ne veux pas dire par là que l'État devrait s'occuper du sort de chacun, loin de là. Mais il y a des domaines où il faut accepter que la concurrence libre et non faussée ne fasse pas forcément le bonheur des peuples à long terme. Compte tenu des moyens en jeu, la substitution des moyens de transport n'arrivera pas automatiquement par la main invisible.
Quant à la fabrication des véhicules à deux litres, elle va de pair avec une réflexion sur de possibles exceptions à la règle de la libre concurrence. Les préoccupations de sauvegarde de la planète ou d'un moindre approvisionnement énergétique sûr de l'Union européenne en produits carbonés devraient être autorisées à justifier ces exceptions. Mais il y a là, bien sûr, une haie à franchir, pour régler cette question de la politique industrielle intégrée à la politique environnementale.
Nous avons beau mener une bonne politique environnementale, nous ne sommes toujours pas équipés pour faire également la bonne politique industrielle correspondante.