Intervention de Jean-Luc Haas

Réunion du 17 janvier 2013 à 9h30
Mission d'information sur les coûts de production en france

Jean-Luc Haas, secrétaire national en charge du secteur économie-industrie, logement, développement durable, CFE-CGC :

L'accord qui a été négocié va dans le bon sens – nous pourrons vous adresser l'argumentaire que nous avons établi à ce propos.

Monsieur Benoit, vous vous êtes interrogé sur les conséquences sur les prix de notre proposition de cotisation sociale sur la consommation. Le rapport que nous avons élaboré sur la compétitivité, qui propose plusieurs pistes, en particulier à propos de la compétitivité hors coûts, a amorcé une réflexion sur le financement de la protection sociale, mais sans la quantifier. Il est complété par un autre rapport, élaboré par le groupe de travail « compétitivité » de la Conférence nationale de l'industrie piloté par MM. Jurgensen et Hirtzman, qui a quantifié la sensibilité et l'élasticité des différents paramètres et les effets des mesures envisagées telles que la TVA, la cotisation sociale généralisée (CSG) ou la fiscalité écologique – qui devrait, selon nous, être dédiée à l'investissement lié à la transition énergétique et à l'amélioration de l'efficacité énergétique. La quantification a été confortée par deux modèles économétriques : celui de l'École centrale de Paris et celui du Trésor (Mésange), qui concluaient tous les deux dans le même sens. Dans le monde très concurrentiel où nous vivons, l'impact de la mesure serait limité. Ainsi, le passage de 16 % à 19 % du taux de TVA en Allemagne n'a pas donné lieu à une dérive inflationniste dans ce pays. L'élasticité devrait être, selon nous, de 0,2 à 0,3 % d'inflation.

Pour ce qui concerne la protection sociale, la modulation de la durée du travail aux différentes périodes de la vie mériterait débat. En tout état de cause, une telle logique aurait automatiquement un effet sur les salaires : les personnels concernés y seraient-ils prêts ? La liaison entre les jeunes, qui sont la richesse de demain, et les seniors, qui possèdent un potentiel qu'ils ont valorisé tout au long de leur vie, n'est pas inintéressante – elle fonde d'ailleurs le contrat de génération.

Sur les normes environnementales, que la France se garde de partir seule flamberge au vent et de s'imposer des contraintes que d'autres n'assumeraient pas. Il faudra s'en souvenir dans le cadre du débat sur la transition énergétique. Certes, les émissions de CO2 sont un vrai problème à l'échelle de la planète. Mais quelles décisions prendre au niveau international et européen, notamment sur les quotas et les allocations de quotas ?

Oui, nous avons un problème de compétitivité, y compris à l'intérieur de la zone euro. En dix ans, notre pays est passé d'un excédent commercial de 6 milliards d'euros à un déficit de 71 milliards. Tous les effets de compétitivité hors coût ont tous joué dans le sens de la dégradation sans compter l'Allemagne qui a fait cavalier seul en choisissant de réduire drastiquement ses coûts du travail depuis dix ans, tout en renforçant les autres facteurs de compétitivité. Il n'empêche que sa position est devenue intenable, à tel point qu'elle réfléchit aujourd'hui à l'instauration d'un salaire minimum. Si l'on veut rééquilibrer les échanges, il faudra bien que les pays qui en ont les moyens – comme l'Allemagne – y contribuent. Est-il légitime, par ailleurs, que subsistent des asymétries fiscales alors que certains pays tels que l'Irlande n'ont été sauvés que grâce à l'intervention de la Banque centrale européenne (BCE), sans que nous ayons pu les contraindre à revoir leur fiscalité pour la rapprocher de celle de l'Allemagne ou de la France ? Non.

M. Véran a évoqué la nécessité de constituer des filières, notamment dans l'énergie. Nous sommes là au coeur du débat sur la compétitivité. M. Louis Gallois l'a d'ailleurs noté dans son rapport : s'il y a un facteur de compétitivité coût qui joue en notre faveur, c'est bien le prix de l'énergie. Prenons garde à ne pas le dégrader. Nous devrons veiller tout particulièrement, dans le débat sur la transition énergétique, à l'ajustement d'un certain nombre de décisions. S'il est légitime d'accroître la part des énergies renouvelables et d'aller vers un mix énergétique plus harmonieux, encore faut-il que les coûts en soient compatibles avec la réalité économique. L'État doit adopter une attitude plus vertueuse, notamment respecter ses engagements quant à la contribution au service public de l'électricité. Il n'est pas normal qu'il attende que sa dette atteigne 5 milliards pour dédommager l'acteur historique. Pareille somme pèse sur la trésorerie d'une entreprise, et peut même compromettre sa notation financière – et donc ses conditions d'endettement.

Positionnons-nous donc sur la nouvelle filière des énergies renouvelables, où il existe un potentiel de croissance et des compétences en France, par exemple sur l'électronique de puissance grâce à la recherche-développement. Dans le secteur de l'énergie photovoltaïque, on a aujourd'hui recours à des matériels chinois ! C'est bien pourquoi il faut préparer nos filières en amont, notamment au sein des pôles d'excellence, comme celui de Grenoble, qui cherche notamment à améliorer les rendements des cellules sur les couches minces. Faisons émerger une filière française ; préparons en amont les compétences qui sont nécessaires, afin de fixer l'emploi en France.

En ce qui concerne le dispositif du CICE, la CFE-CGC était plutôt favorable à la proposition du rapport Gallois, à savoir retenir un seuil à 3,5 SMIC, qui aurait mieux embrassé la population active de l'ensemble du tissu industriel. Mais finalement le seuil a été fixé à 2,5 SMIC. De toute façon, il faudrait appliquer le principe marginaliste, comme dans notre système fiscal : pour les rémunérations supérieures à 3,5 SMIC, l'employeur devrait pouvoir bénéficier du CICE sur la partie inférieure ou égale à 2,5 SMIC.

Venons-en à la conditionnalité, sur laquelle M. Carré et Mme Bonneton nous ont interrogés. C'est aux entreprises qu'il revient de redresser notre outil de production, en améliorant les facteurs de compétitivité hors coût, en investissant dans la formation brute de capital fixe (FBCF), la recherche-développement et l'innovation, qui sont les facteurs de croissance de demain, afin de favoriser une croissance à long terme.

M. le rapporteur a soulevé la question du SMIC. Comme l'a dit M. Mansouri-Guilani, la Commission nationale de la négociation collective en a débattu récemment et les experts ont été unanimes à prôner son maintien, en le faisant évoluer. Vous avez évoqué deux points précis à cet égard : le caractère interprofessionnel et l'étiage national. Gardons-nous de multiplier le nombre des SMIC : notre système est déjà assez complexe comme cela ! Cela n'interdit pas d'envisager une évolution calculée d'après l'inflation constatée pour les 20 % revenus les plus bas, comme le préconisent les conclusions des travaux de la CNNC. Pour notre part, nous y sommes favorables.

La problématique est un peu comparable à celle du logement, qui ne se pose pas partout dans les mêmes termes : il y a des zones tendues, où les coûts ont dérivé – c'est le cas de la région Ile-de-France, de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, ou encore de l'arc Atlantique. Il faut arriver à traiter le problème par une détente foncière et la mobilisation de toute la filière pour construire dans des conditions économiquement acceptables et dans le respect de la nouvelle norme « bâtiment basse consommation ». Le logement a un poids déterminant dans le reste à vivre et le pouvoir d'achat des ménages.

En ce qui concerne le SMIC, il faut prendre en compte les effets de ses évolutions sur l'ensemble de l'échelle des salaires. Voilà des années, que dans bon nombre de branches –maintenant, c'est même la moitié –, le salaire minimum conventionnel est inférieur au SMIC. Or pour faire avancer la machine, il faut donner de l'espoir, de l'envie – notamment aux jeunes. Il faut, pour cela, des euros sonnants et trébuchants. Dans les négociations sur les rémunérations, les employeurs discutent de plus en plus souvent de la rémunération globale – en « vendant » aux représentants du personnel l'intéressement, la participation, la protection sociale… – et non plus du seul salaire, pour mieux peser dessus. Nous n'y sommes bien sûr pas opposés, mais ce n'est pas avec cela que l'on achète sa baguette ou son steak ! Le taux salairevaleur ajoutée est relativement stable, autour des deux tiers. Mais ce ratio inclut les « périphériques » que sont notamment l'intéressement et la participation, qui ont augmenté, ce qui dissimule en fait une baisse de la part des salaires. L'effet volume contraint donc aussi la répartition de la masse salariale.

Notre position est donc la suivante. Si l'on fait évoluer le bas de la grille, il faut faire évoluer toute la grille des salaires, pour donner envie. Mais les chefs d'entreprise ne le feront que lorsqu'ils auront retrouvé des marges. Nous en revenons donc à l'éternel problème de la perte de compétitivité et du rétablissement des marges des entreprises.

M. Carré a évoqué l'éternelle « rivalité » entre capital et travail. Je ne pense pas qu'il faille opposer les deux. Simplement, il faut ajuster le tir en fonction des évolutions, pour assurer un rééquilibrage. Le vrai mal qui nous ronge, c'est le chômage. Nous ne l'éradiquerons que par une formation adaptée, la restauration des marges des entreprises et la dynamisation de nos exportations, bref par une dynamique de croissance fondée sur l'offre, et pas nécessairement sur la demande.

Permettez-moi pour finir de revenir sur le financement de la protection sociale. L'avantage de la CSC sur la CSG, c'est qu'elle fait contribuer les importations au financement de notre protection sociale, avec une faible élasticité à l'inflation, comme l'a noté le rapport piloté par MM. Jurgensen et Hirtzman dans le cadre de la Conférence nationale de l'industrie.

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