Intervention de Catherine Lebrun

Réunion du 17 janvier 2013 à 9h30
Mission d'information sur les coûts de production en france

Catherine Lebrun, secrétaire nationale en charge des questions économiques et sociales, SUD :

Je suis frappée de constater que notre discussion sur les coûts de production fait l'impasse sur le poids déterminant des multinationales dans le commerce mondial. Or elles sont à l'origine de beaucoup d'exportations des pays du Sud ou émergents, y compris de la Chine, soit directement soit dans le cadre de joint-ventures. Raisonner à partir d'une vision du commerce mondial héritée des années 1970, c'est donc rester « à côté de la plaque ». La situation actuelle appelle une politique d'encadrement et de contrôle des stratégies d'investissement des multinationales. Toute autre politique est vouée à l'échec.

De notre point de vue, l'accord qui vient d'être signé est plus que déséquilibré – c'est un euphémisme – et porte en germe une vraie régression sociale. Contrairement au chômage partiel, qui est une mesure conjoncturelle, cet accord est une attaque contre la notion même de contrat de travail. L'objectif du patronat – se dégager de toutes les obligations conventionnelles et légales relatives aux licenciements – a été atteint. Nous ne pensons pas que ce soit un progrès social.

Revenons sur ces fameuses annexes. Dans l'article consacré au maintien dans l'emploi, il est dit que l'engagement de l'employeur à maintenir dans l'emploi les salariés auxquels s'appliquent les ajustements vaut pour une durée au moins égale à celle de l'accord – soit deux ans. Mais un petit codicille vient préciser que si la situation économique change, cet engagement pourra être revu. Bref, c'est un jeu de dupes !

Prenons maintenant les contrats précaires. L'idée de quotas avancée par les organisations syndicales nous paraissait plus adaptée que la mesure qui a finalement été retenue et qui n'empêchera rien. Je pourrais multiplier les exemples ! La généralisation de la couverture complémentaire des frais de santé constitue certes une amélioration, mais n'oublions pas qu'elle fait aussi le jeu des assurances privées et de la sécurité sociale.

Nous le redisons, le « noyau dur » de cet accord est bien une régression sociale.

Le partage de la valeur ajoutée – qui s'opère largement, contrairement à ce qui a été dit, en défaveur des salariés – est un vrai problème, qui n'est plus du tout abordé. Il faut remettre sur le tapis la question du partage des gains de productivité, pour poser à nouveau celle de la réduction du temps de travail – qui, quoi qu'en disent ses détracteurs, est un facteur de création d'emplois. Cette idée est aujourd'hui abandonnée par la gauche, alors qu'elle pourrait constituer une piste pour répondre aux difficultés de l'heure.

J'en viens au SMIC et à l'échelle des salaires. Dans les entreprises publiques, on a instauré un écart maximal de 1 à 20 dans l'échelle des salaires. Mais dans le secteur privé, l'échelle des salaires ne fait même plus l'objet de discussions ! Parlons-en donc !

Voilà trente ans que nous ne cessons d'introduire des mesures de flexibilité, depuis celles qui ont favorisé les temps partiels contraints. Il est faux de prétendre que le marché du travail serait plus rigide en France que dans les autres pays de la zone euro. Cela fait trente ans, disais-je, que l'on multiplie les exonérations de cotisations patronales. Au bout du compte, le chômage et le nombre des licenciements continuent à augmenter ! La crise n'est donc pas seule en cause. De grâce, cessez de nous prendre pour des imbéciles ! De plus en plus d'économistes – qui ne sont pas tous de dangereux gauchistes – commencent d'ailleurs à contester cette vision mensongère d'un marché du travail français trop rigide.

Je terminerai sur Pôle Emploi, institution que je connais bien. Cette « usine à gaz » a été dénoncée dès l'origine par les organisations syndicales. Tout d'abord, il y a conflit d'intérêts puisque le payeur est devenu le conseiller. Pour faciliter la vie des demandeurs d'emploi, on aurait pu concevoir un rapprochement géographique de l'ANPE et des ASSEDIC, mais en aucun cas un rapprochement institutionnel. La véritable avancée consisterait à notre sens à mettre en place un service public de l'emploi et de la formation.

Quel modèle social voulons-nous ? S'il s'agit d'aggraver la paupérisation de nos concitoyens et les inégalités, nous sommes sur la bonne voie ! C'est précisément ce qui est en train de se passer en Europe ; l'OFCE va d'ailleurs jusqu'à parler « d'hystérie budgétaire » à propos des politiques d'austérité qui sont conduites. Continuons, et nous irons droit dans le mur !

S'agissant du crédit impôt recherche, chacun sait qu'il existe des cabinets de conseil aux entreprises spécialisés dans le détournement de ce dispositif à des fins d'évasion fiscale. La moindre des choses serait donc d'instaurer un contrôle drastique de l'administration fiscale sur ce dispositif. Cela semble hélas irréalisable en ces temps de baisse des effectifs.

Quant au CICE, il va devenir une nouvelle niche fiscale inefficace et onéreuse. À l'issue de la montée en puissance du dispositif, le crédit d'impôt devrait atteindre 6 % de la masse salariale. Que feront donc les employeurs, si ce n'est augmenter leur marge salariale via une hausse des hauts salaires ? Du point de vue de la justice sociale, il y a mieux ! Ce que dit le MEDEF est une chose, ce que font les entreprises en est une autre. Si l'on n'a pas conscience des stratégies qui sont à l'oeuvre dans les grands groupes, on reste complètement « à côté de la plaque ».

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