Intervention de Bruno Lasserre

Réunion du 10 février 2016 à 16h45
Mission d'information commune sur l'application de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques

Bruno Lasserre, président de l'Autorité de la concurrence :

Nous ne le savons pas encore. Le Conseil d'État pourrait reprendre certaines d'entre elles dans son avis. Je ne suis pas au courant du détail des discussions interministérielles qui se poursuivent. Je ne pourrai vous répondre que lorsque le décret aura été publié, c'est-à-dire, je l'espère, à la fin de la semaine prochaine ou au début de la suivante.

J'en viens au volet de l'installation. Ainsi que vous l'avez rappelé, monsieur le président, l'Autorité de la concurrence a un pouvoir de proposition pour établir la carte déterminant les zones de libre installation. Néanmoins, je ne suis pas d'accord avec l'interprétation que vous faites concernant la date du 1er février. L'intention du législateur et le texte de la loi sont clairs : les dispositions relatives à l'installation des professions réglementées, y compris les compétences nouvelles que la loi donne à l'Autorité en la matière, ne sont entrées en vigueur que le 1er février. Avant cette date, l'Autorité n'avait aucun pouvoir pour lancer une consultation publique ou établir un projet de carte. Le 1er février est non pas le point d'aboutissement, mais la date d'ouverture du dispositif, à compter de laquelle les différents acteurs sont obligés de réaliser le travail que leur confie la loi.

Ainsi que vous l'avez rappelé très justement, l'Autorité attend la publication de trois décrets, condition préalable pour qu'elle puisse réaliser le travail qui lui est demandé par le législateur.

Le premier décret doit porter nomination des deux personnalités qualifiées que l'Autorité de la concurrence doit s'adjoindre en vertu de la loi lorsqu'elle délibère sur les conditions d'installation, d'une part, des officiers publics ministériels et, d'autre part, des avocats au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Ce ne seront pas nécessairement les deux mêmes personnes. Nous avons eu des discussions avec le Gouvernement sur le profil et sur des noms possibles. Pour ce qui est des avocats au Conseil d'État et à la Cour de Cassation, la logique serait d'associer un membre de chacune de ces juridictions, car le « marché » dépend très fortement des orientations de leur politique jurisprudentielle, notamment de la masse de contentieux qu'elles souhaitent traiter. En ce qui concerne les officiers publics ministériels, le profil peut-être très différent, et il appartient au Gouvernement de choisir.

Le deuxième décret doit fixer les critères présidant à l'établissement de la carte. Nous n'avons pas été consultés formellement sur le projet de texte, mais il nous a été transmis informellement. Sa publication a été retardée par le changement de garde de sceaux. Elle est désormais imminente.

Le troisième décret doit définir les conditions qui guideront le ministre de la justice lorsqu'il autorisera la création d'offices. Il est préparé par la Chancellerie.

Je laisserai à Virginie Beaumeunier, rapporteure générale, le soin de vous expliquer à quel stade l'Autorité en est de la constitution de son équipe dédiée aux professions réglementées du droit, et de vous indiquer le calendrier prévisionnel de ses travaux en la matière, notamment de l'établissement de la carte.

J'en termine par la réforme des procédures internes à l'Autorité de la concurrence, autre point important de la « loi Macron ».

D'abord, la loi du 6 août 2015 a introduit la possibilité pour l'Autorité de proposer une transaction à une entreprise ou un organisme. Cette disposition, qui n'avait pas besoin d'un décret pour entrer en vigueur, est applicable à toutes les procédures pour lesquelles les griefs ont été notifiés après la publication de la loi. Il s'agit d'une réforme importante, qui semble intéresser les entreprises. En décembre 2015, avant même que la loi soit applicable, nous avons pu régler une très grosse affaire de cette manière : Orange a accepté de payer une amende d'un montant de 350 millions d'euros, négocié avec l'Autorité, et a renoncé à faire appel. De même, dans quelques jours devrait se conclure une autre affaire, de bien moindre ampleur, dans laquelle deux des trois groupements professionnels concernés ont signé un procès-verbal de transaction avec la rapporteure générale. L'objet de la transaction est précisément d'accélérer le traitement des affaires et d'éviter des recours contentieux.

Ensuite, la loi a prévu des améliorations en matière de contrôle des concentrations. Elles sont à l'oeuvre et nous rapprochent du système européen, à la satisfaction tant de l'Autorité que des entreprises.

Enfin, la loi a élargi les pouvoirs d'enquête des rapporteurs de l'Autorité de la concurrence en leur permettant d'accéder aux factures de téléphone détaillées, dite « fadettes ». Il est de plus en plus difficile de réunir les preuves d'une collusion secrète ou de la formation d'un cartel, car les entreprises perfectionnement leurs méthodes pour en dissimuler les traces, par exemple en confiant à leurs cadres des téléphones portables dédiés aux conversations avec les concurrents, qu'ils conservent à leur domicile. Or les rapporteurs de l'Autorité de la concurrence peuvent effectuer des visites et des saisies dans les locaux professionnels, mais pas au domicile des salariés. L'Autorité a donc demandé à disposer du même pouvoir que l'Autorité des marchés financiers, les services fiscaux, les douanes ou la Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI), c'est-à-dire de pouvoir accéder non pas au contenu des conversations téléphoniques, mais au relevé des numéros appelés, qui pourront éventuellement fournir l'indice de concertations illicites entre entreprises.

Cette disposition a été invalidée par le Conseil constitutionnel, qui a d'ailleurs changé sa jurisprudence à cette occasion : il a estimé que ce pouvoir d'enquête supplémentaire devait avoir une contrepartie en termes de protection des libertés individuelles. Le Gouvernement va reprendre le chantier et réfléchir aux garanties qui peuvent être offertes en la matière. Nous sommes évidemment intéressés à cet exercice.

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