Je comprends votre impatience, mais vous pouvez être rassurés : nous prendrons le temps de vous adresser le texte complet de l'accord, annexes comprises, et de dialoguer avec vous sur cette question autant que cela vous paraîtra nécessaire.
Permettez-moi d'évoquer l'état d'esprit qui fut le nôtre dans cette négociation. L'enjeu était important : il y allait de l'approfondissement de la démocratie sociale et du dialogue social dans notre pays. Issue de la grande Conférence sociale, la négociation a fait l'objet d'un document d'orientation du Gouvernement, discuté et approuvé par l'ensemble des partenaires sociaux. Il me paraît important de le rappeler, même si nous n'arrivons pas tous aux mêmes conclusions sur le contenu de l'accord.
Le contexte économique et social est extrêmement difficile – montée du chômage, croissance en panne, perspectives moroses. Durant la grande crise de 2008-2009, nous nous sommes efforcés de défendre une exigence : former plutôt que licencier. Or nous avons eu dix fois moins recours au chômage partiel que les Allemands. Notre pays souffre ainsi d'un double handicap : non seulement la variable d'ajustement est le travail, mais on va d'emblée au licenciement. Changer cet état de choses était pour nous un enjeu majeur.
Il nous semble inadapté de parler de rigidité du marché du travail. Nous avons au contraire à faire face à une hyper-flexibilité sauvage – que nous avons cherché à encadrer, comme l'a expliqué Joseph Thouvenel. Nous ne pouvons en effet laisser les représentants syndicaux seuls face au chantage à l'emploi dans les entreprises.
À notre sens, il n'y a pas de problème sur la durée du travail. Nous sommes en revanche très préoccupés par la question de l'accès des jeunes à un emploi stable et par le taux d'activité de ceux que l'on appelle les seniors – qui ne cessent de fait de rajeunir ! Ces deux phénomènes font que la durée d'activité est désormais très limitée.
Nous sommes confrontés à un autre défi, auquel le rapporteur a fait allusion : il est effectivement parfois reproché aux organisations syndicales de ne représenter que les « insiders ». Je puis pourtant vous assurer que comme les autres organisations syndicales, nous sommes très préoccupés par la précarité des chômeurs et la situation particulière des jeunes et des femmes. Nous nous sommes battus, article après article, jusqu'aux derniers instants de la négociation – c'est pourquoi il importe vraiment de prendre en compte l'intégralité de l'accord, et dans sa version finale.
Un premier aspect important de la négociation concernait le dialogue social. On ne peut traiter de la même manière les entreprises qui jouent le jeu du dialogue social et essayent de former leurs salariés, et celles qui font le lit du chômage et de la précarité. Il fallait d'autre part porter un regard particulier sur les salariés des PME, voire des TPE. Enfin, il importait de progresser sur la question de l'accord majoritaire et de la place de la négociation dans l'entreprise et à tous les niveaux.
Nous avions donc trois objectifs. Il s'agissait d'abord de faire reculer la précarité ; nous reviendrons sur la taxation des contrats courts, l'encadrement des temps partiels, les droits rechargeables à l'assurance chômage et la généralisation de l'assurance complémentaire santé.
L'accord comporte un autre volet essentiel, que j'ai déjà évoqué : l'anticipation des mutations économiques. Les salariés et leurs représentants n'ont souvent pas le temps de comprendre la situation et de discuter des alternatives possibles aux projets de la direction, voire de négocier en termes d'emploi. C'est pourquoi nous avons introduit une consultation sur les options stratégiques de l'entreprise, ainsi qu'une vraie amélioration de ce qu'on appelait jusqu'à présent la gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences (GPEC).
Le dernier volet porte sur l'amélioration de la protection des salariés qui risquent d'être licenciés. Nous avons ainsi prévu une simplification et une unification du dispositif du chômage partiel, avec des incitations à la formation, et bien sûr l'encadrement des accords de maintien dans l'emploi, afin d'éviter tout chantage à l'emploi. Ces accords ont vocation à répondre de manière temporaire à de graves difficultés conjoncturelles. Ils doivent prévoir des sanctions en cas de non-respect de l'accord, ainsi que des garanties sur le partage du bénéfice économique lorsqu'il arrive à échéance. Enfin, il faut s'assurer que les dirigeants et les mandataires sociaux consentent un effort symétrique à celui des salariés. Nous aurons l'occasion d'en rediscuter.
Tout cela doit s'inscrire dans une stratégie cohérente qui contribue à préparer l'avenir et à ouvrir des perspectives. En cette période de mutations, il est important d'avoir une vision de long terme et de tirer parti de nos atouts et de l'ensemble des compétences de nos filières.
Comment favoriser l'investissement et sortir d'une logique de sous-investissement ? Par exemple, pour un industriel comme M. Jean-Louis Beffa, la question de cette reconquête se pose aussi en termes de gouvernance et de stabilité. À cet égard, l'entrée des représentants des salariés dans l'organe de gouvernance de tête qui définit la stratégie de l'entreprise, même symbolique, est importante : elle doit permettre de lutter contre les logiques de court terme et de financiarisation. Il faut également consolider le travail accompli dans les filières, que ce soit dans le cadre des comités stratégiques de filière ou dans celui des plans filière. Ces résultats concrets doivent favoriser la cohérence des politiques publiques et des investissements d'avenir, et tous les mécanismes qui contribuent à la solidarité entre donneurs d'ordres et sous-traitants. Ce n'est pas parce que l'on se trouve confronté à des problèmes conjoncturels qu'il ne faut pas amortir les chocs pour les sous-traitants : ils n'ont pas vocation à être la variable d'ajustement qui assure l'hyper-flexibilité des grands donneurs d'ordres. Même à court terme, ces derniers doivent oeuvrer dans un esprit de responsabilité sociale et prendre en compte le tissu territorial et de la sous-traitance dans lequel ils sont inscrits.
Ces logiques de filière doivent autant que possible – et à tous les niveaux, en particulier dans les branches – s'articuler avec des négociations sur les emplois et les compétences. Il s'agit de s'inscrire dans une cohérence d'ensemble en oeuvrant collectivement à un nouveau mode de développement plus équilibré.