Intervention de Michel Lesage

Réunion du 9 février 2016 à 16h15
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Lesage, rapporteur :

Nous disposons, en effet, d'un délai court pour traiter un sujet complexe et technique. Aussi me paraît-il important de vous rappeler le contexte dans lequel s'inscrit la présente proposition de résolution européenne (PPRE).

Le 18 septembre 2015, l'Agence fédérale américaine de protection de l'environnement a révélé que plus de 480 000 véhicules diesel de marque Volkswagen et Audi, vendus aux États-Unis, avaient été équipés d'un logiciel permettant de fausser les résultats des tests préalables à leur homologation en ce qui concerne les émissions d'oxyde d'azote (NOx). Ce mécanisme de fraude a également été installé sur plusieurs millions de véhicules vendus par le groupe Volkswagen dans le monde – plus de 8 millions au sein de l'Union européenne.

Des enquêtes judiciaires ont été ouvertes contre Volkswagen, non seulement aux États-Unis et en Allemagne, mais aussi en France, en Espagne, en Suède ou en Italie. Plusieurs États ont engagé des contrôles administratifs, comme en France, pour savoir si des véhicules d'autres constructeurs étaient concernés par de tels logiciels.

Cette affaire a porté atteinte à la confiance des consommateurs dans l'industrie automobile dans son ensemble, mais aussi à la crédibilité de l'action de l'Union européenne et de ses États membres en matière de lutte contre la pollution atmosphérique liée au transport routier. Le Parlement européen, c'est une avancée suffisamment importante et rare pour être soulignée, a créé en son sein une commission d'enquête sur les responsabilités de la Commission européenne et des États.

C'est l'ensemble du système européen de contrôle des émissions polluantes qui est mis en accusation en raison des différences entre les émissions mesurées en laboratoire et les émissions mesurées sur route.

Pour bien comprendre l'affaire, il faut savoir que le dispositif européen en vigueur est complexe, mais aussi qu'il est en cours de révision. Des éléments nouveaux sont, de ce fait, intervenus depuis l'examen de la présente proposition de résolution par la commission des affaires européennes, le 13 janvier dernier, à l'initiative de sa présidente Danielle Auroi.

Les seuils d'émissions polluantes, dits « normes Euro », ont été introduits au niveau européen à partir de 1988 pour les poids lourds et de 1991 pour les véhicules légers. Ces normes contraignantes pour les constructeurs ont évolué dans le sens d'un durcissement progressif, de « Euro 1 » à « Euro 6 » ; depuis 2015, c'est la norme Euro 6 qui prévaut. Notons qu'elles s'appliquent à plusieurs types de polluants.

Les émissions de polluants par un modèle d'automobile sont mesurées à l'échappement en environnement contrôlé, et non en usage réel – c'est là le problème –, lors de tests préalables à la commercialisation : c'est la procédure dite de « réception » ou « d'homologation ». Cette procédure est définie par une directive et un règlement de 2007. Avant de pouvoir être mis en circulation sur la voie publique en Europe, tous les véhicules automobiles doivent être homologués dans un État membre. Cette formalité accomplie, le modèle peut être commercialisé dans les vingt-huit États membres de l'Union. Il y a donc une répartition des rôles en vertu de laquelle l'Union européenne définit les limites d'émissions et les procédures de test, et chaque État membre doit s'assurer de la mise en oeuvre de ces tests et contrôler le respect de la législation relative à l'homologation.

Chaque constructeur choisit librement dans quel État européen il va demander la réception de son modèle. Il fournit à un service technique accrédité par cet État une dizaine de véhicules de ce modèle pour qu'ils soient soumis à des tests. Pour des raisons d'implantation géographique des bureaux d'études des constructeurs, un grand nombre d'homologations sont délivrées par un petit nombre de pays : l'Allemagne, la France, l'Italie et le Royaume-Uni. Toutes les homologations nationales, d'un point de vue juridique, « se valent », mais certains considèrent que ce système peut receler un effet pervers : un constructeur pourra chercher à faire homologuer ses voitures dans un État où la procédure de réception est moins chère ou moins « sévère ».

Il n'y a pas de supervision ni d'arbitrage par un organisme européen ; c'est d'ailleurs l'objet de l'un des amendements. De plus, l'indépendance des services techniques accrédités au niveau national est aujourd'hui mise en doute puisque, pour effectuer ces tests, ces organismes sont rémunérés par les constructeurs.

Le règlement du 20 juin 2007 a conféré à la Commission européenne une compétence déléguée qui lui permet d'adopter des modifications aux règles dans le cadre d'une procédure dite de comitologie, c'est-à-dire par un comité technique composé de fonctionnaires représentant les administrations des États membres. La comitologie se caractérise par un très haut niveau de complexité technique et une grande opacité des négociations. Cependant, les actes ainsi élaborés peuvent être bloqués par le Conseil, à savoir les États membres représentés en général par leurs ministres, ou bien par le Parlement européen. Si l'un d'eux décide d'opposer son veto, l'acte adopté en comitologie sera annulé.

En janvier 2011, un groupe de travail européen a commencé à travailler sur une modification des procédures de tests, pour développer des essais en conditions de conduite réelles – la procédure Real Driving Emissions (RDE) – en complément des essais en laboratoire. Cette révision des protocoles de tests a été présentée par ce groupe de travail seulement quatre ans plus tard, en 2015. Sur cette base, la Commission européenne a soumis à la procédure de comitologie un « paquet » de mesures, dit « paquet RDE », qui comprend de nouvelles conditions de mesure des émissions, une phase transitoire pour que les essais RDE soient d'abord utilisés seulement pour des contrôles, et, pour finir, des seuils de tolérance de dépassement, que l'on appelle les « facteurs de conformité ».

Le contenu de ce « paquet » a suscité de vives critiques, notamment au sein du Parlement européen, dont de nombreux membres ont estimé que les États, par la voix de leurs experts du comité technique, avaient fait pression pour allonger la période transitoire et pour assouplir les dépassements tolérés. Néanmoins, le Parlement européen, qui avait envisagé, dans un premier temps, d'opposer son veto au « paquet RDE », a finalement décidé, en séance plénière, la semaine dernière, à une trentaine de voix près, de ne pas bloquer ces mesures. Et Mme Ségolène Royal, notre ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, a réagi de manière très critique à ce vote du 3 février, estimant qu'il n'allait pas dans la bonne direction et indiquant qu'elle-même s'était opposée au compromis arrêté par le comité technique européen.

Lorsque nos collègues de la commission des affaires européenne ont adopté la proposition de résolution, le 13 janvier dernier, le Parlement européen avait déjà décidé de créer sa commission d'enquête mais ne s'était pas encore prononcé sur l'utilisation ou non de son droit de veto sur le « paquet RDE ». Depuis cette date, outre ce vote, est intervenu un nouvel élément très important. Le 27 janvier, la Commission européenne, qui a l'initiative de proposer des textes législatifs au niveau européen, a présenté une proposition de règlement pour réformer profondément l'ensemble du dispositif d'homologation européen. Ce texte très ambitieux porte à la fois sur le mode de financement des services techniques, les audits, les obligations d'information, les contrôles par les États membres, notamment. Les négociations sur ce texte législatif n'ont pas encore commencé, mais elles vont s'engager au cours du premier semestre 2016 et probablement se poursuivre au-delà.

C'est donc dans ce contexte général que nos collègues de la commission des affaires européennes nous proposent d'adresser dès à présent au Gouvernement et aux institutions européennes la présente résolution, adoptée à l'unanimité le 13 janvier dernier.

Une mission d'information de l'Assemblée, présidée par Mme Sophie Rohfritsch et dont la rapporteure est Mme Delphine Batho, travaille actuellement sur l'offre automobile française. Sans préjuger du résultat de ses travaux, je vous propose d'adopter le présent texte – après avoir voté quelques amendements purement rédactionnels – pour montrer que les parlementaires français accordent la plus grande attention aux suites du scandale Volkswagen et resteront vigilants sur les avancées à accomplir, qu'il s'agisse de la rénovation des cycles d'essais, de la nécessité de procéder à ces essais en conditions réelles, des valeurs limites à respecter et des enjeux liés à la transparence de l'information dans le secteur de la construction automobile.

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