Intervention de Serge Letchimy

Réunion du 17 janvier 2013 à 10h00
Délégation aux outre-mer

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSerge Letchimy, parlementaire en mission auprès du ministre des Outre-mer :

Je suis très heureux de m'exprimer devant vous. J'évoquerai ma méthode de travail ainsi que quelques points de fond.

Le Premier ministre m'a demandé d'étudier l'application de l'article 349 du traité de Lisbonne et de voir comment améliorer sa mise en oeuvre, compte tenu des conditions de développement des régions ultrapériphériques (RUP), françaises notamment, ainsi que de leurs handicaps permanents et de leurs particularités.

Je m'en réjouis d'autant plus que, depuis très longtemps, le statut spécifique de ces régions tend progressivement à s'étioler. Or, l'article 349, du fait des politiques publiques européennes, a encore aggravé l'absence de prise en compte effective par la Commission européenne de ces particularités.

Nous avons obtenu beaucoup de choses au titre de l'article 227 du traité de Rome. Ce fut notamment le cas à l'époque du Président François Mitterrand – qui a exigé la prise en compte de l'ultrapériphéricité –, une déclaration commune annexée au traité de Maastricht ayant donné lieu à une forte implication. Et la situation fut la même, quelques années plus tard, avec l'article 299 du traité d'Amsterdam.

Parallèlement, est née la conférence des régions ultrapériphériques, réunissant l'ensemble de ces régions – portugaises, françaises et espagnoles – pour accroître leur capacité de lobbying et faire en sorte qu'elles constituent un partenaire efficace.

Mais nous sommes aujourd'hui dans une situation très difficile.

Le calendrier de la mission est très contraint puisque je dois rendre mon rapport le 15 février – je pense d'ailleurs que je vais demander au Premier ministre quelques jours de plus. Cela dit, nous avons déjà beaucoup travaillé depuis décembre, avec des collaborateurs de qualité.

Le périmètre retenu comprend la Martinique, la Guadeloupe, la Guyane et La Réunion, mais aussi Mayotte – même si elle n'a pas encore le statut de RUP – ainsi que Saint-Martin.

Nous allons prendre en compte tous les rapports déjà réalisés, notamment le rapport Solves, et ceux des conférences des RUP.

Par ailleurs, je me rendrai à La Réunion, à Mayotte, à Saint-Martin, en Guadeloupe et en Guyane en informant chaque député et sénateur – les réunions seront préparées par les préfets et les représentants économiques et sociaux. Il a aussi été prévu d'écrire à l'ensemble des acteurs économiques et des forces vives des départements et des collectivités d'outre-mer pour leur demander de nous faire part des informations dont ils disposent.

Nous consulterons également les ministères concernés en leur demandant un état des lieux de l'application de l'article 349 et les propositions qu'ils souhaiteraient faire dans ce domaine. Nous ferons de même avec les représentants socio-professionnels.

Il faut que le rapport comporte des propositions concrètes, qui soient soutenues au plus haut niveau, faute de quoi nous n'aurons pas de résultats.

S'agissant de l'octroi de mer – que nous ne traiterons pas dans la mesure où il fait l'objet d'un rapport en cours commandé par le précédent Gouvernement et présenté actuellement à M. Victorin Lurel –, nous attirerons l'attention du Président de la République sur la nécessité de le maintenir et de l'adapter. Cette adaptation doit être efficace et permettre d'atteindre l'objectif d'optimiser le développement économique, en réduisant les prix tout en évitant de déstabiliser les recettes des communes.

En ce qui concerne les programmes d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité (POSEI), dont l'un d'entre eux fait l'objet d'un régime dérogatoire, se pose la question de savoir si nous devons conserver des dispositifs extrêmement réglementés, imposant un délai d'un à trois ans pour modifier leur contenu, et où chaque dérogation nécessite un processus devant la Commission – laquelle, au surplus, ne fait pas, selon moi, preuve de suffisamment de souplesse.

Quant au POSEI agricole, qui est à 80 % consacré à la banane, s'il faut continuer à protéger la production d'une banane de très haute qualité écologique, cela ne doit pas se faire au détriment de la diversification de la politique agricole, qui permet de développer l'agroalimentaire, notamment de substitution. L'objectif est double : augmenter la production locale au service de la consommation locale pour diminuer le flux de l'importation et permettre, par la labellisation, de détecter d'autres productions, comme le sucre ou le café, tel que le café de Guadeloupe.

Il faut aussi faire évoluer les POSEI vers le tourisme pour avoir une approche globale de celui-ci.

Au-delà du fait qu'il convient d'avoir un vrai POSEI pêche, qui couvre les productions locales les plus significatives, nous devons avoir un regard d'ensemble sur la biodiversité et la politique des énergies renouvelables et des richesses marines.

De même, l'Europe et la France devraient travailler à une politique de grand voisinage favorisant le développement économique territorialisé, comme entre La Réunion et l'Afrique du Sud, ou entre la Guyane ou les Antilles et le Brésil. Il faut en permanence faire le lien entre les politiques que l'on demande à l'Europe de mettre en place et les politiques nationales. À cet égard, il convient que l'Europe finance les liaisons maritimes ou terrestres avec ces pays voisins. Nous devons favoriser une croissance partagée et non, seulement, le versement classique de subventions.

L'allocation spécifique pour les RUP est une question majeure car elle permet de compenser les surcoûts liés aux intrants. Or, il est stupide d'importer à 8 000 kilomètres des produits de base alors que ceux-ci se trouvent à 1 000 kilomètres. Il faut donc ouvrir un chantier sur les normes, avec des systèmes d'équivalence, nous permettant d'importer de l'essence à proximité ou des matériaux de base, comme le bois de Guyane, pour pouvoir les transformer dans des zones d'activité que l'on pourrait mettre en place.

Nous sommes de plus en plus confrontés au risque d'une banalisation de l'article 349, au point de n'en tenir véritablement compte dans aucun dispositif européen. Nous devons passer d'une logique de guichet financier à une logique de projets avec des perspectives de croissance, faute de quoi ce sont les plus débrouillards et les plus influents qui exerceront un leadership sur les financements européens.

Je n'entre pas dans le détail technique des nombreuses petites modifications des règlements européens non prises en compte. Je rappelle seulement à cet égard que, sur les cinquante propositions faites dans les rapports des RUP, aucune n'a été retenue par la Commission.

Enfin, nous sommes confrontés à deux enjeux géopolitiques très importants.

Le premier est que les États membres ne sont plus 12 mais 27. Or, le PIB moyen par habitant de certains pays de l'Est est beaucoup plus bas que celui des RUP. De plus, il y a, parallèlement, en France, une tendance à l'harmonisation des politiques régionales. Beaucoup, au niveau national comme européen, sont favorables à un régime prudentiel vis-à-vis de l'outre-mer comparable à celui prévalant pour la défiscalisation : il faut en tenir compte, d'un point de vue diplomatique, pour la mise en place des procédures, de même qu'il faut bien sensibiliser le Parlement. Il est proposé à cet égard de réorganiser les politiques publiques liées aux RUP.

Je rappelle que le groupe interservices situé à Bruxelles n'a pas de position ou d'autorité véritable. Il faut trouver une méthode entre le Parlement, la Commission et la France pour que les négociations tiennent compte en permanence, des RUP. Il convient également d'exiger que, dans toutes les politiques publiques européennes, le statut dérogatoire de l'article 349 soit précisément rappelé et que les RUP ne soient pas la variable d'ajustement des budgets, ce qui commence à être le cas. La diplomatie européenne en faveur des RUP manque de poids.

Le deuxième enjeu tient à la relation de la France avec l'Espagne et le Portugal. Il faut voir quelles négociations ces trois pays pourraient mener pour bien prendre en compte les RUP.

Nous sommes condamnés à changer de modèle économique : c'est, en tout cas, le cas pour la Martinique. Les difficultés financières, dans le contexte de la crise actuelle, empêcheront de disposer des mêmes mécanismes que par le passé. Mais nous ne pouvons changer de modèle si la France n'intègre pas cette idée pour repenser le développement endogène et si nous-mêmes, dans nos régions, ne modifions pas les paramètres à cet effet.

Le taux de croissance, qui est actuellement compris entre 0,4 % pour la Martinique et 3 à 4 % pour la Guyane, n'a pas de lien avec la stabilité de la cohésion sociale, ce qui fait que 50 % des jeunes sont en inactivité et que nous avons un taux de chômage compris entre 22 et 30 %.

Changer de modèle suppose éventuellement de passer par une phase de sacrifice : il faut profiter de la situation de crise, ainsi que du contexte de mutation climatique et écologique, pour le faire – on peut, à cet égard, construire des filières de développement économique. Il convient aussi de changer de modèle dans notre représentation de l'ingénierie du développement et dans celle du financement des économies ultramarines, ce qui posera à terme le problème de la fiscalité.

Il faut donc donner à la France, à l'Europe et à nous-mêmes tous les éléments nécessaires pour bien anticiper et bien réaliser ce changement de paradigme.

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