Intervention de Benjamin Lemoine

Réunion du 10 février 2016 à 17h00
Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Benjamin Lemoine, chargé de recherches au Centre national de la recherche scientifique :

Libre à vous de le qualifier ainsi. En tout cas, c'est une contrainte, un verrou sur la manière d'envisager les politiques économiques. Il n'est pas seulement dans la pensée des acteurs, mais il se concrétise dans des instruments de financement : des choix sont faits sur les politiques économiques à venir.

Vous m'interrogiez sur l'influence des politiques publiques sur la dette, et inversement. Il faut rappeler que cette politique de mise en marché de la dette a été un projet d'État. Il y a même consacré des moyens considérables : en 1987, pour faire la promotion de ses nouveaux titres, l'État a recruté une société de communication et loué des plages à la Régie française de publicité. Un clip a été diffusé sur FR3, dans lequel Paul-Loup Sulitzer vantait les mérites de la nouvelle dette d'État mise sur le marché. Il y a donc eu une stratégie d'État de commercialisation de la dette, ce sont les pouvoirs publics qui ont décidé, au nom de l'intérêt général, parce que le recours au marché coûterait moins cher, d'adopter et de faire leurs un certain nombre de contraintes. Il a décidé de jouer de ces contraintes, et de faire les politiques qui feraient de nous le bon élève aux yeux des investisseurs financiers.

C'est une stratégie : l'Agence France Trésor se pense aujourd'hui comme éminemment technique, mais l'histoire longue nous montre que cette technique est le produit de choix de politiques publiques de financiarisation des techniques d'alimentation de la trésorerie.

Vous m'avez interrogé sur la différence de coût d'une période à l'autre ; au début des années soixante, l'équivalent de l'Agence France Trésor, alors appelé « Bureau A1 de la trésorerie et du financement de l'État », s'opposait par la voix de son directeur de l'époque, Maurice Pérouse, au retour du mécanisme de marché pour l'émission de bons du Trésor. Selon lui, l'adjudication provoquerait un renchérissement considérable pour le Trésor du coût de ses opérations et se traduirait du même coup par un « enrichissement sans cause » pour les banques. Il pointait également les risques de réaction de la presse et de l'opinion difficilement contrôlables, et le fait que cette procédure ferait échapper au contrôle du ministère des finances une des vannes qui contribuaient alors à l'alimentation de la trésorerie. Les services du Trésor s'inquiétaient même des taux obtenus sur les marchés, qu'ils ne maîtrisaient plus. Selon une note du Trésor de l'époque : « Par l'incidence de mesures délibérées prises dans le cadre de notre politique monétaire générale, les baisses successives du “plancher” de bons du Trésor des banques depuis deux ans (ramené en un an de 25 % à 15 % des dépôts) ont non seulement tari, mais transformé en charge un mécanisme qui assurait jusqu'alors à la trésorerie des ressources pratiquement indexées sur l'évolution des dépôts bancaires. » En résumé, on a créé une contrainte et un coût là où de l'argent arrivait quasiment sans coût.

Pour être objectif, il faut expliquer la philosophie qui sous-tendait ces réformes. En s'attaquant à ces mécanismes administrés, on escomptait réduire l'inflation, car on pensait que cela réduirait la part de création monétaire imputable à l'État. À l'époque où l'on va réformer ces instruments, l'inflation avait été contenue à 6 % en moyenne de 1950 à 1960. On a donc accusé le système de bons du Trésor d'être responsable de l'inflation, mais elle était à peu près contenue au cours de ces années. Ce n'est que dans les années soixante-dix que l'inflation a fortement augmenté pour passer à des taux à deux chiffres, et cela s'explique par des facteurs internationaux.

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