On peut considérer qu'il y a deux définitions concurrentes de la toxicité politique des taux d'intérêt.
D'un côté, il y a celle que j'ai appelée budgétaire et qui correspond à ce que vous évoquez, monsieur Gorges. On la retrouve aussi dans l'expertise du rapport de la commission Pébereau qui va jusqu'à faire une analogie avec la drogue, comme vous l'avez fait vous-même. Pour résumer : les taux d'intérêt sont faibles, on s'endette facilement et cela se traduit par une forme de laxisme budgétaire.
De l'autre côté, on peut considérer qu'il y a une toxicité du financement par les marchés parce que ce mode de financement crée des verrous. Prenons un exemple : le rôle des agences de notation pendant le passage de la crise de la finance privée à la crise des dettes publiques. Le débat est souvent balayé d'un revers de main sur la base de l'argument suivant : les agences de notation ne déterminent pas les taux d'intérêt puisque ceux-ci restent stables même après la dégradation d'une note.
Il est intéressant de voir comment ces agences illustrent le consensus de la communauté financière. Pour mesurer les dettes publiques, elles cherchent à déterminer la capacité des États à rembourser leur dette et leur engagement dans ce processus. Elles se fondent sur des facteurs économiques et budgétaires, mais elles retiennent aussi des critères politiques. Leur grille de notation comporte en effet un facteur sociopolitique : la stabilité institutionnelle du pays. L'agence surveille par exemple le débat public sur des questions telles que l'indépendance de la banque centrale, la création monétaire ou l'inflation. Tout dérapage de ce critère institutionnel — selon l'appréciation de l'agence de notation — va être considéré comme le signe d'une mauvaise gestion de la dette publique. Il y a donc bien là un verrou sur l'organisation des institutions financières d'un État.