Intervention de Laurent Fabius

Réunion du 3 février 2016 à 16h30
Commission des affaires économiques

Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international :

Tous les pays n'en sont pas là ; il faudra donc que notre engagement fasse des émules.

Vous avez également parlé de l'Inde et, comme d'autres, de ce que l'Union européenne doit et peut faire. M. Bouillon, qui connaît mes péchés mignons, a évoqué la peinture, mais c'est plutôt à la sculpture que j'ai pensé lorsqu'il s'est agi d'agréger de grands blocs, ceux que forment les grands pollueurs, pour parvenir à un accord

D'abord la Chine, plus gros émetteur de gaz à effet de serre. Tel était le sens de la déclaration commune franco-chinoise du début du mois de novembre. Dans cette affaire, la Chine a joué un rôle décisif et positif – sans entrer dans le détail d'anecdotes que seule l'histoire retiendra lorsqu'elles auront été publiées.

Ensuite, les États-Unis. M. Saddier a regretté que l'accord ne soit pas contraignant. Mais, si le texte devait passer devant le Congrès américain dans sa composition actuelle – dominée par ceux que l'on appelle là-bas « les républicains »… –, il serait blackboulé.

Il fallait aussi agréger à l'accord l'Union européenne – qui reste toutefois, quels que soient les reproches que l'on peut lui adresser, la plus allante de tous.

Enfin, il y avait l'Inde, un grand pays émetteur de gaz à effet de serre puisque le charbon représente plus de 40 % de sa production énergétique. Quand vous en parlez avec le Premier ministre Modi, lui-même très féru de nouvelles technologies et d'énergie solaire, il vous dit : « Cher monsieur, vous avez tout à fait raison ; mais moi, j'ai 400 millions de personnes à sortir de la pauvreté, et, pour le moment, notre seule source d'énergie utilisable et bon marché, c'est le charbon ! »

À ces grands blocs que nous devions agréger et orienter vers un accord ambitieux s'ajoutaient de plus petits éléments.

On m'objecte que le texte n'est pas suffisamment engageant, qu'il y manque tel ou tel aspect ; mais n'oublions jamais qu'il fallait obtenir l'accord de tous les pays du monde ! Nous, Français, avons sans doute d'excellentes idées, et nous sommes certainement plus avancés que beaucoup ; mais, pour parvenir à un accord universel, il ne faut pas tomber dans le travers de ceux qui goûtent « cette inimitable saveur que l'on ne trouve qu'à soi-même », comme disait Paul Valéry. Lorsqu'un partenaire comme l'Inde, peuplée de 1,3 milliard d'habitants, trace une limite entre ce qui est possible et ce qui ne l'est pas, on peut espérer la déplacer un peu – c'est l'objet de la diplomatie –, mais pas obtenir un virage à 180 degrés. Voilà pourquoi on a pu dire que cet accord était le meilleur possible ; il va au-delà de ce que nous avions imaginé, puisque le point moyen se situe dans la fourchette haute.

J'identifie les mêmes insuffisances que vous, et je pourrais en ajouter bien d'autres : je peux vous en parler puisque lorsqu'il s'est agi d'arbitrer, la dernière nuit, c'est moi qui l'ai fait. Mais, pour réussir, il fallait faire en sorte que personne n'ait à lever le doigt pour formuler une opposition.

L'Inde a elle aussi joué un rôle important et positif lors de la conférence. Vous avez d'ailleurs pu observer qu'elle a fait l'objet d'attentions particulières : c'est à Paris qu'a été lancée l'Alliance solaire internationale ; tous les participants ont reçu un livre de citations mondiales préfacé par le Président de la République et par le Premier ministre indien ; plus récemment, le Président de la République s'est rendu en Inde, et un suivi est assuré.

Quant à l'Union européenne, elle va naturellement devoir poursuivre la démarche entamée, en mettant en oeuvre l'Europe de l'énergie et en assurant le suivi des engagements souscrits. Nous nous sommes engagés à réduire d'au moins 40 % nos émissions de gaz à effet de serre ; pourra-t-on aller plus loin ? Il faut en tout cas atteindre cet objectif. En outre, de nouveaux gouvernements sont apparus qui, pour parler le langage diplomatique, ne sont pas nécessairement les plus favorables à ce type d'accords ; il va falloir les entraîner pour que l'Union européenne conserve son rôle de leader.

Le président Schulz m'a aimablement invité à exposer les termes de l'accord devant l'ensemble des groupes du Parlement européen. En réponse à leurs félicitations, je leur ai dit en plaisantant que je reviendrais le lendemain, non seulement parce que c'était très agréable à entendre – et, d'après ce que j'ai compris, peu habituel – mais parce que les gouvernements, la Commission et le Parlement vont devoir avancer ensemble pour faire vivre cet accord. Car, je le répète, c'est l'Europe qui exerce sur les autres un effet d'entraînement.

J'en viens au prix du carbone. Il s'agit, nous en sommes tous convaincus, d'un point essentiel. Il n'est pourtant mentionné, je l'ai dit, que dans une petite ligne du paragraphe 137 de la décision, une ligne que je me suis battu pour faire ajouter. Pourquoi ? Voyons les choses en face. Certains gouvernements sont très favorables à la tarification du carbone, d'autres y sont extrêmement hostiles parce qu'elle renchérirait considérablement leur production et leur consommation de charbon. Cette mention est donc très brève, mais elle a le mérite d'exister.

Il était tout à fait illusoire de penser que l'on pourrait, dans un tel accord, fixer les termes mêmes de la tarification du carbone. D'abord parce que beaucoup de mécanismes différents sont possibles. À mon sens, le meilleur consiste à fixer une borne minimale et une borne maximale ; mais leur niveau est variable.

En 2017, la Chine – excusez du peu ! – va adopter une tarification nationale du carbone en vue de laquelle différentes valeurs sont actuellement expérimentées dans les régions. Le nouveau gouvernement du Canada a également décidé d'adopter un prix national du carbone. J'espère que l'Europe, laquelle s'est dotée d'un mécanisme qui n'a pas parfaitement fonctionné – pour des raisons sur lesquelles je n'ai pas le temps de revenir –, va aller dans le même sens. Voilà trois grandes zones qui disposeront de mécanismes différents dans leur principe et dans leur échelle. Notre amie Ségolène Royal a récemment fixé des montants. La démarche devra être généralisée, non seulement par décision gouvernementale, mais aussi – c'est le sens de l'alliance pour la tarification du carbone à laquelle le Président de la République a fait allusion – parce qu'elle sera popularisée dans les entreprises : c'est d'elles aussi que doit venir la pression en ce sens.

Comme vous, je considère que le prix du carbone est l'un des instruments les plus puissants dont nous disposions. Le mécanisme actuel est absurde : quand vous polluez, on vous donne des subventions et quand vous ne polluez pas, on vous taxe ! En France, nous essayons de modifier peu à peu la situation, par exemple en évitant de favoriser les énergies fossiles. Il faut avoir les chiffres en tête : ce sont 100 milliards de dollars par an que nous devons trouver ; actuellement, selon l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), les subventions aux énergies fossiles représentent chaque année 500 à 650 milliards. On pourrait croire qu'il suffirait de les leur retirer – ce serait meilleur pour le climat et la santé – pour en attribuer une partie au financement des politiques climatiques des pays en développement. Évidemment, ce n'est pas ainsi que cela se passe, car il n'existe aucune autorité universelle qui puisse donner des ordres au président américain ou au Premier ministre indien. Mais le bon sens, le souci de l'efficacité économique, de l'efficacité climatique, de la survie de l'humanité plaident pour une généralisation de la tarification du carbone. L'Europe et la France doivent y contribuer.

Pourquoi sommes-nous parvenus à obtenir un accord ? J'ai pu dire qu'il valait parfois mieux ne pas comprendre pourquoi on remportait un succès, plutôt que déployer des trésors d'intelligence pour expliquer un échec. Mais c'était une plaisanterie. En réalité, nous avons bénéficié de ce que j'ai coutume d'appeler un alignement favorable des planètes.

La première de ces planètes, c'est la nôtre : l'aggravation du dérèglement climatique a fait comprendre à tout le monde la nécessité d'agir. Plus les choses vont mal, plus les gouvernements et les peuples sont prêts à bouger. Or les choses vont mal : 2015 est l'année la plus chaude jamais enregistrée, et même si certains en Normandie pourraient se réjouir que cette belle région, dont je suis moi-même originaire, soit appelée à devenir une nouvelle Côte d'Azur et à produire du vin, on comprend assez vite qu'il ne s'agit pas d'un réchauffement, mais d'un dérèglement climatique qui peut absolument tout bouleverser.

La deuxième planète est la planète scientifique. À cet égard, les travaux du GIEC ont eu un effet considérable. Il y a seulement cinq ans, la première moitié d'une réunion comme celle-ci aurait été consacrée à la question de savoir si le phénomène était ou non une réalité, et la seconde à se demander si, dans l'affirmative, il était dû à l'homme. Aujourd'hui, ce débat est clos, sauf aux États-Unis – et çà ou là ailleurs. Car les scientifiques ont apporté, avec une grande précaution et une mesure dont témoignent les rapports du GIEC, la preuve irréfutable du phénomène et de la nécessité d'agir pour éviter une catastrophe absolue.

La troisième planète est sociétale : elle se compose des entreprises – dont beaucoup ont commencé à comprendre que l'on irait à la catastrophe si elles ne faisaient rien –, des organisations non gouvernementales (ONG), qui ont fait oeuvre utile, de la société civile.

S'y ajoute la planète politico-diplomatique. La Chine a bougé. Il suffit d'aller à Pékin pour comprendre pourquoi : il n'est pas rare que les normes de pollution de l'air – qui, certes, ne mesurent pas les seules émissions de gaz à effet de serre – soient dix à quinze fois supérieures au maximum autorisé en France. À Paris, la circulation alternée est mise en oeuvre lorsque la concentration de particules fines atteint 50 microgrammes par mètre cube ; celle-ci atteignait 450 lorsque j'étais à Pékin, et 600 lors de notre dernier déplacement en Inde ! Les gouvernements, qui sont installés dans les capitales, et les populations ne l'acceptent pas. Voilà pourquoi les Chinois, mais aussi les Américains et les Indiens, ont évolué. En outre, un travail diplomatique qui n'est pas de notre seul fait – les Allemands nous ont beaucoup aidés, comme bien d'autres – a visé à convaincre les pays réticents ou peu sensibles à ces problèmes.

C'est l'alignement de toutes ces planètes qui a permis le succès. Et la vie est ainsi faite que de petites décisions ont eu de grandes conséquences. Si Copenhague a échoué, c'est notamment parce qu'il était prévu que les leaders arriveraient à la fin et régleraient le problème. En réalité, ils sont venus, ils se sont enfermés deux jours ou deux nuits dans une salle et ils n'ont rien réglé du tout : c'était impossible, c'était trop compliqué. Ici, on a procédé à l'inverse. C'est une décision que j'ai proposé au Président de la République de prendre – c'est lui qui l'a prise, lui qui l'aurait assumée, pour l'essentiel, si elle n'avait pas donné des résultats satisfaisants. On a donc invité les chefs d'État et de gouvernement dès le début ; ces 154 personnes sont venues et ont dit en substance devant les ministres et les négociateurs : « Mesdames et messieurs, il faut conclure ! » Ce que j'ai pu par la suite rappeler à tel ou tel ministre ou négociateur qui m'adressait une objection sur tel ou tel passage. Nous ne pouvions le prévoir aussi précisément lorsque nous l'avons prise, mais cette petite décision a donc eu un effet considérable : l'impulsion politique était donnée.

Cela montre que, dans certaines circonstances, le multilatéralisme peut produire de grands résultats. Du reste, s'agissant de l'environnement, il eût été impossible de procéder autrement : les douaniers n'arrêtent pas la pollution, contrairement à ce que l'on a pu dire dans les années quatre-vingt ! Il faut donc un accord universel. Et comme on ne peut pas envoyer un gendarme pour arrêter un chef d'État qui n'aurait pas respecté les consignes universelles, il faut un engagement volontaire. L'année dernière, on a débattu, d'ailleurs brièvement, de la question de savoir si le système choisi était bon. Mais il n'y en avait pas d'autre !

En 2015, outre le dossier climatique qui attendait d'être bouclé depuis trente ans, on a conclu l'accord sur le nucléaire iranien, au bout de quinze ans – selon un autre format, le format « cinq plus un ». Nous avons donc eu deux occasions exceptionnelles, historiques, de mesurer combien le multilatéralisme peut être efficace, à certaines conditions – qu'il appartient à la diplomatie de favoriser.

J'ai été interrogé de manière récurrente sur l'application du texte. Il n'est pas question, je le répète, d'envoyer un gendarme pour obliger les dirigeants à respecter les accords qu'ils ont signés. Assurément, signer un engagement au nom d'un pays, ce n'est pas rien. Mais quels peuvent donc être les moyens de pression ou d'influence ?

D'abord, la pression des pairs. Ce qui a été conclu va être objectivé. Les gouvernements se sont engagés par le biais de leurs INDC, et ils vont les revoir. Je suis de ceux qui considèrent que les engagements souscrits au niveau international ne sont pas des chiffons de papier.

Ensuite, j'en suis convaincu, les populations elles-mêmes vont jouer un rôle croissant, ainsi que les organisations gouvernementales et non gouvernementales.

Troisièmement, de nouveaux moyens technologiques vont apparaître. Je n'ai pas mis cet aspect en avant lors de la COP, mais je sais que, d'ici deux ans, des satellites permettront de repérer précisément les émissions de gaz à effet de serre au-dessus de tel ou tel territoire. Personne ne pourra donc mentir sur ses émissions. Peut-être y aura-t-il des controverses sur leur origine ; mais la science, comme souvent, aura son mot à dire. En outre, nous allons assister à d'importants progrès technologiques. C'est l'un des éléments clés de l'évolution de la question climatique et des conditions économiques. Le prix du solaire et d'autres énergies renouvelables a déjà beaucoup baissé ; le coût agrégé du charbon, compte tenu des effets environnementaux, est aujourd'hui bien plus élevé.

Tout cela va devoir être codifié. Je l'ai dit, il va falloir travailler à la transparence – au reporting. Ce sont ces éléments qui pourront convaincre, et non je ne sais quelle sanction, qu'au demeurant les pays n'accepteraient pas : ils n'ont rien signé en ce sens.

Qu'est-ce qui pourrait remettre l'accord en cause ? D'abord, des décisions politiques. De ce point de vue, l'élection américaine est décisive. Sans me mêler de ce qui ne me regarde pas, j'ai entendu, à l'occasion de la campagne pour les primaires, certains candidats, non dépourvus de chances, nier la réalité du dérèglement climatique. Voilà pourquoi le président Obama – qui est, lui, très engagé à ce sujet – a obtenu que l'accord soit juridiquement contraignant s'agissant de toute une série de dispositions, mais qu'il ne soit pas obligatoirement soumis au Congrès.

D'où la fameuse discussion, dont vous avez peut-être eu connaissance par la presse, sur shall et should. À la fin de la conférence, après plusieurs nuits blanches, il y a eu une erreur matérielle, comme cela peut arriver dans un texte aussi long : au lieu d'employer le mot should – « devrait » –, le secrétariat a écrit shall, ce qui renvoie à une obligation de résultat et non de moyens. Et c'est cette version qui a été présentée. Voyant cela, les Américains ont fait valoir auprès de moi que le shall impliquait un passage devant le Congrès – passage dont on connaissait d'avance l'issue. J'ai interrogé le secrétariat, qui m'a dit : « Monsieur le président, c'est une erreur de plume » – ce qui était d'autant plus crédible que le should figurait bien dans les deux versions précédentes : il n'y avait aucun débat sur ce point. Mais la délégation des 77 – ainsi appelée parce qu'ils sont 134… – est venue me dire qu'elle ne pouvait accepter que l'on revienne sur shall. Vous vous souvenez qu'il y a eu quelques moments de battement à la fin de la conférence : ce n'était pas pour rien. J'ai déclaré aux responsables du groupe des 77 : « Écoutez, nous avons agi pour le moment en toute transparence, nous nous sommes fait confiance » – comme l'a dit Mme Batho, c'est le principe auquel nous nous étions conformés depuis le début ; « je vous assure, et j'en prends la responsabilité, qu'il ne s'agit absolument pas d'une manoeuvre, mais d'une simple erreur de plume qui peut être corrigée en tant que telle » – sans quoi il aurait fallu recourir à un autre mécanisme. Fort heureusement, ils ont accepté cette modification. Et le Premier ministre des Îles Marshall, ayant suivi la négociation et voyant qu'elle se terminait bien, a proposé de débaptiser son État pour le rebaptiser Marshould ! (Rires.)

Abstraction faite de ces traits d'humour qui agrémentent une discussion parfois austère, on comprend bien l'enjeu. Le texte est contraignant sur certains points, non sur d'autres ; en outre, il fallait parvenir à un accord universel qui soit en même temps de haut niveau.

Monsieur Chassaigne, s'agissant des 100 milliards et du Fonds vert, il convient d'éviter une confusion à laquelle même les spécialistes n'échappent pas toujours. Premièrement, le montant minimal de 100 milliards de dollars par an en 2020 correspond à la fois aux contributions publiques, au sens budgétaire, aux contributions publiques au sens des banques multilatérales et aux contributions privées. Il ne s'agit pas de 100 milliards de contributions publiques budgétaires. Deuxièmement, au sein des contributions publiques budgétaires, le Fonds vert ne représente qu'une partie. Il est aujourd'hui doté de 10 milliards de dollars, dont un milliard vient de la France. On peut souhaiter, et nous le souhaitons, que ces sommes augmentent petit à petit. Mais il n'a jamais été décidé que les 100 milliards iraient au Fonds vert. On entend parfois des raccourcis qui ne correspondent absolument pas au texte.

Le conseil d'administration du Fonds vert a décidé que 50 % des sommes allouées seraient consacrées à l'adaptation et 50 % à l'atténuation, et qu'une part très importante irait aux petites îles et aux territoires en difficulté. Il a pris ses huit premières décisions et il va poursuivre sur cette voie. Mais soyons réalistes : pour le moment, le Fonds ne représente qu'une partie du financement total.

Le désinvestissement mentionné par M. Baupin est une affaire très importante. Il faut que les fonds publics soient alimentés, et la somme minimale de 100 milliards par an en 2020 sera réévaluée – à la hausse – avant 2025. Mais gardons-nous d'une erreur qui pourrait être motivée par l'idéologie : même si le volet public est décisif, l'essentiel doit venir d'une réorientation du financement privé. Les entreprises doivent absolument comprendre qu'elles doivent investir de moins en moins dans les énergies fossiles et de plus en plus dans les autres. Elles commencent d'ailleurs à le faire. Le fonds souverain norvégien, le plus important du monde, donne désormais l'instruction de se désinvestir des actions liées aux fossiles ; ce choix a une influence considérable. L'agence de notation Standard & Poor's, qui n'est pas connue pour sa philanthropie, dégrade maintenant les entreprises ou les États exposés à ce qu'elle appelle un risque climatique, c'est-à-dire ceux qui n'ont pas entrepris de se réorienter vers le renouvelable : c'est essentiel. Il faut encourager cette tendance. Car ce ne sont pas 100 ou 500 milliards de dollars qui sont en jeu, mais des milliers de milliards ! Et c'est ici que le prix du carbone intervient. Le gouverneur de la Banque centrale d'Angleterre, très versé dans ces matières, a estimé que la prochaine bulle financière pourrait venir du secteur des énergies fossiles si l'on constate que les investissements dont celui-ci a bénéficié ne sont pas appelés à prospérer, pour les raisons que l'on sait.

C'est ce changement qu'il faut favoriser dans le public comme dans le privé. La France doit montrer l'exemple ; elle l'a notamment fait en cessant de financer les centrales à charbon. L'Europe embraye, et les autres doivent faire de même.

S'agissant du traité transatlantique, dont j'ai confié le suivi à notre ami Matthias Fekl, il ne faut pas s'emballer. J'ai dit dès le début que l'on jugerait sur pièces. Mais, à ce jour, il n'y a pas d'accord. En ce qui concerne les marchés publics – c'est un autre sujet –, les Américains n'ont pour l'instant pas accepté d'ouvrir ceux des régions. Quant aux préférences collectives, nous ne sommes pas du tout au niveau où nous devrions être dans la négociation. Soyons clairs : si cela devait continuer ainsi, il n'y aurait pas d'accord. Bien entendu, lorsque nous regarderons les choses de plus près, nous examinerons l'aspect environnemental : on ne saurait prendre à la fois des décisions mondiales favorables à l'environnement et des décisions intercontinentales contraires.

L'initiative « 4 pour 1 000 » est très importante.

En ce qui concerne le contrôle, il sera exercé par l'intermédiaire de la pression internationale, par les parlements – vous avez évidemment un rôle à jouer, notamment au sein de l'UIP –, par les opinions publiques, par les scientifiques.

Mme Tubiana assurera notamment le suivi de la mise en oeuvre de l'Agenda des solutions, car cela fait partie du rôle des champions et championnes, mais l'ensemble du Gouvernement y sera évidemment associé lui aussi.

L'organisation de la MEDCOP22 est inscrite à l'ordre du jour de la ministre marocaine de l'environnement. J'espère que sa charge actuelle de travail ne sera pas un obstacle, car c'est une très bonne initiative.

J'en viens au plan d'accès à l'électricité et à la lumière. L'initiative africaine est essentielle. Il s'agit d'un projet qui, sans coûter très cher ni être très compliqué, peut vraiment changer la vie dans de nombreux pays, tout en étant très bon pour nous : il est souhaitable à tous égards. C'est la Banque africaine de développement – dont le président est un homme très compétent – qui sera au coeur du mécanisme : elle regroupera les financements disponibles, venus de France ou d'ailleurs ; puis, en liaison avec les Égyptiens qui en étaient chargés jusqu'à présent avec elle, elle va faire concrètement le tour des initiatives, de manière à ce que, dès la fin de cette année, une série de pays puisse déjà utiliser l'énergie différemment. J'ai plusieurs exemples en tête : le Bénin et le Sénégal ont commencé, des projets sont en cours au Congo. Pour le Gouvernement français, pour la présidence française de la COP, il s'agit d'une priorité absolue. J'ai demandé en particulier à Mme Tubiana de suivre la mise en oeuvre du plan ; mais je ne doute pas que l'ensemble du Gouvernement aura à coeur de le faire. Nous pouvons assurément espérer un grand succès.

Quant à la taxe sur les transactions financières, c'est en décembre qu'elle a été évoquée pour la dernière fois au Conseil ECOFIN ; un accord a été trouvé sur l'assiette, mais pas encore sur le taux ni sur un objectif financier précis. Le rendez-vous final est fixé au mois de juin 2016. Les ONG ont critiqué le fait que nous ne serions pas assez engagés ; la France est de bonne volonté, mais elle doit entraîner les pays concernés – tous ne le sont pas.

J'aimerais enfin dissiper une confusion. L'un de vous a estimé que le texte issu de la COP n'était pas contraignant, au motif qu'il ne permettait aucune demande d'indemnisation des préjudices. Il s'agit d'une affaire assez technique qui a trait aux pertes et préjudices (loss and damage). Jusqu'à présent, ceux-ci n'étaient pas reconnus, notamment en raison de l'opposition des Américains, alors que beaucoup de pays pauvres le demandaient. Nous avons obtenu qu'elles figurent dans le relevé de décisions de la COP – c'est le contexte de l'article 52. Mais les Américains ont refusé que les pertes et préjudices entraînent automatiquement la possibilité, pour un pays touché par le dérèglement climatique, de demander sur ce fondement des dommages et intérêts aux pays pollueurs. Cela a été accepté. Voilà pourquoi, si l'article 8 de l'Accord admet l'idée de pertes et préjudices, l'article 52 de la décision précise que cet article ne peut servir de fondement à des demandes d'indemnisation.

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