Intervention de Christian Mantéi

Réunion du 3 février 2016 à 9h30
Commission des affaires économiques

Christian Mantéi, directeur général d'Atout France :

Beaucoup reprochent à Atout France d'en faire trop, ce qui s'explique par le fait que l'on converge beaucoup vers nous car nous sommes opérationnels, lançant chaque année trois mille actions de promotion qui s'intègrent dans de véritables stratégies pensées pour les différents marchés du tourisme – ski, congrès, culture, tourisme social, et j'en passe. Cela définit un champ de compétences qui me permettra de répondre à certaines de vos questions ; pour les autres, il ne s'agira que d'un avis.

En ce qui concerne la répartition des compétences touristiques entre les différents échelons de collectivités, la loi NOTRe reste en deçà de nos attentes car elle n'a pas réellement fait évoluer la situation. Nous nous inquiétons entre autres que les textes contiennent une forme d'incitation à créer dans chaque territoire des marques qui, en vérité, n'en seront jamais car, pour qu'une marque soit réellement dynamique, elle doit être plus qu'un logo budgétivore et se fonder sur des valeurs et une identité fortes.

Atout France ne peut dès lors qu'encourager les acteurs locaux à faire preuve de pragmatisme. Face à l'évolution du tourisme, qu'il s'agisse des modes de consommation, des aspirations de la clientèle ou de la distribution, nos métiers doivent évoluer très vite et, avant de se demander qui doit faire quoi, il est urgent de s'interroger sur ce qu'il faut faire et sur les savoir-faire qu'exige la compétence tourisme : un comité régional du tourisme (CRT) doit-il être hémiplégique et ne se consacrer qu'à la promotion ou doit-il se voir attribuer des compétences en matière d'organisation de l'offre, d'investissement et d'ingénierie ? Commencer par définir le périmètre d'intervention des organismes liés aux exécutifs régionaux est d'autant plus fondamental que, de mon point de vue, ce sont ces derniers qui auront désormais le plus de poids dans les politiques touristiques publiques. Il ne s'agit guère d'oublier les départements, mais la baisse des crédits publics va inéluctablement conduire, par le biais de mutualisations et de synergies, à une rationalisation plus efficace de l'action.

À l'échelon inférieur, 70 % de la croissance mondiale du tourisme – de l'ordre de 4 à 5 % par an – étant tirés par les villes, y compris sur le littoral, ce sont les agglomérations qui s'avèrent les plus compétentes pour prendre en charge les questions liées à l'accueil, à la communication mais aussi au développement. Renforcer les structures de soutien aux élus à ce niveau ne signifie pas pour autant qu'il faille supprimer les offices du tourisme et les syndicats d'initiative locaux, qui forment un réseau efficace de balisage des micro-territoires.

Pour ce qui concerne les visas, sujet sur lequel s'est beaucoup investi M. Laurent Fabius, les résultats sont là puisque, en Chine, la délivrance de visas en quarante-huit heures s'est traduite depuis un an – en tout cas, jusqu'aux attentats – par une augmentation du nombre de visiteurs dans notre pays. Cette procédure a été étendue à l'Inde, à l'Afrique du Sud et aux pays du Golfe, où les consulats ont désormais mandat de faciliter l'obtention de visas de tourisme, ce qui inclut le tourisme d'affaires. Nous sommes donc, grâce à l'intervention du ministre, beaucoup plus performants. Pour ce qui est des 5 millions d'euros prélevés sur le produit des visas, leur attribution à Atout France nous a été confirmée oralement et nous en attendons notification écrite ; ils devraient nous être versés au fur et à mesure de l'entrée des recettes.

Plusieurs d'entre vous se sont inquiétés au sujet de l'impact des attentats sur le tourisme. Il est très important, en particulier à Paris et en Île-de-France, ainsi que dans les destinations associées – Versailles, la vallée de la Loire, le Mont Saint-Michel, la Champagne – proposées dans un package. La baisse de fréquentation est de l'ordre de 25 à 30 % et affecte essentiellement les prestations haut de gamme, pouvant atteindre jusqu'à 40 % dans l'hôtellerie de luxe. Les prévisions sont plus optimistes et annoncent une reprise pour le mois d'avril, mais je reste prudent. Par ailleurs, toutes les destinations n'ont pas été touchées avec la même ampleur. À titre d'exemple, l'Alsace, très prisée des touristes japonais, dont le nombre en Europe a chuté de 30 à 35 %, a subi d'importantes pertes.

Nous avons pris immédiatement des dispositions. Nous avons reçu une délégation de l'industrie japonaise à qui nous avons fait visiter la Préfecture de police de Paris, afin qu'ils puissent juger par eux-mêmes de l'efficacité de nos services de sécurité et de police. Nos dispositifs ont été salués par M. Kikuma, le vice-président de l'association japonaise des agences de voyage, qui est allé jusqu'à juger nos dispositifs supérieurs à ceux mis en place au Japon. Cette opération a permis la réouverture des lignes de All Nippon Airways (ANA) et de Japan Airlines (JAL) qui avaient été fermées. Je me suis par ailleurs engagé à retourner au Japon très prochainement, sans doute en compagnie de M. David Douillet, vice-président de la région Île-de-France, et qui est un argument de poids pour le Japon… Nous multiplions donc les actions en direction du public japonais et avons élaboré en collaboration avec les professionnels parisiens et japonais un plan d'action commun. Plutôt que de lancer des campagnes de promotion tous azimuts, la réponse d'Atout France à la situation générée par les attentats consiste à activer les bons réseaux d'influence avec des arguments pertinents.

Nous conduisons également des actions en direction du marché chinois, d'autant plus important pour la France qu'il est en pleine croissance, que les Chinois dépensent beaucoup et que leurs demandes sont très diverses, axées aussi bien autour des grands lieux patrimoniaux que sur l'oenotourisme ou l'art de vivre à la française. J'ai effectué la semaine dernière un déplacement en Chine avec les représentants des palaces français, qui sont un excellent vecteur de promotion de l'art de vivre, de la gastronomie et du terroir français. Enfin, à la demande du secrétaire d'État Matthias Fekl, des opérations de communication sont également prévues à destination du marché américain et des marchés européens.

Plus globalement, c'est l'ensemble des marchés touristiques mondiaux qui sont secoués par la crise géopolitique au Proche-Orient, l'Égypte, la Tunisie et la Turquie étant particulièrement affectées. Cette atonie généralisée doit nous faire relativiser les contre-performances françaises et si, en valeur absolue, la fréquentation de notre pays baisse, notre part de marché reste relativement stable.

Une échéance très importante se profile avec l'organisation de l'Euro 2016. Nous affirmons à nos partenaires étrangers que le pays sera prêt, y compris en matière de sécurité. L'événement doit drainer 1,5 million de visiteurs, avec néanmoins un effet d'éviction puisqu'une partie des touristes vont reporter leur séjour au-delà de l'événement, ce qui se traduira au total par un solde négatif de 10 % en termes de fréquentation, ce résultat étant largement compensé par les effets extrêmement positifs pour la promotion de la destination France, effets sur lesquels nous pouvons capitaliser pendant plusieurs années. Cela vaut pour l'ensemble des grands événements sportifs, notamment pour le Tour de France, qui reste un exceptionnel vecteur de promotion de nos régions. C'est pourquoi, pour l'Euro 2016 comme pour le Tour, des conventions ont été signées entre Atout France et les organisateurs.

Pour ce qui concerne la réhabilitation de l'immobilier locatif de loisir et les « lits froids », notamment en montagne, on s'est longtemps contenté de mesurettes et de micro-dispositifs qui n'ont pas toujours fait la preuve de leur efficacité. Nous venons de publier avec la direction générale des entreprises (DGE) une plaquette technique, disponible gratuitement, qui fait un point précis sur les mesures prises pour la réhabilitation de l'immobilier de loisir et les mesures que nous proposons.

Il ne faut pas perdre de vue que la réhabilitation est une problématique complexe. On ne peut en effet détacher la réhabilitation de l'immobilier de la réhabilitation de la station. Il s'agit donc de travailler sur un ensemble, ce qui passe parfois par un repositionnement de la station, souvent nécessaire lorsqu'il s'agit de micro-territoires situés en moyenne altitude et qui, de ce fait, accumulent les difficultés. Il ne vous aura pas échappé non plus que Airbnb est en train de s'implanter dans les villages de montagne pour tenter d'exploiter les « lits froids ». Cette percée de l'économie collaborative va obliger tout le monde, à commencer par les pouvoirs publics, à avancer en matière de réhabilitation.

Puisqu'il en est question, l'entreprise Airbnb incarne cette économie collaborative qui voit se développer la location d'appartements de particulier à particulier et qui comporte une face sombre, celle de l'économie au noir. Paris représente actuellement pour Airbnb le plus important gisement d'offres au monde, avec une croissance de 25 % l'an dernier. Mais l'entreprise est présente partout en France, y compris dans les petites villes, à Arles, par exemple, où l'offre est passée en un an de quatre cents à mille locations.

Le développement de cette offre précède souvent le développement de la fréquentation touristique, puisque le tourisme est une économie de l'offre. Elle crée un appel d'air pour des clientèles nouvelles, en l'occurrence, dans le cas d'Arles et de la Provence, pour la clientèle asiatique. Il ne faut pas oublier, en effet, que la limite au développement de la fréquentation touristique de notre pays, c'est le trop faible volume de l'offre. Nous sommes le seul grand pays touristique à ne pas avoir vu son offre hôtelière se développer mais, au contraire se rétracter, sauf dans les grandes villes, qui attirent les investisseurs.

Sur le reste du territoire le développement du secteur est freiné, non par les taxes et les charges mais par le poids des contraintes réglementaires. À cela s'ajoutent un modèle économique tendu et des marges très faibles mais surtout la question du service : par défaut de formation, vingt-cinq à trente mille emplois ne sont pas pourvus dans l'hôtellerie. Or, pour qu'un exploitant puisse rémunérer ses investisseurs, il doit s'appuyer sur une qualité de service qui garantisse des recettes à la hauteur, ce qui n'est pas toujours le cas.

Plusieurs d'entre vous ont posé la question des saisonniers, de leur logement et de leur fidélisation. M. François Pupponi a évoqué la proposition faite par le Cercle des grandes maisons corses d'un CDI saisonnier. C'est une proposition intéressante pour l'État, qui y gagnera en termes de charges.

Quant à la position de BPIfrance, je rappelle que la banque est vouée à soutenir l'investissement en général, mais que le ministre a souhaité la mise en place d'un fonds d'investissement spécifiquement consacré au tourisme, géré par la Caisse des dépôts et consignations et BPIfrance et doté d'un milliard d'euros.

Atout France a naturellement un rôle à jouer dans le dispositif, et le président de notre conseil d'administration, M. Philippe Faure, souhaite que nous travaillions très rapidement tous ensemble pour faire remonter les projets. Nous sommes attendus pour fournir, à côté de l'expertise financière du banquier d'affaires notre expertise technique sur la qualité et la viabilité des projets en les mettant en perspective dans nos dynamiques touristiques.

Vous m'avez interrogé sur le tourisme social. Il s'agit d'une problématique à la croisée des questions de financement, de réhabilitation de l'immobilier ou de rénovation du patrimoine et de qualité des services – les vacanciers modestes sont en effet des clients comme les autres et qui ont droit à la même qualité de service. Notre équipe Ingénierie et Développement travaille en étroite collaboration avec l'Union nationale des associations de tourisme et de plein air (UNAT) et Mme Michelle Demessine, à qui nous apportons notre expertise et des propositions de solutions, même si le tourisme social n'est pas au coeur de notre mission.

Pour ce qui concerne le budget alloué à la promotion de la France comme destination touristique, il a toujours été structurellement très faible. Pour la première fois depuis quatorze ans, il a augmenté cette année, dans des proportions inédites et dans un contexte où tous les autres budgets sont en baisse. Je ne peux que saluer cet effort, tout comme je salue le fait que nous profitions désormais de la dynamique des réseaux du ministère des affaires étrangères, qui sont autant de moyens supplémentaires. Le fait que le ministre ait obtenu que France.fr soit le nom du site officiel du tourisme en France représente également une avancée considérable.

J'espère que ces moyens s'accroîtront encore dans les années à venir, car la compétition est rude. Compte tenu de l'émergence de nouveaux marchés touristiques, le Quai d'Orsay nous a demandé d'être présents en Asie du Sud-Est, où nous nous appuyons sur les ambassades ; nous allons également nous déployer en Turquie et en Amérique du Sud, avant de nous tourner vers l'Afrique, qui abrite quelques marchés en pleine croissance portés par une clientèle à très hauts revenus.

Atout France travaille depuis longtemps sur le tourisme outre-mer, qu'il s'agisse du développement de l'offre et des services, de l'investissement ou du transport aérien, qui est un enjeu majeur. Les contrats de destination fournissent ici une très bonne réponse car ils permettent de synchroniser investissements, efforts techniques, transport, hébergement et promotion. Nous travaillons en lien étroit avec le ministère des outre-mer, auquel nous lie une convention qui permet la mise en place de schémas de développement, dans le respect des compétences des collectivités, qui incluent, outre-mer, le tourisme et les transports. Le rapport du Conseil de promotion du tourisme contient de nombreuses propositions que nous déclinons et mettons en application.

Pour ce qui concerne les contrats de destination, il est vrai qu'ils sont peu dotés, mais j'anticipe un développement des moyens par les acteurs eux-mêmes, parties prenantes de la dynamique. À Biarritz-Pays Basque, les professionnels m'ont ainsi confié que, grâce au contrat de destination – axé sur le golf –, ils ont accompli en six mois ce qu'ils n'avaient pas pu faire en quinze ans. Les contrats de destination sont donc des outils dynamiques qui permettent de mettre en place une offre plus performante. Si certains sont en retard, c'est en partie parce qu'il s'agit de procédures décentralisées, qu'Atout France ne fait qu'accompagner.

Un mot enfin sur Expedia. Si tout partenariat avec une entreprise privée est à examiner, jusqu'où doit-on aller ? Les propositions que nous font leurs équipes, comme aux régions et aux villes, visent à mutualiser les moyens de promotion, ce qui pose le problème de la mise en concurrence de l'appel d'offre, car faire une campagne avec Expedia revient en effet à dire qu'on lui achète de l'espace. D'autre part, une fois les budgets mutualisés, Expedia risque fort de réclamer aux hôteliers une hausse de sa commission en rétribution de cette augmentation des budgets. Enfin, on doit se garder, en pactisant avec Expedia, de perdre à son profit des leviers de décision en matière de politique touristique. Cette prudence n'exclut pas cependant de les associer à des plans médias ou de les mettre en concurrence sur telle ou telle opération

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