L'armée syrienne a mis en place des batteries sol-air dans les environs d'Alep, ce qui rend les vols de surveillance plus complexes. Les SCALP permettent d'éviter cet inconvénient. Je conclus cette partie consacrée aux opérations au Levant en réitérant l'expression d'un optimisme mesuré en matière militaire et d'un pessimisme mesuré en matière diplomatique.
Je craignais depuis longtemps l'arrivée de Daech en Libye. Aujourd'hui, l'organisation est implantée à Syrte, mais également à Sabratha. À partir de Syrte, elle a pénétré à l'intérieur des terres, s'appuyant tant sur la présence de combattants étrangers – quelque 3 000 – que sur l'allégeance intéressée ou sincère des groupes lassés des confrontations armées entre Tripoli et Tobrouk. Daech descend aujourd'hui vers le Sud, cherchant à atteindre les sites pétroliers, comme en Irak et en Syrie, et donc de payer davantage de combattants sur ce territoire. La situation est préoccupante, mais il existe également des motifs d'espoir. Les initiatives du haut représentant des Nations unies, M. Martin Kobler, semblent davantage couronnées de succès que celles de son prédécesseur, M. Bernardino León : il existe désormais un Premier ministre d'union, M. Fayyez al-Sarraj. Entouré d'un groupe de haut niveau de neuf personnes, il doit étendre son assiette politique et militaire pour constituer un gouvernement d'union nationale avant la fin du mois de janvier. Nous essayons de convaincre l'ensemble des acteurs de soutenir ce gouvernement, reconnu par les Nations Unies – une nette avancée –, qui doit permettre de mettre un terme au chaos et aux trafics dont se nourrit Daech. J'ai défendu ce dispositif et cette stratégie auprès des autorités turques et égyptiennes ; Laurent Fabius est également chargé de le promouvoir. Cette importante mobilisation politique vise à aboutir à un véritable gouvernement qui doit au plus vite s'installer à Tripoli. Nous soutenons toutes les initiatives qui peuvent y contribuer, l'Italie étant au premier rang des pays intéressés. Une fois constitué, ce gouvernement pourra demander à la communauté internationale les moyens de soutien qui lui permettront d'assurer sa sécurité et de combattre Daech, à l'aide de l'ensemble des milices et de l'armée nationale libyenne.
Passons à l'opération Barkhane. Depuis le 1er décembre, peu d'événements sont intervenus sur ce théâtre où restent engagés plus de 3 500 militaires. Globalement, l'armée française a indéniablement pris l'ascendant sur les groupes terroristes, privant ceux-ci d'une part importante de leur liberté d'action. Les terroristes restants se sont réorganisés : ils ne s'opposent plus à nos troupes, évitent le contact, fuient nos zones de déploiement et mènent des opérations ponctuelles. Ainsi, un véhicule blindé a récemment explosé sur une des mines artisanales, blessant quatre de nos hommes ; nos camps de Tessalit, Kidal et Gao ont à plusieurs reprises été la cible de tirs indirects ; vous connaissez également l'attentat de Bamako. Mais ces attaques à distance sont le signe que les groupes terroristes n'ont plus guère que ces modes d'action, globalement peu efficaces et mal coordonnés, et ne sont pas en mesure de s'opposer à notre déploiement militaire.
Toutefois, est en train d'émerger, au Sud du Mali, un regroupement de certaines katibas – le Front du Macina – qui s'en prennent directement à l'armée malienne. En réaction, et à la suite des événements de Bamako, le gouvernement malien a prorogé l'état d'urgence jusqu'au 31 mars. Cette menace demeure à ce stade localisée et ponctuelle. Deuxièmement, dans la nuit du 19 au 20 décembre, nos forces spéciales sont intervenues contre un groupe terroriste, en neutralisant dix membres, et en capturant neuf autres. Il s'agissait d'un groupe qui dépendait du Mouvement arabe de l'Azawad (MAA), un des partenaires des accords d'Alger et de Bamako. En réalité, ce groupe était allié au groupe al-Mourabitoune sur la base de trafics. La porosité est donc grande entre différents mouvements, et c'est à la fin des combats, en identifiant les combattants, qu'on a pu se rendre compte de la situation. Ce cas exemplaire est arrivé dans la zone de Ménaka.
Nous restons présents et vigilants, et continuons à mener notre action, dont les résultats sont positifs. En 2015, la force Barkhane a conduit 150 opérations et découvert une centaine de caches d'armes et seize tonnes de munitions – preuves de la qualité du travail effectué.
Après les accords d'Alger, puis de Bamako, signés en juin dernier entre le gouvernement, la plateforme et la coordination, le processus politique doit désormais avancer. Deux décrets ont été adoptés, portant création de la commission « Désarmement, démobilisation, réintegration » et de la commission « Intégration ». Le dispositif se met progressivement en place. En dehors de l'incident majeur que j'ai évoqué, le gouvernement soutient la création des patrouilles mixtes entre la plateforme, la coordination et l'armée malienne, qui ont commencé à fonctionner – une avancée significative. Il faut désormais que l'European Union Training Mission (EUTM) Mali aide à la mise en oeuvre de ces deux décrets pour que l'armée malienne intègre progressivement les membres des différents groupes de la plateforme et de la coordination qui renoncent à l'action autonome. Je pense pouvoir valider ces éléments à la réunion des ministres de la Défense qui se tiendra début février. Un nouveau représentant spécial du secrétaire général de l'ONU, M. Mahamat Annadif, a récemment pris ses fonctions ; il semble capable d'une action diligente et intelligente.
En ce qui concerne Boko Haram, le Nigeria, le Niger, le Tchad et le Cameroun font face à la dangereuse capacité de résilience de l'organisation. Malgré les opérations des pays frontaliers et l'intensification des opérations locales, la secte résiste toujours dans le Nord du Nigeria et dans la forêt de Sambisa. La difficulté vient du manque de coordination, sur le terrain, entre les membres de la force multinationale mixte composée de bataillons des pays concernés. L'état-major de cette force ne parvient pas encore à s'imposer, mais l'arrivée du nouveau gouvernement au Nigeria permet de lui donner une impulsion nouvelle. Dans ce contexte, l'action de la France consiste à fournir à nos partenaires africains un appui en matière de renseignement et de formation, à travers les moyens de Barkhane. En effet, l'état-major de la force multinationale mixte se trouve à N'Djamena, ce qui permet de multiplier les contacts.
En République centrafricaine, la situation de ces dernières semaines montre des signes encourageants. Le processus électoral a bien eu lieu, dans la mesure où le référendum constitutionnel du 13 décembre, puis le premier tour des élections présidentielle et législatives du 30 décembre se sont bien déroulés. Le deuxième tour aura lieu le 7 février, et les résultats définitifs seront proclamés le 4 mars. Il s'agit d'une avancée considérable puisqu'on attendait l'organisation de ces élections depuis le début de l'opération Sangaris. Plus de 79 % des électeurs se sont exprimés – un chiffre exceptionnel. Le prochain tour des élections opposera deux anciens Premiers ministres, M. Anicet Dologuélé et M. Faustin-Archange Touadera – la surprise du scrutin. Nous sommes à la charnière du processus de transition et en début de sortie de crise définitive. Il appartiendra au président et au parlement élus d'asseoir leur autorité en sécurisant leur force armée. Je demanderai donc à l'Union européenne, à l'occasion de la réunion du Conseil des ministres de la Défense du mois de février, de créer une initiative du type de l'EUTM Mali pour permettre la reconstitution de l'armée centrafricaine. Les nouvelles sont donc positives, même si des incidents ne sont pas exclus. Sangaris a joué son rôle durant toute la période ; nous restons à un haut niveau de présence jusqu'à la fin de l'élection présidentielle, continuant à déployer 900 militaires et une compagnie pour l'occasion. Ensuite, nous poursuivrons le repli d'ores et déjà commencé pour arriver à une présence minimale, comme avant le début des événements.
Sur le territoire national, l'opération Sentinelle se poursuit, conformément au contrat de protection des armées validé par la loi de programmation militaire actualisée, que vous avez votée en juillet dernier. En ce moment, 10 000 hommes assurent la sécurité des Français en complément des forces de gendarmerie et de police. Malgré les inquiétudes que nous avons eues au moment des fêtes de fin d'année et de la COP21, le dispositif a permis d'assurer une sécurité optimale pendant cette période. Le niveau d'engagement de nos armées reste toujours très élevé.
J'ai été heureusement marqué par la manière dont les soldats du 93e régiment d'artillerie de montagne de Varces ont réagi, la semaine dernière, à Valence, à l'intervention d'un personnage qui a voulu les menacer, voire les tuer. Le professionnalisme et le sang-froid dont ils ont fait preuve sont exemplaires. Je suis allé les saluer.
Il faut souligner les insuffisances concernant les conditions de vie des militaires, à plusieurs endroits. En même temps, cet engagement a des conséquences sur l'entraînement et le soutien. J'ai à plusieurs reprises visité les sites et les lieux d'action, notamment en région parisienne. Ce dossier représente une priorité pour 2016. Nous avons fait des efforts importants en matière de logement afin d'assurer un hébergement satisfaisant pour tous nos soldats, le plus près possible des lieux de patrouille, notamment en région parisienne où trois groupements tactiques interarmes (GTIA) ont été organisés, permettant une meilleure cohérence de l'ensemble. L'une de nos principales difficultés réside dans le temps qu'exige la conduite des recrutements décidés à la suite des attentats de janvier 2015 et engagés après l'actualisation de la loi de programmation militaire. Après avoir recruté 7 297 soldats en 2014, l'armée de terre en aura incorporé 11 070 en 2015 et 12 227 en 2016, ce qui lui permettra d'atteindre l'objectif d'une force opérationnelle terrestre (FOT) à 77 000 hommes. La pression restera importante jusqu'à l'été prochain, où les recrues supplémentaires seront formées et opérationnelles ; nous pourrons alors remplir nos engagements de manière plus souple. D'ici là, il ne faut pas baisser notre vigilance.
Je saisis cette occasion pour vous confirmer que notre réflexion sur la nouvelle doctrine d'emploi des forces armées est en voie d'achèvement. Je m'étais engagé à remettre un rapport au Parlement avant la fin du mois de janvier ; ce travail est en cours, complété par celui qui est mené sous l'égide du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) et nous serons au rendez-vous. Le rapport qui vous est destiné fera ensuite l'objet d'un débat. L'enjeu est de préparer le nouveau concept d'emploi des armées sur le territoire national, qui partira de l'analyse des évolutions des menaces pour mettre en valeur les spécificités des apports de l'armée professionnelle dans les opérations relevant de la sécurité sur le territoire national et placées, de ce fait, sous la responsabilité du ministre de l'Intérieur. Il posera les principes et le cadre juridique de l'action des forces armées, en complément de celle des forces de sécurité intérieure. Enfin, il précisera les aptitudes, capacités et modes d'action qu'il convient de développer pour faire face à ces nouvelles situations. Je viendrai présenter ce document devant votre commission.
Malgré les inquiétudes que certains d'entre vous avaient exprimées, la mise en oeuvre des arbitrages de fin de gestion 2015 a permis d'assurer tous les engagements que j'avais pris. La défense a bénéficié d'une ouverture de 2,8 milliards d'euros, qu'il a fallu mobiliser en deux journées pour être au rendez-vous de la loi de programmation militaire. Les surcoûts OPINT et OPEX ont été intégralement couverts, avec une annulation de crédits purement symbolique et marginale.