Intervention de Manuel Valls

Séance en hémicycle du 9 février 2016 à 15h00
Protection de la nation — Article 2

Manuel Valls, Premier ministre :

En effet. Il faut le souligner, car on voit bien quelle est la nature de ce nouveau terrorisme.

Je ne veux pas brandir une menace à la légère et instrumentaliser les peurs pour fragiliser nos valeurs. Il n’y a pas de dérive sécuritaire, mais un besoin de sécurité et de protection de la Nation et de nos compatriotes. Nous devons cependant être très lucides face à l’accumulation des actes terroristes – qui ont fait, je le rappelle, près de 40 000 morts dans 93 pays –, face à la stratégie d’exportation de la terreur à laquelle se livrent au moins deux organisations terroristes, par ailleurs en concurrence féroce, mais dont la matrice est la même, et face à l’aggravation des dérives radicales violentes qui frappent l’ensemble des pays européens.

Je tiens à rappeler une fois encore que plus de 2 000 Français ou résidents en France, dont un tiers de femmes, sont désormais concernés par les filières irako-syriennes. De plus en plus, certains sont tentés par la violence absolue que représente l’action kamikaze. Au-delà de cette filière, comme le rappelle souvent le ministre de l’intérieur, des milliers d’autres soutiennent et encouragent la violence politique ou religieuse d’une nouvelle idéologie totalitaire – appelez-la comme vous voulez.

C’est cette réalité qui a profondément changé. Je n’accuse nullement ceux qui s’expriment dans un sens différent de l’oublier, mais je tiens à souligner que c’est là le contexte dans lequel nous nous trouvons, et nos compatriotes l’ont parfaitement compris. Après les attentats de Paris et de Saint-Denis, nous avons tous la responsabilité de nous montrer à la hauteur de la situation – ce qui ne revient pas à mettre fin au débat, à la critique ou aux propositions alternatives.

Parmi l’ensemble des mesures décidées le 16 novembre dernier, le Président de la République a annoncé la création de 8 500 nouveaux emplois pour la justice et les forces de sécurité, afin de renforcer encore le combat contre le terrorisme – qui n’est, certes, pas le seul débat.

Des dispositions législatives nouvelles en matière tant judiciaire qu’administrative sont soumises à l’examen du Parlement. Elles seront indispensables après la fin de l’état d’urgence, que nous prorogeons et dont le Sénat vient de voter, en première lecture, la prorogation – ce texte sera soumis la semaine prochaine à votre Assemblée par le ministre de l’intérieur. Pour la première fois, je vous le rappelais, un dispositif contraignant sera applicable aux personnes de retour en France, sans préjudice des dispositifs de contrôle judiciaire applicables à leur encontre. Des dispositifs ont donc été votés et d’autres viendront encore, car nous devons armer l’État par le droit face au terrorisme.

Cependant, et je reprends ce mot, le serment fait le 16 novembre devant le Congrès du Parlement par le Président de la République repose aussi sur la réaffirmation de ce qui fonde la communauté nationale. Il s’agit, bien sûr, d’une conception de la nation ouverte à l’étranger et accueillante vis-à-vis de ceux qui, en vertu du sol, du sang ou de l’acquisition de la nationalité, choisissent d’adhérer à l’idéal républicain mais, comme l’on dit beaucoup d’entre vous, cette ouverture a prévu, tout au long de l’histoire républicaine et dès les premiers textes constitutionnels, des dispositions réciproques et symétriques : la possibilité de déchoir de la citoyenneté et de la nationalité ceux de nos compatriotes qui rompent avec violence le pacte républicain et national.

Au moment et dans le contexte où nous nous trouvons, tels que les ressentent les Français eux-mêmes, ce dispositif n’est pas une adresse aux terroristes – nous savons bien, du reste, qu’aucun dispositif, serait-ce la peine de mort ou la prison à vie, ne peut dissuader des terroristes : aucun de nous n’a dit cela. C’est, au contraire, un message pour la Nation. Le terme de « symbole », que j’ai employé, n’est pas le bon, je le reconnais. C’est le mot « acte » qui convient. C’est un acte que nous réaffirmons pour nous-mêmes et pour la Nation. C’est là que se situe le coeur du débat. Il ne s’agit pas de nous laisser entraîner dans je ne sais quelle dérive pour stigmatiser je ne sais qui, mais d’affirmer cela avec la plus grande force.

Mesdames et messieurs les députés, l’Assemblée a adopté hier l’article 1er, qui donne un cadre constitutionnel solide à l’état d’urgence, et je vous remercie du large soutien que vous avez majoritairement apporté à cette mesure. Au cours des débats, nous avons une nouvelle fois travaillé ensemble et je veux en remercier particulièrement M. Dominique Raimbourg, président de la commission des lois. Sur de nombreux points, le Gouvernement a entendu le souhait exprimé par de nombreux députés et le texte lui-même a évolué – je pense par exemple à la durée maximale de la prorogation de l’état d’urgence, que nous avons fixée à quatre mois.

Nous proposerons, à la fin de la discussion, après le vote de l’article 2, de délibérer à nouveau, comme nous pouvons le faire, sur l’article 1er. Il s’agira d’abord de mieux « constitutionnaliser » le contrôle parlementaire. Je vous demanderai ensuite, avec l’accord de M. Sébastien Denaja, de revenir sur l’amendement qu’il a défendu hier et, comme nous l’avons vu à propos de la discussion sur un autre amendement relatif à l’état de siège, de ne rien inscrire dans la Constitution à propos du droit de dissolution : comme je l’ai également dit hier soir, restons-en aux questions relatives à cette révision constitutionnelle.

Cet après-midi, nous poursuivons donc la discussion de l’article 2, relatif à la déchéance de nationalité. Beaucoup de choses ont été dites et je souhaite une fois encore éclairer les termes du débat, afin que chacun ait bien présent à l’esprit quels en sont – du point de vue de l’exécutif, bien entendu – les enjeux.

Lorsque le texte sur lequel vous avez discuté a été adopté en Conseil des ministres le 23 décembre, l’article 2 évoquait les conditions dans lesquelles une personne née française et détenant une autre nationalité peut être déchue de la nationalité française lorsqu’elle est condamnée pour un crime constituant une atteinte grave à la vie de la Nation. Il y a eu un débat, dont certains disent qu’il a duré trop longtemps. Or, nous agissons dans le cadre de la Constitution et nous ne pouvons donc pas aller plus vite. Est-ce un débat mesquin ? Certains considèrent en effet que d’autres sujets préoccupent les Français, et c’est incontestable – d’abord la sécurité, bien sûr, et bien évidemment l’emploi, ainsi que la situation dans les campagnes.

Mais le débat que nous avons n’est pas mesquin. Le rôle du constituant est de discuter, de débattre et de confronter des idées de très haute qualité.

Le Gouvernement, et c’est son rôle, n’a pas sans cesse changé de texte : j’ai proposé, au nom du Gouvernement et avec l’accord du Président de la République, une nouvelle rédaction de l’article 2 à la commission des lois, qui l’a adoptée, pour tenir compte des éléments du débat.

Nous avons donc proposé que la loi fixe les règles concernant la nationalité, y compris – j’ai entendu la remarque de M. Goasguen – les conditions dans lesquelles une personne peut être déchue de la nationalité française, ou des droits attachés à celle-ci, lorsqu’elle est condamnée pour un crime ou un délit constituant une atteinte grave à la vie de la Nation. Le texte initial du Gouvernement transmis au Conseil d’État comportait la mention des crimes ; puis, comme proposé par l’opposition, la mention des délits a été rétablie car l’on peut être condamné aussi pour des délits de terrorisme.

Je rappelle que nous procédons déjà à des déchéances de la nationalité de binationaux ayant acquis la nationalité française et condamnés non pour des crimes, mais pour des délits de terrorisme. Nous avons considéré qu’il s’agissait là d’une rupture d’égalité et qu’il y avait une cohérence à présenter la proposition que je viens de rappeler.

Toutefois, le Gouvernement a entendu les arguments invoquant une éventuelle rupture d’égalité entre les plurinationaux et les mononationaux. Cet article 2 a donc évolué, sa rédaction répondant en tout point à un certain nombre d’attentes. Les binationaux ne sont plus mentionnés dans la Constitution et, le Gouvernement ayant affirmé une volonté d’unification et de cohérence : les mêmes délits et les mêmes crimes sont prévus pour tous.

En outre, le juge judiciaire prononcera la sanction dans tous les cas. La peine ne sera pas automatique – elle ne l’est d’ailleurs pas aujourd’hui. Nous avons décidé, moi-même quand j’étais ministre de l’intérieur et Bernard Cazeneuve aujourd’hui, que cette sanction ne serait pas automatique : elle passe par l’avis conforme du Conseil d’État.

Loin de moi l’idée de vouloir opposer dans cette enceinte le juge administratif et le juge judiciaire ! Mais comme c’est le juge pénal qui prononce la peine pour ce qui concerne la « déchéance partielle », ou déchéance d’une partie des droits attachés à la nationalité, nous avons considéré qu’il y avait une cohérence à ce que le juge pénal prenne également la décision, après le prononcé de la peine, pour ce qui concerne des terroristes – car, je veux le rappeler, il s’agit de terroristes ! Nous affirmons donc encore une fois, par cette rédaction, la force du droit.

Nous allons bien sûr poursuivre la discussion, mais je souhaite que les choses soient très claires. J’ai annoncé que le Gouvernement ratifierait la Convention de 1961 qui réduit les cas d’apatridie : c’est un engagement, le conseil des ministres sera bientôt saisi d’un texte.

J’ai également adressé à l’ensemble des membres de la commission des lois de l’Assemblée nationale et de celle du Sénat, aux présidents des assemblées et à l’ensemble des présidents de groupe les deux projets de texte – il ne s’agit pas encore d’un projet de loi définitif car il n’a pas encore été envoyé au Conseil d’État – afin que chacun, sur l’article 1er comme sur l’article 2, dispose de tous les éléments. Ce texte sera amené à évoluer, mais il fallait jouer cartes sur table et que chacun dispose de tous les éléments. Nous avons dit clairement que l’article 2 ne pouvait comporter de mention de l’apatridie puisque nous allons ratifier la Convention de 1961. Voilà les éléments de garantie que le Gouvernement veut donner au Parlement.

Mais, pour être le plus clair possible, après l’intervention du Président de la République le 16 novembre, après les évolutions que je viens de rappeler et compte tenu du contexte dans lequel nous sommes, le Gouvernement considère, au-delà des amendements de suppression, que tout amendement qui réécrirait l’article 2, qui reviendrait sur l’idée de déchéance partielle ou viserait à la mise en place d’une peine d’indignité nationale – sujet que votre ancien président de la commission des lois a traité, avec des conclusions qui me paraissent extrêmement claires – remet en cause l’engagement du Président de la République pris devant le peuple français dans le cadre du Congrès de Versailles. Le Gouvernement appellera à rejeter tous les amendements qui modifient en profondeur cette conception.

Le Gouvernement a fait une proposition visant à recueillir l’accord le plus large de l’Assemblée nationale. En pareil moment, en effet, nous devons tous être à la hauteur de la responsabilité qui nous attend : c’est cet engagement que je suis venu défendre une nouvelle fois devant vous.

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