Intervention de Isabelle Attard

Réunion du 16 janvier 2013 à 11h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaIsabelle Attard :

Un vrai débat exige de savoir aussi procéder à des examens critiques.

Nous tenons naturellement à protéger notre exception culturelle tout en voulant éviter que celle-ci ne serve à cacher un système trop corporatiste.

Nous constatons en effet que les dispositifs mis en place ont abouti à ce que le cinéma dépende étroitement de la télévision, c'est-à-dire d'un nombre très restreint d'acheteurs travaillant pour quelques chaînes. L'obligation de financement couplée à la peur de la prise de risque provoque le surfinancement de films de qualité moyenne et déséquilibre l'économie générale du secteur.

Le modèle doit donc être revu afin de conserver ses qualités tout en corrigeant ses défauts.

C'est pourquoi nous approuvons la suggestion de M. Vincent Maraval de réformer le mode de rémunération des stars du cinéma, selon une limitation du montant du cachet, intégré dans les obligations légales d'investissement des chaînes de télévision, à 400 000 euros par acteur, peut-être davantage pour un réalisateur, assortie d'un intéressement obligatoire aux résultats commerciaux du film.

Nous souhaitons aussi une meilleure répartition du poids du financement du cinéma entre les différents intervenants de la filière, reprenant l'analyse de M. Olivier Alexandre, chercheur en sociologie, selon laquelle « face à la démocratisation d'internet, la logique voudrait que les revendications portent sur l'entrée des acteurs de la net économie dans l'équation par un système d'imposition et d'obligation d'investissement profitable aux industries culturelles qu'elles mettent en péril. »

Il conviendrait aussi que la chronologie des médias soit complètement revue afin de permettre au public d'accéder très rapidement aux films en vidéo à la demande (VOD). Pour que les distributeurs et les exploitants de salles ne soient pas pénalisés par une telle mesure, nous proposons qu'ils possèdent leur propre support de VOD de façon mutualisée et qu'ils se répartissent les recettes correspondantes. La commissaire européenne Mme Androulla Vassiliou a lancé une initiative pour évaluer les avantages d'une éventuelle sortie simultanée des longs métrages d'art et d'essai au cinéma, à la télévision, en VOD et sur internet.

Dans un article édifiant, le journaliste américain David Pogue a montré qu'aucun des dix films les plus téléchargés en 2011 n'était encore disponible légalement en août 2012 aux États-Unis ; un seul l'était en France. L'insuffisance de l'offre légale, imputable à l'impossibilité de rémunérer ainsi la chaîne de création, contraint les internautes à recourir à des copies illégales. Consultez le site jvoulaispaspirater.tumblr.com pour vous en persuader. Les consommateurs sont prêts à payer pour disposer d'une offre de VOD attrayante : les millions d'euros récoltés par megaupload l'ont montré mais cette entreprise douteuse n'a, bien sûr, rien versé aux artistes. Qu'attendent donc les studios de cinéma pour proposer un système simple et efficace, que la technologie autorise déjà ?

Signalons enfin quelques contrevérités concernant le prétendu piratage. On disait qu'il allait tuer le cinéma : jamais les salles n'ont enregistré autant d'entrées ; qu'il allait tuer la production : on craint aujourd'hui une surproduction ; qu'il allait donner l'habitude du tout gratuit : il est maintenant démontré, par la Haute autorité pour la diffusion et la protection des droits sur internet (HADOPI) elle-même, que ceux qui partagent des oeuvres culturelles sur internet ont un budget de dépenses culturelles supérieur à la moyenne de la population ; qu'il allait empêcher les grands succès : les films continuent de battre des records d'audience et de revenus ; enfin qu'il allait décourager le tournage de petits films : des études concordantes montrent que la mise à disposition gratuite constitue le meilleur moyen de sortir un film de l'anonymat et donc de lui générer des recettes. Il faut donc cesser de parler de piratage : remplaçons ce terme par celui de partage non marchand entre citoyens. Le jour où les « majors » cesseront d'engouffrer des millions dans des mesures anti-piratage, cet argent deviendra disponible pour rémunérer les créateurs.

La réflexion sur la modernisation du modèle de financement du cinéma devra se faire parallèlement avec celle de l'audiovisuel public. Comme le dit M. Olivier Bomsel, « le service public doit abandonner la contrainte de l'audience pour devenir un outil d'innovation. » Il doit investir là où les autres ne peuvent pas le faire, par exemple sur les séries.

Les chaînes doivent devenir propriétaires et gestionnaires des droits des films et des séries qu'elles cofinancent, ce que rendent impossible les « décrets Tasca » de 1990 qui visaient à limiter le pouvoir des chaînes de télévision en confiant les droits aux producteurs indépendants. Les télévisions n'achètent donc que des créneaux de diffusion. Leur seul actif réside dans la valorisation instantanée de la diffusion et dans les revenus publicitaires correspondants. Seul Canal Plus détient, par Studio Canal, un catalogue de films. Or, seuls de tels catalogues ont aujourd'hui une valeur dans une économie en cours de recomposition autour de la VOD.

Les écologistes souhaitent donc l'organisation d'un débat, sous l'égide du CNC, sur les évolutions du modèle de financement du cinéma français, non pas pour le remettre en cause mais pour le rendre encore plus vertueux.

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