Intervention de Marisol Touraine

Réunion du 9 février 2016 à 16h30
Commission des affaires sociales

Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales, de la santé et des droits des femmes :

M. Liebgott a parfaitement raison : il faut éviter la phobie. Le sentiment d'inquiétude que plusieurs d'entre vous ont relevé s'explique par le fait que les personnes concernées sont surtout des femmes enceintes. Dans la mesure où le risque est celui d'une malformation du foetus ou du nouveau-né, on comprend que la charge émotionnelle soit très forte.

Nous devons être d'une extrême vigilance, mais nous ne devons pas céder à l'affolement pour autant : en dehors d'un certain nombre de cas identifiés, le virus Zika semble avoir des effets relativement bénins. Le fait qu'il soit asymptomatique dans de nombreux cas ne facilite certes pas les traitements ni les actions à mettre en place, mais cela signifie aussi que les choses se passent assez simplement pour bon nombre de personnes infectées, qui deviennent probablement immunisées contre la maladie.

Notre vigilance est d'autant plus forte que nous ne disposons aujourd'hui ni de vaccin ni de traitement autre que symptomatique – ainsi, une personne infectée qui souffre de maux de tête ou de fièvre prendra les traitements habituels pour combattre ces symptômes. Le laboratoire Sanofi Pasteur a en effet manifesté son intention de se lancer dans la recherche d'un vaccin contre le virus Zika, compte tenu de l'expérience indéniable qu'il a acquise en concevant un vaccin contre la dengue, dont la mise sur le marché a été autorisée dans de très nombreux pays d'Amérique latine et d'Asie. D'autres laboratoires internationaux ont eux aussi fait part de leur volonté de s'engager dans cette voie.

Le processus d'élaboration d'un vaccin, pour autant qu'il soit couronné de succès, est de l'ordre de dix ans. L'expérience que Sanofi Pasteur a acquise face à la dengue lui fait espérer une réduction de ce délai. Mais, soyons clairs, en aucun cas nous ne disposerons d'un vaccin qui nous sera utile dans la crise que nous connaissons actuellement. Notons toutefois que les situations de crise sont l'occasion d'une accélération remarquable des travaux de recherche, notamment grâce aux efforts internationaux, ainsi que nous l'avons constaté lors de l'épidémie de fièvre Ebola.

La mobilisation de l'OMS vise notamment à faire converger les expériences nationales et à mettre en place une coopération internationale, en particulier en matière de recherche. La France joue un rôle très important au sein de l'OMS. D'une part, en tant que pays développé touché par l'épidémie, elle apporte son expérience à d'autres États. D'autre part, en sa qualité de membre du comité exécutif de l'OMS, elle contribue directement aux travaux de l'organisation. Elle a ainsi été rapporteure de toutes les mesures prises dans les départements français d'Amérique.

La recherche est menée non seulement par des laboratoires privés, mais aussi par des organismes publics, notamment par l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) – votre commission recevra demain M. Jean-François Delfraissy, qui est à la pointe de la recherche en la matière – et par l'Institut Pasteur. Or il se trouve que la France et le Brésil ont une tradition de travail commun dans le domaine des vaccins : l'Institut Pasteur jouit d'une grande renommée au Brésil où il travaille depuis longtemps avec un remarquable organisme de recherche, la Fondation-institut Oswaldo Cruz (Fiocruz). Cette coopération va s'intensifier. De plus, nous travaillons à la mise en place d'un partenariat entre les gynécologues-obstétriciens français et brésiliens afin d'échanger sur les pratiques utilisées pour le suivi des femmes touchées par l'épidémie. En juillet dernier, je m'étais rendue au Brésil pour faire le point sur l'ensemble de nos coopérations en matière de santé avec ce pays, qui sont très actives, indépendamment de la lutte contre le virus Zika.

J'y insiste : l'élément central, aujourd'hui, c'est la lutte antivectorielle. Nous avons une expérience en la matière avec les épidémies de dengue et de chikungunya – je m'étais rendue dans les départements français d'Amérique à ce moment-là. Les ARS, les préfectures et les collectivités territoriales font le point ensemble chaque jour sur les actions en cours ou à mener. Nous mobilisons des moyens supplémentaires, notamment humains, en faisant appel à des volontaires du service civique, ainsi que nous l'avions fait avec beaucoup de succès lors de l'épidémie de chikungunya : ils se rendent de maison en maison pour expliquer ce qu'il faut faire. Nous avions également envoyé les pompiers pour appliquer les mesures de lutte antivectorielle dans des endroits difficiles d'accès tels que les toits des hôpitaux, des maisons de retraite et des habitations : dans tous ces lieux, les pompiers s'assuraient qu'il n'y avait pas d'eau stagnante propice à la prolifération des moustiques. Nous enverrons à nouveau des équipes analogues sur le terrain si cela s'avère nécessaire.

La question des biocides et des insecticides se pose, bien évidemment. Face au chikungunya, nous avions utilisé du Malathion de manière dérogatoire pendant six mois en Guyane. Ce produit pouvant avoir des effets secondaires sérieux, nous considérons qu'il ne doit être employé que de manière très parcimonieuse. À ce stade, les autorités compétentes ne nous recommandent pas d'y recourir.

D'autre part, les produits qui étaient efficaces il y a quelques années ne le sont plus aujourd'hui : les moustiques deviennent résistants aux insecticides que nous utilisons, un peu de la même manière que les micro-organismes deviennent résistants aux antibiotiques. Ainsi que je l'ai indiqué tout à l'heure, de nombreux travaux sont en cours pour développer de nouvelles substances et en évaluer l'efficacité, notamment au Centre national d'expertise sur les vecteurs et à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail.

M. Arnaud Richard s'est demandé, au fond, si nous n'aurions pas pu percevoir le risque d'épidémie plus tôt. En réalité, c'est au Brésil que les médecins et les scientifiques ont constaté un nombre inhabituel de malformations congénitales et ont suspecté pour la première fois une relation entre ces malformations et le Zika. Et c'est parce que nous avons reçu ces informations en provenance du Brésil – c'est notamment en cela que la coopération internationale est utile –, que nous avons repris et étudié l'ensemble des données épidémiologiques recueillies en Polynésie et que nous avons identifié a posteriori douze cas de malformations dont nous pensons qu'ils sont liés au Zika. Ce lien n'avait pas été établi à l'époque, douze cas n'étant pas un phénomène d'ampleur suffisante pour donner l'alerte. C'est grâce à ces travaux que nous avons pu nous mobiliser dès le mois de juillet 2015 en demandant aux ARS concernées de préparer des plans d'action pour le cas où l'épidémie arriverait dans les départements français d'Amérique, ce qui s'est produit six mois plus tard.

J'en viens aux recommandations que nous émettons à l'attention des personnes concernées. J'y insiste : nous ne devons affoler ni la population métropolitaine ni celle des départements français d'Amérique – où la situation n'est, certes, pas du tout la même.

En métropole, dix-huit cas ont été identifiés depuis le début du mois de janvier. Cependant, pour qu'il y ait une transmission du virus, il faudrait qu'une série de conditions soit réunies, à savoir qu'un moustique tigre pique une personne malade chez qui le virus est actif et pique ensuite une autre personne. Or, d'une part, la fenêtre pendant laquelle une personne est contagieuse si elle est piquée par un moustique est relativement restreinte : la charge virale disparaît au bout de quelques jours. Autrement dit, si vous êtes allé passer vos vacances à la Martinique il y a un an, vous ne représentez aucun risque pour vos voisins… Qui plus est, en raison de la saison hivernale, il n'y pas en ce moment sur le territoire métropolitain de moustiques susceptibles de propager l'épidémie.

Compte tenu des données dont nous disposons actuellement, je ne suis pas en mesure de faire le moindre pronostic. Je note seulement que, lors de l'épisode majeur de chikungunya que nous avons connu dans les départements français d'Amérique, il n'y a pas eu d'épidémie en métropole, en dépit de quelques cas sur le territoire métropolitain et de la présence de moustiques à ce moment-là. Cela ne veut pas dire qu'il ne peut pas y avoir d'épidémie de Zika en métropole, mais, encore une fois, il faudrait que toute une série de conditions soient réunies. C'est précisément cette chaîne de contamination que nous cherchons à briser dans les départements français d'Amérique, tout en apportant une protection aux personnes qui y vivent, en particulier aux femmes enceintes.

Monsieur Serville, nous n'interdisons aucun voyage dans les départements français d'Amérique ; nous n'en aurions d'ailleurs pas la possibilité. Nous émettons simplement des recommandations de précaution, comme le fait de son côté le Haut Conseil de la santé publique, en appelant en priorité l'attention des femmes enceintes sur les risques potentiels auxquels elles s'exposeraient en ce moment dans les zones où sévit l'épidémie. Nous leur conseillons de différer leur voyage si elles le peuvent et d'éviter tout rapport sexuel non protégé avec un homme qui réside dans ces territoires ou y est allé quelques jours auparavant.

Les femmes enceintes étant la priorité, nous avons mis en place un suivi rapproché de ces femmes. Près de 90 % des Martiniquaises ont déjà bénéficié d'un suivi de grossesse conforme aux recommandations que nous avons adressées aux ARS. Nous faisons tout pour atteindre les 100 %, à la Martinique comme en Guyane, où un renforcement des moyens professionnels et échographiques est également prévu.

Pour répondre précisément à votre question, monsieur Costes, nous avons envoyé des messages aux hôpitaux et aux médecins, en leur indiquant que, s'ils observaient tel et tel symptôme, il pouvait s'agit du Zika, et que, s'ils pensaient que des femmes enceintes étaient touchées par le virus, ils devaient mettre en place un test pour le vérifier et faire un suivi échographique très rapproché. Des médecins ont ainsi appelé au téléphone les femmes enceintes de leur patientèle pour leur donner des conseils.

Actuellement, notre inquiétude ne porte pas sur un éventuel débordement des structures de soins : à ce stade de l'épidémie, il n'y a pas de surcharge excessive pour les hôpitaux. En revanche, si l'épidémie se poursuit, nous devrons faire face à un afflux de malades, à la fatigue des professionnels de santé et au fait que certains d'entre eux seront peut-être eux-mêmes malades, ainsi que nous l'avons vu lors de l'épidémie de chikungunya. Lors de cet épisode, nous avions envoyé des renforts : des professionnels de santé métropolitains étaient venus remplacer leurs collègues à la Martinique ou à la Guadeloupe, pour permettre au système de soins de fonctionner. Nous mettrons en place, de la même façon, tous les moyens nécessaires pour faire face au Zika.

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