Justement, toute la question est là, et je vous répète que nous ne passerons à ce format que si nous sommes certains de pouvoir le faire en toute sécurité à l'issue de la phase pilote HA0. Là encore, l'enjeu s'élève à 1,2 milliard d'euros. Comme vous le voyez, ce n'est pas une question de low cost, mais de développement incrémental.
Il m'a été demandé quelle serait la durée de la phase industrielle pilote. Pour nous, cette phase initiale de dix ans correspond à la prise en main de l'équipement et doit être suivie de rendez-vous réguliers. En plus des revues de sûreté décennales déjà prévues par l'ASN, des rendez-vous réguliers doivent être pris avec les différentes parties prenantes afin de suivre les évolutions, de franchir les grandes étapes qui jalonnent le projet – je pense, par exemple, à la construction des alvéoles HA1 et HA2, ou encore à la fermeture des premiers quartiers. Il ne faut donc pas voir la période d'apprentissage comme une période à l'issue de laquelle il ne se passe plus rien : une fois la phase d'exploitation courante entamée, il y aura encore des rendez-vous réguliers de sûreté et de gouvernance avec les différents acteurs concernés.
Une semaine seulement après l'accident, il est difficile de savoir combien de temps il faudra aux experts pour rendre leurs conclusions.
Je réaffirme très solennellement que Cigéo n'a pas vocation à stocker les déchets étrangers. En tout état de cause, la loi française est très claire sur ce point, la question ne se pose donc pas.
Le projet de territoire est au coeur du projet Cigéo. Dès le début, nous avons travaillé avec les deux départements concernés, à savoir la Meuse et la Haute-Marne, et un accompagnement économique a été mis en place depuis plusieurs années, au travers de groupements d'intérêt public. La réalisation du projet se rapproche et se concrétise par la construction de routes, d'un poste électrique, d'une voie de chemin de fer, et des infrastructures d'approvisionnement en eau. Après évaluation de la demande d'autorisation de création et enquête publique, nous en viendrons aux travaux de terrassement puis, en 2021, aux premiers creusements, sous réserve d'avoir obtenu l'autorisation de l'autorité de sûreté. Dès maintenant, ont lieu chaque jour sur le terrain des opérations préalables au dépôt des dossiers, qu'il s'agisse d'archéologie préventive, de forages ou de relevés environnementaux visant à préparer les études d'impact. Tout cela suppose de travailler en concertation avec le territoire. Chacun reste évidemment dans son rôle : il n'appartient pas à l'ANDRA de dicter au territoire les décisions à prendre dans les domaines relevant de ses compétences. En revanche, il est de notre devoir de fournir le plus tôt possible toutes les caractéristiques du projet dont la connaissance est nécessaire au territoire pour se préparer.
Il convient également de travailler avec le territoire afin qu'il tire le meilleur parti possible de la réalisation du projet en matière de développement, d'emploi, de formation, d'attractivité et, plus généralement, de développement. Nous allons, dans les semaines qui viennent, remettre un certain nombre de documents, parmi lesquels se trouve le document de territoire, ayant vocation à projeter dans le temps des éléments relatifs à notre projet, mais également d'identifier, en matière d'emploi ou de développement économique, par exemple, ce que pourrait apporter l'ANDRA et au moyen de quelles actions.
En matière de développement économique, nous avons adopté depuis longtemps une politique d'achat local. Il faut également préparer le territoire aux grandes étapes de construction que seront le terrassement, les travaux de BTP, puis la mise en place de l'équipement nucléaire. Pour les entreprises de mécanique souhaitant entrer dans le secteur nucléaire, les marchés que notre projet devrait ouvrir sont encore lointains. Cela dit, il est possible de mettre en place dès aujourd'hui des synergies avec EDF, grâce aux marchés que procure le grand carénage. De même, en matière d'emploi, nous travaillons, dans le cadre de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) territoriale, afin de pouvoir recruter, le moment venu, suffisamment de conducteurs de chantiers, de personnels du BTP et d'autres spécialités, à la fois pour nous-mêmes et pour nos sous-traitants. De ce point de vue, les documents que nous allons mettre sur la table ne sont pas figés dans le temps : ce sont avant tout des documents de travail, qui permettent d'engager la discussion avec le territoire.
Soit directement, soit par le biais de mises en réserves auprès de la SAFER, l'ANDRA dispose d'environ 3 000 hectares de terrain. Une telle superficie peut paraître disproportionnée par rapport à la surface qui sera finalement utilisée par nos sites. Il y a plusieurs explications à cela. Premièrement, nous avons eu besoin d'acquérir certains terrains afin de procéder à des opérations d'échange avec les agriculteurs. Deuxièmement, certaines de nos acquisitions constituent des réserves dans la perspective des compensations environnementales qui seront mises à notre charge, notamment en raison des défrichements auxquels nous devrons procéder, qui nécessitent que nous possédions de la forêt en quantité suffisante, en termes de surface comme de variété d'essences, pour répondre aux choix qui seront faits en matière de compensation. Une fois toutes les opérations d'échange et de compensation effectuées, nous libérerons les surfaces que nous n'aurons pas utilisées.
En matière de compensation, au-delà des obligations réglementaires – la compensation d'une zone humide, la préservation d'un couloir écologique –, nous avons la conviction qu'il faut avoir une vision à plus long terme, et plus étendue sur le plan territorial. Nous ne devons pas perdre de vue qu'en plus des défrichements réalisés au départ, d'autres auront lieu au cours des 150 ans du stockage. Par ailleurs, certaines entreprises installées autour de notre site de stockage pourraient être intéressées par la possibilité d'accéder aux réserves d'actifs de compensation que nous avons constituées. Il faut donc adopter une vision territoriale collective de la compensation écologique, sur le long terme.
La question des déchets ultimes et du seuil de libération des déchets de très faible activité n'est en rien spécifique à Cigéo, mais constitue néanmoins un sujet important pour la filière et pour l'ANDRA. Si nous possédons dans l'Aube des sites dédiés à la gestion de ces déchets, il faut bien reconnaître que la perspective du démantèlement des centrales risque de poser un problème, car cela va se traduire par l'arrivée massive de millions de mètres cubes de déchets de très faible activité, voire pas du tout contaminés. Aujourd'hui, au regard du droit français et de l'ASN, il n'existe pas de seuil de libération, contrairement à ce qui se fait dans la plupart des autres pays – ce qui donne lieu à un débat acharné entre les partisans d'un seuil de libération et ceux qui sont résolument contre. L'ASN, qui dispose d'une véritable légitimité historique, considère qu'il importe de faire en sorte qu'un déchet provenant d'une zone dénucléarisée ne puisse se retrouver n'importe où : il ne faut pas qu'il fasse sonner le portique d'une décharge classique, comme cela a pu arriver dans les années 1990. Cela dit, il est tout aussi légitime de considérer qu'il est injustifié de déplacer des millions de mètres cubes de gravats inoffensifs pour aller les placer en un lieu sécurisé.
Alors que les positions des uns et des autres étaient assez figées jusqu'à une époque récente, plusieurs commissions viennent d'être mises en place, et des missions menées, afin de réfléchir à ce qui pourrait être fait au sujet des gravats d'une part, de la ferraille recyclée et dépolluée d'autre part. Cette démarche pose plusieurs questions, notamment celle du niveau de traçabilité que l'on souhaite maintenir, et de proportionnalité des solutions à apporter en matière de stockage, par exemple en termes de robustesse. Peut-être trouvera-t-on des solutions pragmatiques dans le cadre actuel, c'est-à-dire en maintenant le principe de l'absence de seuil de libération, à l'issue d'un dialogue entre les producteurs de déchets – EDF, AREVA et CEA – l'ASN et l'ANDRA.
S'il se révèle impossible de trouver de telles solutions, il faudra engager un vrai débat sociétal afin de déterminer quelle est la solution la plus adaptée pour les déchets inoffensifs, mais représentant une masse énorme – soit les laisser sur place en les sécurisant, soit les banaliser, soit les déplacer sur de très longues distances pour les stocker –, en tenant compte des critères écologiques, mais aussi économiques, c'est-à-dire de l'impact des différentes solutions sur les moyens de la collectivité.