Intervention de Christian Mantéi

Réunion du 3 février 2016 à 9h30
Commission des affaires économiques

Christian Mantéi, directeur général d'Atout France :

J'évoquerai devant vous, avec MM. Patrick Lasserre et Jean-Baptiste Cazaubon qui m'accompagnent, le tourisme, sujet d'importance s'il en est, compte tenu du rythme de croissance du secteur au plan mondial – 4 à 5 % par an depuis une dizaine d'années –, croissance tirée non seulement par la demande mais surtout par l'offre. Cette croissance de l'offre a pour effet d'accroître la concurrence. Elle est par ailleurs un défi pour nos entreprises, lesquelles souffrent moins de la crise que de la course à l'innovation qui les oblige sans cesse à s'adapter et fragilise leur modèle économique.

50 % des innovations dans le domaine du numérique concernent le secteur du tourisme, des voyages et du divertissement, le tourisme représentant plus d'un tiers du e-commerce mondial. Secteur en pointe en matière d'économie collaborative, le tourisme est à l'origine de la nouvelle économie. Il a donc un impact économique considérable mais nécessite de nombreuses et rapides adaptations. J'ai d'ailleurs coutume de dire que, dans le domaine du numérique, on est obsolète avant d'être mature, et les entreprises sont obligées de renouveler leurs équipes techniques tous les quatre ou cinq ans, ce qui n'est pas sans conséquences sur la gestion des ressources humaines.

La France continue d'être bien placée, leader mondial en nombre de visiteurs, mais à la troisième place, voire à la quatrième place, en termes de recettes, puisque nous avons été dépassés en valeur absolue par les Chinois. Pour ce qui concerne en revanche le panier moyen, c'est-à-dire les dépenses par touriste et par séjour, la situation est très contrastée selon les territoires : si, dans les villes, la dépense est une des plus élevées du monde, ce n'est malheureusement pas le cas à la campagne ni sur le littoral où, par rapport à l'Espagne, la dépense reste assez faible.

Compte tenu de cette situation, la distribution sur les grands marchés touristiques émetteurs est au coeur de toutes nos stratégies de développement, car c'est au niveau de la distribution, avec le consommateur, que se coconstruit l'offre de services et que se déterminent les prix. C'est aujourd'hui le consommateur qui fait l'opinion à travers les réseaux sociaux, vers lesquels nous devons continuer d'orienter nos efforts, la presse se contentant de suivre l'opinion. J'ajoute qu'en matière de distribution, il faut aujourd'hui compter avec les géants que sont les OTA – Online Travel Agencies –, qui pèsent très lourd dans l'évolution du produit, la fixation des prix et la promotion des destinations.

Face à ces nouveaux enjeux, la France a su réagir très positivement, comme en témoigne le fait que, selon le World Economic Forum, nous sommes passés en deux ans du septième au deuxième rang mondial en matière de compétitivité touristique, dans un classement fondé notamment sur l'analyse des performances des politiques publiques, ce qui inclut, dans le cas de la France, les politiques de l'État, celles des régions et des villes.

Nos efforts ont porté en particulier sur le classement des hébergements touristiques ; plus globalement, il faut saluer l'engagement de MM. Laurent Fabius et Matthias Fekl, qui sont pour beaucoup dans les bons résultats de notre politique touristique. Quant aux élus, ils sont très présents au sein du Conseil de promotion du tourisme, plaidant en faveur des différents types d'espace – villes, campagne, montagne, littoral – et des outre-mers. À leurs efforts s'ajoutent enfin ceux du secteur privé. Cette synergie est importante car le développement du secteur doit être initié le plus en amont possible, en associant l'ensemble des acteurs, publics et privés.

Les travaux du Conseil de promotion du tourisme ont ainsi abouti à l'annonce par M. Laurent Fabius de quatre-vingts mesures, d'où émerge un « carré magique » constitué par le numérique, la formation, l'accueil et l'investissement, sur lesquels doivent se concentrer l'essentiel de nos efforts.

Atout France est au coeur du dispositif mis en place, avec l'obligation de décliner de manière très opérationnelle les mesures annoncées par le ministre. Nous sommes accompagnés pour cela par le réseau international, en particulier par les ambassades et les consulats que le ministre a su convaincre de s'engager en faveur du tourisme. C'est un atout majeur pour la promotion de la France, car ils nous aident à consolider notre plate-forme d'intelligence économique, grâce à leur connaissance des marchés locaux, et nous assistent également dans l'organisation des opérations de promotion. Le dispositif de promotion s'appuie également sur les autres opérateurs de l'État liés au ministère des affaires étrangères et du développement international, en particulier Business France à qui nous lie une convention, mais également les instituts français et les Alliances françaises.

En parallèle à ce dispositif efficace et bien coordonné, des actions sont menées à l'échelle de chaque territoire, car le tourisme n'est pas jacobin mais girondin, et il n'y aurait pas de croissance au niveau national sans l'addition des croissances territoriales.

Nous sommes très présents aux côtés des élus pour accompagner cette dynamique des territoires – j'ai moi-même accompli dix-huit déplacements en province depuis le mois d'août. Notre rôle est majeur, dans la mesure où la problématique du développement touristique est de plus en plus complexe, combinant des attentes et des ambitions de plus en plus fortes avec des modèles économiques tendus, une baisse des crédits, en particulier en matière de promotion, une concurrence accrue, une intensité capitalistique importante et des impératifs techniques et juridiques de plus en plus contraignants : là où il fallait trois ou quatre ans il y a dix ans pour faire émerger un projet d'hôtel de plus de cent chambres, il faut aujourd'hui entre cinq et six ans. De surcroît, les élus doivent aussi souvent faire face à l'action des associations de citoyens, dont la vigilance contribue à retarder les projets. Atout France a donc pour mission de leur permettre de mieux appréhender la transversalité technique du tourisme, en les aidant d'abord à intégrer les projets touristiques dans les documents d'urbanisme, puis à articuler la concrétisation d'un projet avec sa promotion internationale. C'est essentiel, si l'on veut rassurer les investisseurs.

Développer le tourisme local implique enfin de prendre en compte l'accessibilité d'une destination et son animation, c'est-à-dire l'organisation d'événements ou la mise en place d'actions destinées à la faire vivre, autant d'enjeux qu'il n'est pas toujours facile de synchroniser.

Je voudrais particulièrement insister sur le fait que, pour notre promotion internationale, nous pouvons nous appuyer sur une vingtaine de marques mondiales, c'est-à-dire de renommée mondiale, comme « Paris », « Normandie », « Val de Loire », « Provence », « Mont Blanc », « Alpes », « Bordeaux », « Champagne », « Bretagne »…

Pour reprendre la définition d'un grand patron du secteur du digital, la marque, c'est ce qu'on dit de vous quand vous avez quitté la salle. Ce n'est ni un logo, ni une création marketing mais un ensemble de valeurs immatérielles, fruits, en l'occurrence, de la géographie, de l'histoire et des talents que celle-ci nous a légués. Le désir de France existe parce qu'il y a la Seine, les Pyrénées et tant d'autres lieux, et notre métier consiste à transformer ce désir de France en attachement durable, c'est-à-dire en services et en qualité d'expérience qui créeront l'attachement.

Ces marques mondiales ont sur internet et les réseaux sociaux une résonnance bien supérieure à celle de la marque « France » : un Coréen, par exemple, s'intéressera directement à la Provence, destination en vogue actuellement, plutôt qu'à la France. Il faut donc structurer notre offre numérique en conséquence, sachant que les scores de l'hôtellerie sont supérieurs de 10 à 15 % dans le cas des établissements rattachés à une marque. Ainsi, un hôtel situé dans la Sarthe aura des résultats bien meilleurs s'il attache son nom à la vallée de la Loire, quand bien même ce n'est pas tout à fait exact géographiquement.

En revanche, certaines marques comme « Champagne » sont des marques d'appellation mais pas encore des marques de destination. Pour passer d'un stade à l'autre, il faut multiplier le nombre de lits dans l'hôtellerie haut de gamme et mettre en place les services susceptibles de faire de la région un lieu de séjour exceptionnel. Il en va de même pour Bordeaux, l'exercice consistant à élargir le périmètre géographique de la ville, en intégrant le vignoble, la Gironde, une partie des Landes et Cognac.

L'impact des marques ne se mesure pas uniquement sur les consommateurs mais également sur les investisseurs pour lesquels il est primordial qu'un site, même s'il n'est pas spontanément identifiable, puisse être adossé à une marque.

Les ministres l'ont bien compris et nous ont autorisé à structurer notre communication autour de ces marques. C'est une des clefs de notre attractivité, laquelle ne peut reposer sur une offre indifférenciée qui promeuve tous les territoires sans distinction. Il faut au contraire structurer l'offre autour de ces marques, qui se traduisent ensuite concrètement par les contrats de destination. Ces contrats sont une très bonne formule, qui associe l'État, les collectivités et les entreprises, qui s'engagent collectivement à l'amélioration de leurs performances.

C'est de cette manière que l'on parvient à proposer au consommateur une expérience à la hauteur de ses attentes, expérience qu'il répercutera ensuite sur les réseaux sociaux.

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