Intervention de Jean-Luc Uguen

Réunion du 15 janvier 2013 à 18h00
Délégation aux outre-mer

Jean-Luc Uguen, conseiller maître, responsable du secteur outre-mer à la quatrième chambre de la Cour des comptes :

L'octroi de mer relevant de la fiscalité locale, son contrôle dépend davantage des chambres régionales des comptes d'outre-mer que de la Cour des comptes. Celle-ci a néanmoins appréhendé ce dispositif dans un rapport de juillet 2011, à partir de chiffres remontant à 2009, sur la situation financière des communes des départements d'outre-mer, élaboré par plusieurs juridictions, dont la Cour des comptes sur les plans « cocarde » et sur le fonds de compensation de la TVA (FCTVA), ainsi que par les chambres régionales des comptes sur la fiscalité locale et sur le budget des communes. Actuellement, une formation interne à la Cour des comptes examine la question de la fiscalité des collectivités d'outre-mer, d'où notre approche assez globale des finances publiques ultramarines.

Votre Délégation a déjà procédé à plusieurs auditions sur ce thème. Je vais donc essayer de tracer quelques perspectives en vue de l'échéance de 2014 pour le maintien en vigueur de l'octroi de mer.

Alors que, dans l'hexagone, le rapport entre la fiscalité directe et la fiscalité indirecte s'établit autour de 80 % pour la première contre 20 % pour la seconde, outre-mer ce rapport est à peu près inversé. Ainsi, à la Martinique, la fiscalité directe représente 25% des impôts contre 75% pour la fiscalité indirecte, comprenant l'octroi de mer, la TVA et la taxe spéciale sur les carburants.

C'est notamment pourquoi les communes d'outre-mer disposent de ressources plus abondantes que celles de l'hexagone. Outre cela, la réforme de la dotation globale de fonctionnement (DGF), en 2005, qui a pris en compte, pour la détermination de ses critères d'attribution, la superficie des communes et l'ensemble de leur population, a contribué à accroître considérablement son produit dans certains départements, particulièrement en Guyane.

Mais ces ressources sont aussi plus fragiles car, indexées sur le niveau de la consommation, elles subissent de plein fouet les fluctuations économiques. Ainsi l'année 2009 fut-elle marquée par un renversement de tendance pour la fiscalité indirecte. Afin de faire face à la crise, certaines régions ont baissé les taux d'imposition. Les ressources des communes tirées de l'octroi de mer ont donc considérablement diminué.

L'octroi de mer, mécanisme très ancien, a pour ancêtre le droit de poids institué au XVIIe siècle. Il vise, à la fois, à alimenter le budget des communes et à protéger les productions locales, d'où sa contestation par l'Union européenne.

C'est pourquoi, il faut s'interroger sur son avenir.

L'octroi de mer constitue une source de financement majeure pour les communes ultramarines. Il comprend deux volets : la dotation globale garantie (DGG), et le fonds régional pour le développement de l'emploi (FRDE).

La DGG représente 25 à 35% des ressources de fonctionnement des communes. Elle est répartie selon des critères prenant essentiellement en compte la population, de 36 % à La Réunion jusqu'à 100 % en Guyane, et fait apparaître de grandes disparités : la dotation peut atteindre 63 % des ressources de fonctionnement des plus petites communes car celles-ci, manquant d'approche cadastrale, ne bénéficient d'aucune fiscalité directe ou presque.

Très sensible à la conjoncture, l'octroi de mer a progressé de 10 à 15 % entre 2006 et 2008, puis a subi un recul d'environ 20 % en 2009. Il augmente de nouveau depuis 2011.

Le FRDE, ne représentant que le solde de la répartition de la ressource entre les collectivités, fut nul en 2009 dans trois départements sur quatre. Seule la Guyane en bénéficia mais avec une diminution de 33 % par rapport à 2008. Il est versé, pour 80 %, aux communes au titre de la dotation d'équipement local et, pour 20 %, à la région afin de financer le développement économique.

L'Union européenne conteste l'octroi de mer depuis 1989 en se fondant sur les différentes dispositions du traité instituant la Communauté européenne relatives au libre-échange. C'est pourquoi la loi de 1992, valable pour dix ans, a maintenu l'octroi de mer en se référant à l'article 299 du même traité qui réserve le cas des régions ultrapériphériques souffrant de handicaps économiques. Mais elle a étendu le mécanisme aux produits locaux, tout en permettant aux régions, qui déterminent l'assiette et les taux du prélèvement depuis 1984, de prévoir certaines exonérations, notamment pour les entreprises réalisant un chiffre d'affaires annuel inférieur à 550 000 euros. Je signale au passage qu'au regard du principe d'autonomie des collectivités locales, il peut paraître choquant qu'une collectivité fixe le taux d'un prélèvement dont l'essentiel bénéficie à une autre collectivité.

Enfin, la même loi a institué un octroi de mer régional dont le taux est limité à 2,5%.

Puis une nouvelle décision, du 10 février 2004, de la Commission européenne a provoqué l'adoption de la loi du 2 juillet 2004, également valable pour dix ans. Nous arrivons donc maintenant au terme du processus.

La nouvelle loi a fixé des écarts maxima de taux entre les productions locales et les productions importées. Trois catégories de produits ont ainsi été définies, avec des variations de taux de 10, 20 et 30 points en pourcentage pour chacune d'entre elles. Mais la Commission européenne a indiqué que ces différentiels devaient reposer sur une logique économique et que les exonérations devaient être « nécessaires, proportionnelles et précisément déterminées ».

Tel est le cadre dans lequel se pose maintenant la question de l'avenir de l'octroi de mer.

La décision de la Commission européenne prévoyait aussi, dans son article 4, un rapport d'étape sur l'application du mécanisme, qui fut fourni par la France en 2008 mais qui fut jugé insuffisant. Car l'Union européenne entendait que celui-ci permît d'apprécier les effets réels des différentiels de taxation. La Commission européenne exigeait une évaluation du dispositif pour chaque département d'outre-mer et pour chaque catégorie de production, faute de quoi il faudrait envisager sa suppression.

Existe-t-il donc des formules alternatives à l'octroi de mer ? Le rapport du Sénat de 2009, Les départements d'outre-mer, défi pour la République, chance pour la France, montrait les difficultés de lui substituer la TVA. En premier lieu, parce qu'il n'existe pas d'octroi de mer sur les services, alors que ceux-ci constituent un élément important des économies ultramarines. En deuxième lieu, parce que le produit de l'octroi de mer, d'environ 1,5 milliard d'euros, est supérieur à celui de la TVA, d'environ 900 millions. Si l'on remplaçait donc le premier par la seconde, il faudrait augmenter sensiblement le taux de celle-ci. Sauf bien sûr en Guyane, où il n'y a pas de TVA et où il serait par conséquent difficile de l'instituer brutalement.

Rappelons qu'outre-mer, les taux de TVA sont sans rapport avec ceux en vigueur dans l'hexagone, s'établissant à 8,5 % contre 19,6 %. Ce qui, d'ailleurs, vide de son sens le débat métropolitain sur la nature juridique du FCTVA, subvention ou recette propre, les départements ultramarins percevant, en dépit de taux moindres, l'ensemble de la TVA sur la base forfaitaire de 15,3 %.

C'est notamment pourquoi le rapport du Sénat plaidait en faveur du maintien de l'octroi de mer. Mais ce type d'argument ne saurait bien sûr être retenu par les autorités européennes.

C'est pourquoi, en 2011, la Cour des comptes a cherché d'autres pistes pour 2014. Elle a d'abord estimé utile de disposer d'un outil, national, permettant une évaluation sérieuse de l'incidence du dispositif en vigueur sur les productions locales. Elle a ensuite considéré l'intérêt d'un système lié au développement économique et donc imaginé que l'octroi de mer ne soit plus affecté à la section de fonctionnement des budgets communaux mais à leur section d'investissement. Dans cette hypothèse, les recettes affectées à la première section seraient moindres, mais le niveau d'emprunt resterait le même afin de financer l'ensemble. Il ne s'agirait donc que d'un jeu d'écritures à somme nulle mais permettant d'afficher un discours économique plus acceptable pour les instances européennes.

En mai 2012, un rapport sur « l'évaluation de l'impact de l'octroi de mer dans les départements et régions d'outre-mer », réalisé par le cabinet Lengrand, a été remis au ministère des Outre-mer. Il est toujours étonnant de voir le Gouvernement payer des cabinets d'audit privés quand l'État dispose, en son sein, de suffisamment de corps d'inspection et de contrôle pour accomplir le même travail… La note de synthèse du rapport, qui doit être remis à la Commission européenne, me laisse dubitatif. Car, parmi les scénarios envisagés pour l'évolution du dispositif, le premier évoque « un encadrement plus flexible du différentiel » : je ne crois pas qu'une telle idée, allant à contre-courant, séduise les autorités européennes ; le deuxième imagine « un traitement spécifique pour les petites entreprises » : nous avons vu qu'il existe déjà ; un troisième mentionne la possibilité d' « aménagements relatifs à la liquidation et à la mise en oeuvre de la taxe », simples mesures de procédure, presque marginales, et ne portant pas sur la question de fond qui réside dans la reconduction, ou non, de l'octroi de mer… On ne saurait donc aborder les questions que pose celui-ci sans tenir compte, d'une part, de la situation générale des finances publiques ultramarines, notamment des communes en grande difficulté devant déjà rembourser les prêts « Cocarde », et, d'autre part, des positions arrêtées par la Commission européenne au regard du droit européen.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion