Nous tenons à vous remercier de nous recevoir aujourd'hui afin d'enrichir le dialogue social, hors des contraintes du débat budgétaire.
L'UNSA-Défense représente essentiellement les personnels du ministère de la défense, ainsi que quelques personnels rattachés au ministère de l'intérieur depuis le transfert de la gendarmerie. Au sein des industries de défense, et notamment à DCNS, l'UNSA dispose de ses propres structures.
Les valeurs essentielles de l'UNSA sont la laïcité, la légalité, le dialogue social, le respect des hommes et des conditions de travail. Si nos actions consistent à défendre et à promouvoir les personnels civils, cela ne signifie aucune défiance entre civils et militaires.
Nous avons bien conscience que cette audience se situe dans un contexte bien particulier : des interventions sont en cours au Mali et en Somalie – et nous exprimons bien évidemment notre solidarité et notre soutien aux collègues militaires concernés ; par ailleurs, un nouveau Livre blanc, ainsi qu'une nouvelle loi de programmation militaire, sont en cours de préparation.
Nous demandons à la Commission de la défense d'être attentive aux personnels civils lors des audiences des différentes autorités ministérielles.
Faut-il rappeler ici que les personnels de la défense, et donc les personnels civils que nous représentons, connaissent des restructurations depuis vingt ans, avec les changements de statuts de GIAT Industries et DCNS, et les réorganisations successives du ministère ? Lors des commissions de restructuration, les agents sont parfois qualifiés de « polyrestructurés ». Certes, le monde bouge, les structures doivent s'adapter et l'UNSA ne le conteste pas ; mais, pour nous, un accompagnement humain de qualité sera toujours indispensable.
Après quatre années de mise en oeuvre de la loi de programmation militaire 2009-2013, loi consécutive au Livre blanc de 2008, le bilan est assez négatif pour l'UNSA-Défense. Comment pouvait-il en être autrement, lorsque l'on sait qu'il n'y a pas eu de réelle politique de conduite du changement, alors que l'on créait les bases de défense et que l'on supprimait 54 000 postes tout en maintenant un nombre très élevé d'interventions opérationnelles ? Comment pouvait-il en être autrement lorsque l'on créait des bases de défense et leurs structures de soutien avec des objectifs presque exclusivement comptables ?
Alors que son organisation était bouleversée, le ministère a cru bon de modifier fortement celle de la gestion des ressources humaines, qui aurait dû être au contraire renforcée, ou à tout le moins conservée, pour permettre une réactivité d'autant plus indispensable que l'on exigeait des personnels une mobilité interne et externe.
Il nous paraît important de souligner que le dispositif territorial est inadapté et trop complexe, en particulier pour ce qui concerne les ressources humaines. Il y a aujourd'hui deux directions des ressources humaines : la direction des ressources humaines du ministère de la défense (DRH-MD) et la division « ressources humaines » de l'état-major des armées (EMA-RH). Comment l'accepter ?
La « civilianisation » est en panne, et trop d'agents souffrent dans un monde construit pour et autour du militaire. Pourtant, le Livre blanc de 2008 avait consacré le rôle des personnels civils dans le domaine du soutien. S'il fallait citer un seul argument, ce pourrait être celui de la stabilité des organisations : comment accepter que des organisations de service soient parfois remises en cause tous les deux à trois ans, au gré du mercato des officiers ?
Le nombre de personnels civils est en constante diminution, ce qui amène à des situations pour le moins surprenantes, notamment le recours massif à des personnels réservistes sur des fonctions de soutien. Des compétences, qu'il sera difficile de retrouver, se sont perdues ; ces pertes sont aggravées en particulier par l'interdiction de recruter des ouvriers d'État depuis 2009. C'est le cas notamment des pyrotechniciens – métier pourtant stratégique du ministère : nous n'en recrutons plus, et les effectifs commencent à manquer.
Le recours aux externalisations s'est souvent fait de façon dogmatique, sans conserver les compétences qui permettraient de vérifier les services faits sur le plan technique et financier : entre « faire » et « faire faire », on a trop souvent tranché sur des bases purement comptables. Ainsi, la gamme commerciale de véhicules, la sécurité et le gardiennage ou encore le domaine « restauration, habillement et loisirs » ont été externalisés. Ces situations se retrouvent dans des domaines plus stratégiques, et entraînent aujourd'hui la création de monopoles – EADS, Renault Trucks… Nous dénonçons donc des externalisations qui ne distinguent pas ce qui relève du soutien commun de ce qui relève du soutien opérationnel.
Concernant la civilianisation, il est important de noter que les personnels civils sont employés non pas uniquement dans le soutien au sein des bases de défense, mais aussi dans des secteurs opérationnels tels que le soutien « munitions », le service industriel de l'aéronautique (SIAé) ou la Direction générale de l'Armement (DGA), dont les méthodes de management n'ont rien à envier au secteur privé.
Sur le plan catégoriel, il nous semble important de relever le profond malaise des personnels. Lors de la précédente législature, la fonction publique avait ouvert plusieurs chantiers concernant les catégories C, puis B, et enfin A. De ces chantiers, seul celui de la catégorie B a été à la hauteur de la négociation, bien qu'il ait laissé au bord du chemin le corps des techniciens supérieurs d'études et de fabrications (TSEF), classé en catégorie C-II, ayant le niveau de la catégorie A. Je reconnais ici plusieurs parlementaires qui nous avaient apporté leur soutien sur ce point, mais l'aboutissement de ce dossier est encore aujourd'hui plus qu'hypothétique et loin des attentes et des promesses. Le chantier de la catégorie A n'a abouti qu'à la création de deux grades fonctionnels attendus par les personnels techniques depuis plus de deux ans et à l'attribution de la prime de fonction et de résultats aux administratifs. Quant aux personnels de catégorie C, pourquoi le huitième échelon des adjoints administratifs est-il un échelon au choix, contrairement à ce qui se passe pour les personnels techniques ?
Une de nos revendications est d'obtenir pour les civils un parcours professionnel leur permettant d'accéder à des postes d'encadrement dans le soutien. Bien sûr, nous entendons que les agents se forment tout au long de leur carrière pour pouvoir occuper ces postes. Mais la notion de parcours professionnel dans notre ministère concerne presque exclusivement les administrateurs civils et les personnels militaires – le directeur des ressources humaines l'a lui-même reconnu. Prétendre, comme on l'entend parfois, que c'est l'absence de mobilité des personnels civils qui freine leur accès aux postes à responsabilité est une contre-vérité : que le ministère mette en place de réels parcours professionnels avec des déroulements de carrière, et les personnels seront mobiles ! Notons aussi que les restructurations, si elles touchent les agents, ont de fortes conséquences pour leurs familles, comme c'est le cas pour nos collègues militaires.
Plus que tous les autres, les agents de la catégorie A sont victimes du refus de civilianiser les postes de soutien. Pourtant, dans leurs fonctions de cadres, ils sont en première ligne dans la mise en oeuvre des réformes, face aux agents qu'ils encadrent, sous la pression de leur hiérarchie qui leur fixe des objectifs de résultats, et dans un contexte budgétaire qui amène leurs rémunérations à baisser. L'UNSA-Défense a des projets pour promouvoir ce corps afin qu'il puisse intégrer un corps interministériel. Nous comptons sur votre Commission pour soutenir ces propositions, que nous pourrons vous détailler par ailleurs.
Enfin, ne devient-il pas urgent de revoir les montants des remboursements des missions et stages qui n'ont pas été réévalués depuis 2003 ? Ils représentent aujourd'hui 60 euros la nuit à Paris, avec le petit-déjeuner, et 15,25 euros le repas. Ces remboursements sont aujourd'hui l'une des causes du refus de certains agents de se former, ou au moins l'une des difficultés qu'ils rencontrent.
Nous ne pouvons que souligner que la politique salariale démotive les agents : les rémunérations – point d'indice et bordereau ouvrier – sont gelées depuis trois ans et ce gel a été confirmé pour 2013, et même 2014 si l'on en croit les propos entendus. Pourtant, la masse salariale du ministère de la défense a augmenté d'un milliard d'euros ! Comment ne pas alors comprendre l'exaspération des personnels civils face à cette iniquité de traitement ? Ils se demandent où est passé ce milliard d'euros.
Nous vous savons attentifs au dialogue social, et cette audition le montre. Nous prenons acte des chantiers lancés par l'actuelle équipe gouvernementale tant au sein de la fonction publique sous l'égide de Mme Lebranchu qu'au ministère de la défense sous l'autorité de M. Le Drian. Mais nous mettons en garde : pour l'UNSA-Défense, parler est une chose, se concerter en est une autre et négocier une troisième. La précédente équipe gouvernementale n'avait jamais caché que, pour elle, le dialogue social se limitait à se réunir et à parler. Le président Hollande a fixé des objectifs ambitieux en termes de dialogue social. L'UNSA en accepte le principe et se veut un acteur constructif. Mais le dialogue social doit aller jusqu'à la négociation, y compris au sein du ministère de la défense qui y est peu habitué. Là encore, votre Commission doit jouer, selon nous, un rôle important de contrôle. Car si in fine le dialogue social se limitait de nouveau à un dialogue de sourds, c'est toute la crédibilité du Gouvernement en la matière qui serait atteinte, et probablement aussi celle des organisations syndicales qui se seraient inscrites dans cette démarche.
Nous avons noté les propos tenus par M. Le Drian dimanche matin : « Il ne faut pas rajouter des réformes aux réformes. Il faut retrouver de la sérénité ». Il faut donc de la stabilité. Que le ministre tienne ses propos est un acte fort. Mais l'UNSA-Défense sait très bien qu'entre les propos ministériels et les actes sur le terrain, il y a souvent une marge. Il appartient donc selon nous à votre Commission de veiller à la mise en application des lignes politiques décidées par le ministre.
Nous vous demandons donc, mesdames, messieurs les parlementaires, d'avoir le souci permanent des conditions réservées aux personnels civils au ministère de la défense.
Concernant le Livre blanc et la future loi de programmation militaire, nous ne reviendrons pas sur les travaux que nous avons fournis à la commission chargée de la rédaction du Livre blanc. Nous souhaitons pouvoir également faire part de nos propositions aux parlementaires chargés de préparer la future loi de programmation. Mais nous ne pouvons que partager les propos tenus récemment par Mme Patricia Adam : les conflits en cours nécessitent de prévoir les financements nécessaires correspondants. Et là encore, citons le ministre : « La défense doit participer à l'effort budgétaire, mais pas plus que les autres ». Or, en 2013, la défense participera à hauteur de 65 % aux réductions d'effectifs des agents de la fonction publique, alors qu'elle ne représente que 12 % des agents.
Enfin, nous insistons sur le fait qu'il devient plus qu'urgent de clarifier la place des personnels civils au sein de l'institution et de s'en tenir à cette position. Nos collègues nous font souvent part de leur sentiment que l'on fait peu de cas de leur travail, par exemple dans les publications internes au ministère. Il s'agit de dresser un état des lieux, et pas forcément de rappeler le rôle qu'ils devraient tenir, car pour cela il suffirait de relire les paragraphes concernés du Livre blanc de 2008, les précédents rapports parlementaires ou encore l'instruction ministérielle de 1999 relative aux personnels civils dans la défense. Pour l'UNSA-Défense, votre Commission a un rôle majeur à jouer. Certes, les rapports établis ces cinq dernières années, notamment par MM. Cazeneuve et Cornut-Gentille, ont établi certains constats. Mais force est de constater que l'exécutif n'en a pas toujours tenu compte : cela est inacceptable.
L'UNSA-Défense vous demande donc solennellement de commander un rapport sur les personnels civils du ministère de la défense – non pas, encore une fois, pour débattre du positionnement relatif des uns et des autres, mais pour dresser un bilan de leur réelle situation, de l'utilisation de leurs compétences, de leurs conditions de travail et souvent de leurs souffrances, afin de leur ouvrir des perspectives. Les personnels civils ne sont pas dogmatiquement opposés aux réformes, mais ils n'y adhèrent que lorsqu'elles ont un sens, que si leur efficacité est évaluée et qu'ils ressentent une certaine considération.
Encore une fois, nous vous remercions de cette initiative de dialogue social au sein de votre commission.