L'affaiblissement de l'influence française résulte en partie des vagues d'élargissement successifs à l'Est depuis 2004.
Par un effet mécanique, les élargissements ont dilué la présence française dans les institutions européennes : la France est désormais un pays parmi vingt-huit, et non plus parmi quinze !
Mais l'élargissement à l'Est a également eu un véritable effet politique, en éloignant la France des autres États membres du centre de l'Union européenne, d'un point de vue géographique, mais également culturel et idéologique.
Il a contribué à la considérable diminution de l'usage du français au sein des institutions européennes, et notamment à la Commission européenne, où la part de textes initialement rédigés en français, qui s'élevait à 16,5 % en 2005, n'atteint plus que 5 % aujourd'hui, alors que le français est une langue officielle de l'Europe. C'est une tendance catastrophique sur laquelle nous insistons.
Nous souhaitons également insister sur le fait que, s'il existe dans certains partis politiques français une tentation de présenter la France comme un pays du Sud de l'Europe et de faire de la France le porte-parole de ces pays du Sud, Christophe Caresche et moi-même considérons que la France pour être influente doit au contraire clairement s'affirmer comme étant au centre de l'Europe. Cela passe notamment par la réaffirmation du couple franco - allemand, qui reste le laboratoire d'idées de l'Europe. Les élargissements ne remettent pas en cause ce tandem mais, au contraire, imposent que la force motrice de ce couple soit plus grande encore.
La deuxième raison de la perte d'influence française, Christophe Caresche l'a dit, ce sont les mauvaises performances économiques et budgétaires de la France qui ont conduit à son affaiblissement sur la scène européenne, en nuisant à sa crédibilité.
Dans une situation chronique de déficit budgétaire la France est aujourd'hui « suspecte » sur le plan économique et budgétaire aux yeux de ses partenaires européens. Le risque est aussi pour la France de voir sa politique européenne dictée par la seule recherche du compromis budgétaire qui lui soit favorable. Le non-respect de ses engagements budgétaires a un coup de plus en plus lourd pour la France, l'isolant et réduisant son poids politique au sein de l'Union Européenne. Pour citer M. Christian Lequesne, chercheur à Sciences Po : « l'influence de la France – comme de n'importe quel État en Europe – est entièrement liée à sa capacité à réussir d'abord chez elle ».
Enfin, la faiblesse de la position française au Parlement européen est un facteur majeur de la perte d'influence française dans l'Union européenne.
La présence depuis 2014 de vingt-trois députés du Front national affaiblit la position de la France au Parlement européen : la position de parlementaires refusant de reconnaître la légitimité de l'institution au sein de laquelle ils siègent les marginalise évidemment, et « ampute » de facto l'efficacité de la délégation française d'un tiers de ses membres.
Aujourd'hui la délégation française au Parlement européen peine à capitaliser sur quatre facteurs : l'influence par l'expertise, l'influence par la durée, l'influence par le poids dans un groupe politique, l'influence par la coalition.
Sur l'influence par l'expertise, deux types de postes comptent particulièrement au Parlement européen : les rapporteurs fictifs et les coordinateurs. Les coordinateurs sont les chefs de file de leur groupe politique au Parlement européen. Ils négocient les amendements, répartissent les rapports, et sont chargés, lors des réunions des groupes politiques, de proposer au vote du groupe la position à adopter vis-à-vis des textes à l'ordre du jour de leur commission. Ce sont des parlementaires dont le « job » est de chercher le compromis.
Ces deux postes sont très stratégiques, mais parfois perçus comme « ingrats » par les députés européens élus en France, qui leur préfèrent souvent des postes paraissant plus prestigieux comme le poste de vice-président de commission : pourtant, ce sont ces postes qui permettent d'acquérir une véritable influence sur la législation européenne.
De la même manière, les députés français au Parlement européen ont tendance à privilégier les commissions considérées comme « prestigieuses », comme la commission des affaires étrangères, au sein de laquelle siègent onze français, plutôt que des commissions plus techniques et plus législatives, dans lesquelles leur voix pourrait pourtant avoir plus de poids.
En ce qui concerne la durée du mandat, les Allemands au Parlement européen ont fait leur la devise : « un pour apprendre, un pour agir, le troisième pour transmettre ». Les députés français au Parlement européen effectuent en moyenne 1,76 mandat au Parlement européen, contre 2,48 pour les Allemands et 2,23 pour les Britanniques. Sur le mandat 2009 -2014, le taux de députés européens français démissionnaires était de 18 %, contre 4 % pour les Allemands.
Enfin, le poids de chaque État membre au Parlement européen est directement proportionnel au poids des délégations nationales au sein des groupes politiques. Or, la France se singularise de manière structurelle par la grande dispersion de ses élus au Parlement européen et par leur forte présence dans les groupes minoritaires.
C'est encore davantage le cas sous la dernière législature : le score du Front National a eu pour conséquence directe d'affaiblir la présence française dans les autres groupes, alors que le poids de la délégation d'un État au sein d'un groupe politique du Parlement est l'élément principal de distinction dans le jeu de l'attribution des postes. La France n'est plus que la troisième délégation du PPE, la seconde chez les libéraux et les verts et la sixième au groupe S&D. A la conférence des présidents de groupe, Mme Le Pen est actuellement la seule Française.
À l'inverse, sous l'actuelle législature, l'Allemagne est le pays le plus représenté au Parlement européen avec ses quatre-vingt-seize élus, et la délégation allemande est à la fois la première délégation du groupe PPE et la deuxième délégation du groupe socialiste. Elle dispose d'une quasi omniprésence au Parlement européen, détenant à la fois la présidence du Parlement européen avec Martin Schulz. Il faudra d'ailleurs que nous portions une attention particulière à la succession de Martin Schulz car il semblerait qu'il envisage de se succéder à lui-même une troisième fois, ce qui serait contraire à la tradition parlementaire européenne. Enfin, le secrétaire général du Parlement européen est un proche de la chancelière Angela Merkel.
Les élus français n'ont pas l'habitude de travailler de manière transpartisane. Il y a un dialogue entre les différents groupes qui n'est pas efficace, alors que chez les Allemands et les Britanniques, les délégations travaillent mieux ensemble lorsqu'il s'agit de défendre des intérêts nationaux.
Les postes à responsabilité au Parlement européen seront remis en jeu à mi-mandat. Cela doit donner l'occasion de tirer des leçons du constat dressé par ce rapport, en adoptant une attitude plus stratégique dans les postes demandés au sein du Parlement européen.
Enfin, dans l'administration européenne, la présence des Français dans les institutions européennes est pour le moment satisfaisante, mais elle est menacée. Entre 400 et 500 Français présents à la Commission européenne devraient partir à la retraite d'ici 2020, et il faut s'assurer que le « vivier » de français soit présent à tous les échelons dans les institutions européennes. Or, aujourd'hui, les résultats des concours européens sont très décevants pour la France, qui s'explique parce que le système de concours a changé et surtout par un manque de candidats.
Des mesures concrètes doivent être mises en place pour inverser cette tendance : meilleure information des candidats, système de bourses spécifiques, meilleur suivi et accompagnement des nouveaux lauréats, notamment.
Sur les hauts postes de l'administration à la limite du politique, la France doit réagir car elle ne dispose plus que de deux chefs de cabinet dont un binational et l'autre qui est le chef de cabinet du commissaire français. Le Royaume-Uni compte deux chefs de cabinet et l'Allemagne presque autant de membres de cabinet que la France mais cinq chefs de cabinet et cinq chefs de cabinet adjoint.
Ces postes sont pourtant des postes clés, en plus d'être des accélérateurs de carrière pour obtenir par la suite un poste de direction au sein de la Commission européenne.
Cette faiblesse est directement liée à la faiblesse politique de notre pays dans l'Union : les commissaires européens cherchent souvent un chef de cabinet qui pourra leur servir de facilitateur auprès des autres institutions, et notamment auprès du Parlement européen ce qui les incite à recruter un chef de cabinet ou un chef adjoint de cabinet allemand plutôt qu'un Français.
Plus globalement, il faut adopter la bonne stratégie pour obtenir les hauts postes de l'administration. Deux exemples de stratégies françaises sont mis en lumière dans le rapport.
Un bon exemple est celui de la nomination du directeur exécutif de Frontex, qui a été fortement soutenu par le réseau diplomatique français et qui avait le profil parfait pour ce poste. Un exemple raté, celui du poste de contrôleur européen de la protection des données, pour lequel la France a présenté deux candidats, dont aucun n'a été retenu.
Je terminerai par Strasbourg, siège du Parlement européen, toujours défendu avec une grande vigueur par notre collègue André Schneider. Le siège est toujours protégé par les traités et par la jurisprudence de la Cour de justice, mais le soutien à Strasbourg s'effrite progressivement. Ainsi, un rapport parlementaire en faveur d'un siège unique a recueilli 483 voix sur 658 en 2013. En 2014, un amendement anti Strasbourg a recueilli 511 voix. Il faut donc être vigilant sur cette question.