Intervention de Laurent Fabius

Réunion du 3 février 2016 à 16h30
Commission des affaires économiques

Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international :

Mesdames les présidentes, messieurs les présidents, mesdames et messieurs les députés, je vous prie par avance de m'excuser : je devrai vous quitter peu après dix-huit heures, car je reçois un prix, décerné par des journalistes, celui du « ministre de l'année » – justement en raison de mon action lors de la COP21. Or lorsque j'ai été désigné « parlementaire de l'année », j'ai été très sensible à la récompense, naturellement, mais c'était la seule année où je n'avais pas pris la parole à l'Assemblée nationale ! Mon absence n'étant pas toujours remarquée, il faut donc absolument que j'assiste à la remise de ce prix. (Rires.)

Je suis très heureux de venir vous présenter ici les grandes lignes de l'accord du 12 décembre, mais aussi les étapes à venir, car vous connaissez assez ce sujet pour ne pas vous contenter de généralités.

Nous avons eu le bonheur d'aboutir à un accord. La diplomatie et le multilatéralisme peuvent donc, sous certaines conditions, obtenir d'importants résultats : c'est plutôt encourageant pour les thèses que défend traditionnellement la France. Ce succès a eu aussi, me semble-t-il, un puissant écho dans l'opinion, dans de nombreux milieux ; il faut maintenant transformer l'essai.

J'avais déjà fait le point devant vos commissions sur les enjeux de la COP21. Un rapport d'information parlementaire, déposé quelques jours avant le début de la conférence proprement dite, avait également décrit ces enjeux de façon très complète. Nous avions tous, je crois, à peu près la même idée de ce que serait un bon accord à Paris, et des critères qui permettraient d'en juger.

Avec le recul, et sans triomphalisme déplacé, nous pouvons dire que cet accord est une réussite. C'était d'ailleurs ce défi que nous avions à relever : je ne croyais pas pour ma part à un échec, car les volontés d'obtenir un accord étaient bien là. Mais quel type d'accord ? C'était toute la question. Or nous n'avons pas obtenu un accord au rabais, mais bien l'accord le plus exigeant que nous pouvions espérer : c'est là notre véritable succès, au-delà du fait que 195 pays se sont engagés.

Cet accord est universel ; il n'y a pas d'opposition, puisque la règle est celle du consensus. Il faut souligner qu'il est accompagné de 187 INDC (Intended Nationally Determined Contributions), ce qui, pour le coup, va très au-delà de nos attentes ! Au moment où, au Pérou, mon collègue Manuel Pulgar Vidal et moi-même avions précisé ce que seraient ces contributions nationales, nous en attendions peut-être quatre-vingts ou cent… Cela signifie que, dans 186 pays sur 195, le Gouvernement – et, souvent, la société – s'est demandé quelle était sa vision en matière d'énergie, de gaz à effet de serre, quels étaient les objectifs à fixer et quels moyens l'on pouvait se donner pour les atteindre. Qu'une telle démarche soit engagée, c'est très positif.

Si ces contributions sont mises en oeuvre – et tout est fait pour qu'elles le soient –, leur effet cumulé nous éloignera à tout le moins du pire, c'est-à-dire de la hausse des températures de 4, voire 5 degrés que prédisait le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) si aucune action n'était menée.

La trajectoire climatique, compte tenu de ces contributions, est celle d'un réchauffement de l'ordre de 3 degrés en 2100. Tout le travail effectué à partir des engagements de l'Accord de Paris vise à corriger cette courbe pour aller vers un réchauffement de 2, voire de 1,5 degré – l'ajout de ce chiffre ayant été l'un des grands enjeux de cette COP, et la rédaction de ce dernier objectif étant, vous l'avez remarqué, différente.

Lorsque j'évoque « l'accord », je fais d'ailleurs aussi bien référence aux 29 articles de l'accord qu'aux 140 paragraphes de la décision. Il faut lire ces deux textes ensemble – même si, je vous le concède, ce n'est pas du Flaubert. J'insiste sur un point qui fut très difficile à obtenir : la neutralité des émissions de gaz à effet de serre dans la seconde moitié du siècle. Vous imaginez qu'un pays dont 95 % des ressources viennent du pétrole n'est pas spontanément enclin à approuver une clause condamnant à terme les énergies fossiles ! Pour que tous les pays puissent tomber d'accord, il a donc fallu trouver, sans artifice, une rédaction qui permettait une inflexion sans obliger à cesser du jour au lendemain l'exploitation d'énergies fossiles.

L'accord est également dynamique – c'est un point qui avait été évoqué lors de mon audition précédente. Un mécanisme de revue quinquennale des engagements a été prévu, avec un premier rendez-vous fixé en 2023, mais aussi un bilan des efforts dès 2018. C'est un point crucial, car mon sentiment personnel est que le dérèglement climatique ira encore plus vite que ce qui est dit aujourd'hui ; les actions contre le dérèglement climatique devront donc être elles aussi plus rapides que ce qui est dit. Ainsi, les efforts de la France, comme d'autres pays aussi allants, pourront mener à une inflexion, et à la révision à la hausse de nombreux engagements, avant même 2023.

En ce qui concerne le suivi des engagements, un cadre de transparence est mis en place ; il faudra le préciser cette année. Nous allons devoir travailler sur le reporting, sur le financement : si l'Accord de Paris était une loi, je dirais qu'il faut maintenant prendre les décrets d'application.

L'accord est, autant qu'il était possible, juridiquement contraignant, de façon différente selon les phases. Il est généralement considéré, y compris par les ONG, qui n'ont pas l'habitude d'être particulièrement élogieuses, comme un accord juste. En particulier, la notion de différenciation est déclinée partout et les pays riches doivent être solidaires envers les pays les plus vulnérables : c'est la fameuse affaire des 100 milliards. Il est répété que cette somme doit être atteinte en 2020, mais qu'il faudra fixer avant 2025 un nouvel objectif, qui sera nécessairement plus élevé.

Plus largement, la COP21 a permis de rallier à la cause climatique un nombre exceptionnel d'acteurs non gouvernementaux. Beaucoup d'entre vous sont venus au Bourget, ont pu participer à de nombreux débats et événements. À la fin de l'année 2015, plus de 5 000 villes, régions, entreprises et ONG, issues de 180 pays, avaient pris des engagements précis – ce nombre a dû encore augmenter depuis. C'est évidemment quelque chose qu'il faut suivre de très près, et ce sera l'une des tâches de Mme Tubiana. Car si les gouvernements peuvent prendre des mesures qui freinent ou au contraire qui accentuent, la pollution, ce ne sont pas eux qui polluent directement ! Les émissions de gaz à effet de serre sont surtout le fait des collectivités locales – qui peuvent adopter des politiques plus ou moins vertueuses en matière de transport, de logement… – comme des entreprises et des particuliers. Il est donc crucial que les acteurs non gouvernementaux, que la société civile en général, s'engagent. C'est ce que nous avons appelé le Plan d'action Lima-Paris. Ces engagements sont résumés sur le portail NAZCA (Zone des acteurs non-étatiques pour l'action pour le climat).

D'autres projets plus généraux ont été lancés à l'occasion de la COP21. L'un d'eux concerne l'accès à l'énergie en Afrique : la France, très directement concernée, devra être extrêmement active. Un autre, qui a été rappelé lors de la visite du Président de la République en Inde, concerne l'énergie solaire : l'Alliance solaire internationale. Un autre encore, notamment franco-américain, soutenu par Bill Gates et d'autres milliardaires, vise à développer la recherche et l'investissement dans le secteur des technologies propres. La solution, nous en sommes persuadés, viendra de sauts technologiques. Pour cela, il faut investir, et mettre en place des partenariats entre le public et le privé.

Plus ponctuellement, l'initiative CREWS vise à mettre en place des systèmes d'alerte précoce lors de catastrophes climatiques, comme des typhons. Nous allons également instaurer un mécanisme d'assurance, en particulier pour les petites îles et les territoires inondables.

Il n'y a dans l'accord qu'une toute petite mention – mais j'ai beaucoup insisté pour qu'elle y figure – de la tarification du carbone, qui est l'un des points principaux pour le futur.

L'Accord de Paris est le premier accord environnemental à vocation universelle qui fait explicitement référence au nécessaire respect des droits de l'homme. Ce point a été très disputé, mais nous avons finalement trouvé une formulation acceptée par tous.

Je veux saluer ici le rôle joué par le Parlement dans la mobilisation en faveur du climat, en France comme auprès des parlementaires du monde entier. De nombreuses réunions se sont tenues à l'étranger, puis en France en marge de la COP21. Plusieurs d'entre vous ont participé à celles du comité de pilotage que j'ai organisées chaque mois, et qui ont rassemblé les administrations concernées, des scientifiques, des parlementaires… L'Union interparlementaire (UIP) a également beaucoup travaillé. C'est peut-être la première fois que le volet parlementaire était aussi étoffé.

Il reste, vous l'avez dit, madame la présidente, beaucoup de travail. L'année 2016 devra être celle des « quatre P ».

Il y aura d'abord le processus de signature et de ratification. Cela vous concerne, en tant que parlementaires, tout particulièrement. Pour que l'accord entre en vigueur, il doit être ratifié par au moins 55 pays représentant au moins 55 % des émissions de gaz à effet de serre. La signature est en effet prévue à New York le 22 avril ; quant à la ratification, je l'espère la plus rapide et la plus large possible. Je souligne que, pour que l'Union européenne ratifie l'accord, tous les pays membres devront l'avoir ratifié : cela ne sera donc pas très rapide. Mais la France, qui a été à l'avant-garde des négociations, doit être exemplaire – même si nous rencontrons des problèmes spécifiques, juridiques, pour ce qui concerne l'outre-mer. Notre objectif est que la ratification soit acquise avant les vacances parlementaires d'été, ce qui aura un effet d'entraînement auprès de nos partenaires d'Europe et du monde.

La décision qui accompagne l'accord prévoit que le président en exercice, ainsi que son successeur, désigneront chacun un « champion », chargé essentiellement du suivi de la mise en oeuvre. C'est une demande qui a été formulée par l'Alliance des petits États insulaires (Alliance of Small Island States, AOSIS). En effet, on peut toujours signer des accords, mais encore faut-il qu'ils soient appliqués.

Notre première championne sera donc Mme Tubiana, dont les fonctions dureront jusqu'à la COP22 de Marrakech, en novembre de cette année. Elle travaillera avec le champion ou la championne que désigneront les Marocains, qui sera, lui, nommé pour deux années – de notre côté, comme nous lançons le processus, nous n'avons qu'un an.

Les ministères concernés ont aussi une lourde tâche devant eux.

Je saisis d'ailleurs cette occasion de vous remercier des moyens budgétaires que vous nous avez alloués pour l'organisation de la COP21. Je rends ici hommage à M. Pierre-Henri Guignard et à son équipe, dont le travail a été formidable. Nous tiendrons notre budget, et je crois même que nous serons un peu en deçà.

Le deuxième P, ce sont les précisions qui doivent être apportées à l'accord de Paris. Il faut maintenant entrer dans les détails, en définissant précisément ce que nous comprenons, par exemple, dans les financements des pays riches en faveur du climat. J'ai également fait allusion tout à l'heure à la revue quinquennale des engagements nationaux et au mécanisme de transparence : là encore, il faudra en préciser les modalités. Cela promet des débats qui ne seront pas nécessairement faciles.

Mon rôle en tant que président de la COP21 – ce qui n'est pas la même chose, on l'a bien compris, que la présidence de la délégation française – est de veiller au bon déroulement de ces négociations.

Le troisième P renvoie à la période pré-2020 : elle sera cruciale. L'accord n'entrera certes en vigueur qu'en 2020, mais nous souhaiterions que certaines mesures soient prises avant cette date. Si nous voulons être efficaces en 2020, il nous faut nous préparer bien en avance : ce sera la tâche du ministère de l'écologie, des champions, de tous.

Le Président de la République s'est d'ailleurs engagé à augmenter nos financements, en lien avec la réforme, que vous allez bientôt examiner, qui vise à rapprocher l'Agence française de développement (AFD) de la Caisse des Dépôts (CDC).

Le dernier P, c'est la préparation de la COP22, qui aura lieu à Marrakech en novembre 2016. C'est un gros travail, que nous allons mener avec nos amis marocains, comme nos amis péruviens nous ont beaucoup aidés à préparer la COP21. Tout cela se fera en coordination avec la Convention-Cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC), organisme permanent chargé de tous les aspects juridiques, qui siège à Bonn.

Deux domaines économiques importants ne sont pas compris dans l'Accord de Paris, ni dans la décision : le transport maritime et le transport aérien. Ce dernier relève de la compétence de l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI), qui doit conclure d'ici à septembre 2016 un accord sur la régulation des émissions. Mme Ségolène Royal et moi-même avons demandé à nos services d'être très en pointe sur ces sujets : cela représente des niveaux d'émission non négligeables, et appelés à se développer. Il faut donc veiller à ce que ce sujet soit traité. Quant au transport maritime, il revient à l'Organisation maritime internationale (OMI) d'engager des travaux similaires.

Ce sont là des travaux parallèles à la COP proprement dite ; mais, si nous voulons être efficaces, il faut éviter les trous dans la raquette.

Bien sûr, toutes les félicitations adressées à notre pays et à sa capacité d'organiser un tel événement nous ont fait très plaisir. J'y ai été très sensible ; j'ai reçu des lettres officielles et des lettres très émouvantes – ces deux ensembles ne coïncidant pas toujours. C'est un lieu commun de dire que nous engageons là l'avenir de nos enfants, mais c'est vrai. Cet accord représente un espoir : dans un monde dangereux, incertain, où la politique est souvent rejetée, nous avons montré tous ensemble – et grâce à vous, parlementaires, en particulier – que nous pouvions faire des progrès pour nous et nos enfants, que nous pouvions nous entendre pour que la planète reste vivable.

Cet accord ne concerne pas seulement le climat ; la sécurité alimentaire, les migrations, la guerre et la paix sont aussi en jeu. Chacun ici est convaincu que si nous ne contrôlions pas le dérèglement climatique, nous vivrions des explosions, des conflits effrayants.

L'Accord de Paris est un succès. Nous ne devons pas nous endormir sur nos lauriers : continuons d'être très actifs. Je sais que vous le serez, et vous pouvez compter sur le Gouvernement français pour l'être également.

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