Intervention de Philippe Monloubou

Réunion du 2 février 2016 à 16h00
Commission des affaires économiques

Philippe Monloubou, président du directoire d'électricité Réseau Distribution France, ERDF :

Vos préoccupations sont légitimes dans la période de forte transformation que nous traversons. Elle affecte aussi ERDF, qui doit continuer d'assumer ses fonctions de service public tout en devenant un acteur prépondérant de la transition énergétique sur l'ensemble des territoires.

Je ne me suis encore jamais exprimé devant votre commission, mais je l'avais fait devant la commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la transition énergétique. Sans démagogie, je crois pouvoir dire que les débats au Parlement ont permis de progresser sur des questions essentielles et ont révélé un grand nombre de sujets, tels que le déploiement de Linky, la protection des données ou encore la gouvernance de la distribution. À cet égard, la prochaine réunion de notre conseil de surveillance sera l'occasion d'accueillir un représentant des collectivités concédantes. Je veux vraiment saluer la qualité du travail qui a été accompli avec vous, en particulier avec vos rapporteurs, Mmes Battistel, Bareigts et Buis, ainsi que M. Baupin, sans oublier naturellement le président François Brottes.

Je voudrais d'abord évoquer les profondes mutations qui font évoluer notre métier. La première d'entre elles est l'accélération du déploiement des énergies renouvelables, qui s'observe en France comme ailleurs dans le monde. La loi elle-même fixe les objectifs de réduction du dioxyde de carbone. L'entreprise ERDF raccorde 95 % des installations d'énergie renouvelable ; ce chiffre s'entend en nombre d'installations, non en puissance, car quelques puissants parcs offshore ne sont pas raccordés par ERDF. Chaque année, ce sont non moins de 30 000 installations nouvelles qui sont raccordées par ERDF et dont la production doit être intégrée au réseau.

Le deuxième élément marquant est le rôle accru des territoires dans la mise en oeuvre de la transition énergétique, avec les territoires à énergie positive pour une croissance verte (TEPCV) et avec les expérimentations locales. La loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, mais aussi la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), ont ouvert de nouveaux espaces de responsabilité et d'autonomie. Grand succès français, la conférence de Paris sur le climat (COP21) a consacré le rôle de la société civile dans la transition énergétique ; les acteurs locaux – les élus – et les entreprises devant se structurer pour accompagner cette dynamique.

La digitalisation constitue un troisième point important. La production et la diffusion des données, données ouvertes ou open data et mégadonnées ou big data, révolutionnent l'exploitation même des systèmes électriques ; sans elles, il ne saurait y avoir de transition énergétique, car ce sont elles qui permettent l'intégration des énergies renouvelables au réseau, en France mais aussi dans le reste de l'Europe. La gestion du réseau en temps réel nécessite des données beaucoup plus nombreuses et beaucoup plus souvent mises à jour. Vous l'avez souligné tout à l'heure en mentionnant les smart grids et le compteur communicant Linky, qui jouera un rôle-clé dans la diffusion de données et dans la relation aux clients et aux acteurs de l'efficacité énergétique.

Quatrième et dernier élément, de nouveaux usages apparaissent. Vous avez cité les bornes de recharge des véhicules ; elles ont un impact très important sur le réseau et sur son fonctionnement. Ce mouvement recouvre des enjeux d'investissement, de calibrage, mais aussi de gestion des données – on a parlé parfois d' « ubérisation ». En tout cas, l'implantation de ces bornes pourra se faire de manière intelligente grâce aux données collectées. Ce smart charging permettra leur meilleure intégration au réseau ; la loi prévoit jusqu'à sept millions de points de charge. Il faudrait évoquer aussi les notions de flexibilité et d'effacement. La même évolution s'observe également en Allemagne et au Royaume-Uni.

Aujourd'hui, nous sommes un gestionnaire d'infrastructures de réseaux, un distribution system operator (DSO), comme on dit dans le monde anglophone. Il faut en effet souligner la dimension désormais systémique de l'activité de distribution. Cette dimension intelligente était autrefois concentrée dans le transport d'énergie, mais les distributeurs en sont désormais devenus dépositaires, agissant dans des mailles territoriales nouvelles, qu'il s'agisse des métropoles ou des nouvelles régions. Cette opposition entre simple gestion de réseau et DSO est au coeur de la mutation de notre métier de distributeur.

Nous devons inscrire nos missions dans un cadre contractuel et financier qui garantit à la fois visibilité et stabilité des investissements, tout en remplissant les exigences de qualité que vous connaissez. Nos relations avec les nouveaux acteurs doivent participer de la transition énergétique sans sacrifier ces exigences. Rôle plus nouveau encore, nous assumons une fonction de facilitateur neutre, ou enabler, au service des enjeux du numérique, de la transition énergétique et du développement des territoires.

Je vais maintenant aborder quelques sujets spécifiques.

Les investissements et la qualité représentent un premier aspect concret de la mutation en cours, car elle se traduit par une hausse des besoins d'investissements dans le domaine de la transition énergétique et dans l'amélioration de la qualité de l'énergie acheminée, qu'il convient d'améliorer en permanence. Les investissements contraints, liés aux demandes de raccordement, ont baissé ces dernières années du fait du ralentissement de l'activité économique. Pour autant, l'activité de distribution reste une activité en croissance, avec 300 000 raccordements effectués chaque année. L'activité ne se porte donc pas si mal, même si les chiffres ont pu être plus élevés par le passé. L'équivalent de onze à douze tranches nucléaires a tout de même été installé sur le réseau en puissance délocalisée ; nous sommes loin de la situation d'il y a cinq ou dix ans.

Quant à nos investissements délibérés consacrés à la modernisation des outils et des réseaux, ils augmentent de manière constante depuis 2008, pour un montant cumulé de 400 millions d'euros entre 2008 et 2015, ce qui représente une augmentation très significative. Entre 2014 et 2015, ils ont augmenté de 30 millions d'euros.

Outre ces dépenses d'investissements en capital (capital expenditure ou capex), les dépenses de maintenance (operational expenditures ou opex) ont aussi été considérablement renforcées sur les réseaux, pour mieux résister notamment aux aléas climatiques et développer notre capacité de résilience. Jusqu'à dix ans en arrière, la situation se dégradait, en particulier parce que les affectations étaient insuffisantes sur les réseaux. Depuis lors, nous nous améliorons de manière continue. Notre engagement en faveur de l'amélioration du réseau se traduit par une baisse continue du temps moyen de coupure par habitant, que nous appelons critère B. En 2015, il était de 61 minutes, niveau le plus bas atteint depuis dix ans. Nous intervenons de manière de plus en plus ciblée, car nous identifions plus rapidement les zones du réseau qui présentent des écarts importants. Par exemple, en Bretagne, les dernières tempêtes ont révélé des fragilités chroniques : nous investissons 100 millions d'euros sur cinq ans pour traiter significativement les zones concernées.

En maintenant le bon résultat actuel du critère B sur la durée ainsi que la desserte de zones urbaines denses de type métropole à des niveaux de qualité constatés à l'échelle européenne, nous assurerons notamment la compétitivité de notre territoire. Parallèlement, la modernisation de notre outil de travail doit nous permettre de devenir un vrai gestionnaire de mégadonnées pour faire face aux enjeux de la transition énergétique et aux besoins d'investissement dans les systèmes d'information. Grâce aux mégadonnées, nous pourrons répondre aux demandes des territoires en matière de données précises et régulières qui leur permettront de développer des programmes d'efficacité énergétique de manière ciblée, participant ainsi au mouvement général de la transition énergétique.

S'agissant de l'évolution de la gouvernance, je me félicite d'abord de l'évolution au sein du conseil de surveillance, où les collectivités territoriales seront désormais représentées et pourront partager la réflexion sur les enjeux entrepreneuriaux d'ERDF et sur ses missions fondamentales. Ensuite, le futur comité du système de distribution, pour lequel les décrets sont en cours d'élaboration, verra bientôt le jour. Il pourra développer une vision d'ensemble de l'investissement public en matière de réseaux, qu'il s'agisse de ceux d'ERDF ou de ceux des collectivités concédantes. C'est une bonne chose que cette concrétisation de rapprochements qui avaient déjà lieu de facto, de façon plus ou moins volontariste selon les endroits.

J'en viens au programme Linky. Comme nous nous y étions engagés, le déploiement industriel a commencé le 1er décembre 2015 ; le rythme de pose va progressivement s'accélérer pour atteindre à son pic le nombre de 30 000 compteurs par jour. L'on peut regretter que les vrais défis de ce genre ne soient malheureusement pas plus nombreux, dans les circonstances actuelles, car le projet pèse tout de même 5 milliards d'euros et créera 10 000 emplois d'ici à 2021.

Il a une dimension non seulement économique, mais écologique, puisqu'il constitue l'une des briques élémentaires dans la transition énergétique, en permettant de disposer d'éléments d'information et d'objectivation, mais aussi de créer un nouveau rapport du client à sa consommation d'énergie – j'entends cette notion de client au sens large, en y englobant également des territoires. Il a, enfin, une dimension numérique : au moment où le projet de loi pour une République numérique est en cours d'examen, voilà un projet d'ampleur au niveau national.

Au carrefour d'un grand nombre des enjeux actuels, ce projet, d'un montant total de 5 milliards d'euros, n'est pas sans faire peser une lourde responsabilité sur nos épaules, car nous devons répondre tant aux exigences industrielles qu'aux exigences financières. À ces égards, je peux dire du déploiement qu'il est en ligne.

Il ne saurait y avoir de réseaux intelligents sans Linky, outil majeur de gestion de ces réseaux. Ce programme constitue ainsi l'élément essentiel autour de la gestion énergétique des territoires. Il permettra l'appropriation par les usagers de leur consommation et la meilleure intégration des énergies renouvelables, en offrant également aux clients de nouvelles fonctionnalités. Les relations avec le client s'en trouveront considérablement modernisées. Ce n'est qu'à cette condition que celui-ci pourra devenir ce qu'il est désormais convenu d'appeler un « consomm'acteur ».

Quelques inquiétudes se sont cependant exprimées autour de cet outil de transformation ; nous travaillons à les dissiper. Alors que les compteurs Linky n'ont pas d'autre impact que celui des compteurs électroniques en place aujourd'hui, ces inquiétudes créent la rumeur sur les réseaux sociaux et sont préjudiciables au déploiement des compteurs Linky. Dès qu'on parle de transmission de signaux et d'information, une dimension émotionnelle apparaît immédiatement, comme vous le savez. Nous poursuivons donc notre travail, y compris avec les territoires. Ils doivent prendre leur place dans la mise à disposition de ces éléments. Nous avons besoin de l'implication des élus et des acteurs des territoires sur ce sujet. Il en va de la réussite de la transition énergétique sur les territoires.

J'en arrive à la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte (LTECV) et à ses suites. Comme vous le savez, elle appelle un travail réglementaire très important. Les décrets d'application ont fait l'objet de nombreux efforts au cours des derniers mois.

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