Intervention de Benjamin Lemoine

Réunion du 10 février 2016 à 17h00
Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Benjamin Lemoine, chargé de recherches au Centre national de la recherche scientifique :

Les OAT indexées, que j'ai déjà évoquées, ont été émises avec l'aval de Dominique Strauss-Kahn et portaient même son nom : sur la place financière, on parlait des « DSK bonds » — des obligations DSK. C'est un exemple parmi d'autres.

J'en profite pour répondre à une autre de vos questions sur la détention de titres par les ménages. Edmond Alphandéry, ministre de l'économie d'Édouard Balladur de 1993 à 1995, avait tenté de renouer avec la souscription en direct par les ménages d'obligations appelées OAT particuliers. Pourquoi cette souscription a-t-elle été un échec ? Il faudrait poser la question au Trésor. Le système bancaire a-t-il mal joué son rôle de relais dans la diffusion de ces produits ? L'année de son lancement, cette nouvelle formule à l'usage exclusif des ménages portait sur un volume de 10 milliards de francs pour un programme global d'émissions du Trésor de 500 milliards de francs. La même année, la part réservée aux particuliers se limitait à 2 % de la dette publique, tous titres confondus, et à environ 4 % des obligations émises ; il faut en effet distinguer les obligations des bons du Trésor qui sont des titres à court terme.

Pour expliquer cet échec, on rappelle souvent que ces OAT particuliers impliquaient un taux d'intérêt plus élevé que celui du marché — c'est sans doute la réponse que fournira l'AFT. Néanmoins, parlementaires et gouvernants peuvent considérer qu'il est légitime d'avoir une politique qui développe cette souscription en direct, notamment pour une raison simple : la politique économique sera moins sous pression. Si l'on propose un produit assorti d'un bon taux d'intérêt, l'épargne des Français s'y placera bien volontiers a priori et l'on ne sera pas obligé de changer le logiciel des politiques économiques. Encore une fois, il s'agit d'un arbitrage entre les taux d'intérêt et la liberté accordée aux politiques économiques.

Venons-en au cadastre de la dette. Il faudrait l'envisager comme un cadastre de l'épargne et de sa circulation. Comment l'épargne est-elle répartie socialement ? Quelles catégories sociales peuvent épargner ? Comment cette épargne est-elle intermédiée ? Le changement fondamental est que l'épargne est désormais gérée par des investisseurs institutionnels qui sont les clients finaux de la dette publique. L'un des enjeux du débat est d'identifier les canaux par lesquels circule cette épargne. Ce sont des questions politiques fondamentales. À partir de la répartition sociale de l'épargne, on peut faire des hypothèses sur la détention indirecte de la dette publique par les épargnants.

Tout d'abord, on peut se demander pourquoi la détention directe n'est pas davantage valorisée. Ensuite, on peut chercher à identifier les détenteurs indirects de la dette publique via les investisseurs institutionnels. Le Parlement pourrait prendre l'initiative d'une enquête sur la répartition de l'épargne par catégorie sociale et par ménage.

Qui a la capacité d'épargner et donc de bénéficier éventuellement de ces placements en titres d'État ? La question s'est posée en Grèce : on a constaté une mise en concurrence entre deux types d'acteurs : d'un côté, les épargnants – internationaux en l'occurrence – qui détiennent des titres de dette, et, de l'autre, les victimes des politiques d'austérité. Ces derniers n'ont pas la capacité d'épargner, vivent grâce aux minima sociaux ou aux pensions de retraite, et ne sont bénéficiaires, si l'on peut dire, que d'une dette sociale ou de la dépense sociale. Pour que les épargnants puissent être rémunérés par le biais des taux d'intérêt sur les obligations du Trésor, les pouvoirs publics doivent revoir à la baisse les promesses qu'ils ont faites – sous forme de dépenses sociales, de sécurité sociale, de régimes de retraite – à ceux qui ne peuvent épargner.

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