Intervention de Alain Tourret

Séance en hémicycle du 16 février 2016 à 15h00
Prorogation de l'état d'urgence — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlain Tourret :

…comme le dira sans doute la commission d’enquête présidée par Georges Fenech.

La durée de l’état d’urgence aurait pu être de six mois, comme notre groupe l’avait proposé par la voix de Roger-Gérard Schwartzenberg : c’était la durée retenue par la République romaine lorsqu’elle avait recours à la dictature, tempérée il est vrai par l’obligation, pour le dictateur, de se consacrer, tel Cincinnatus, aux travaux agraires au bout de ce délai de six mois. Nos dirigeants, le Président de la République comme le Premier ministre, devraient méditer la sagesse de Cincinnatus. « O tempora, o mores ! », s’exclamait Cicéron, qui obtint du Sénat la déclaration de l’état d’urgence – la première du genre que j’aie pu trouver – en 63 avant Jésus Christ, contre Catilina et ses assassins.

L’état d’urgence était donc incontestable, tant la menace était grande. Cette menace, du reste, ne visait pas seulement la France : des attentats ont pu être déjoués en Belgique et en Allemagne dans les jours qui ont suivi l’attaque du Bataclan.

Le 20 novembre 2015, deux terroristes massacrent vingt otages à Bamako, au Mali ; le 12 janvier 2016, un attentat suicide massacre dix touristes à Istanbul ; le 14 janvier 2016, un attentat organisé depuis la Syrie massacre quatre personnes à Djakarta en Indonésie ; et le 15 janvier 2016, trois attentats massacrent trente personnes, dont trois Français, à Ouagadougou. La menace est donc mondiale et l’organisation terroriste s’étend, telle une pieuvre, en Europe et en Asie.

Encore faut-il souligner, afin de prendre conscience de l’ampleur de ses ramifications, que des tentatives d’attentat ont été déjouées en France, notamment à Tours et à Orléans.

La présence d’un péril imminent est incontestable au vu de cette toile d’araignée qui n’a rien à voir avec la théorie des loups solitaires imaginée par des esprits faibles, irrationnels et dangereux.

Comment oublier, par ailleurs, que près de 600 Français sont dans les rangs de Daech et d’Al-Qaïda au Maghreb islamique – Aqmi –, faisant ainsi de la France le pays le plus menacé de la planète ? Face à cette situation, le bilan des actions menées par les forces de l’ordre pendant l’état d’urgence est-il insignifiant, comme certains le prétendent ?

Monsieur le ministre, vous avez répondu à cette question : 3 340 perquisitions ont été diligentées, dont 2 700, il est vrai, avant le 15 décembre 2015 et 578 armes ont été saisies, dont 428 avant cette même date. D’autres mesures administratives ont pu être utilisées comme le blocage de sites internet ou la dissolution d’associations minées par le salafisme.

Actuellement, 285 assignations à résidence sont toujours en vigueur, mais elles deviendraient caduques le 26 février prochain, sauf à inventer une nouvelle procédure juridique. Pourquoi le deviendraient-elles ? Parce que cette date marque la fin de la première période de l’état d’urgence.

Faudrait-il donc ne pas proroger l’état d’urgence au motif de la diminution, au fil du temps, du nombre de ces mesures de contrainte ? Telle est la thèse de Noël Mamère, dans le cadre de sa stratégie des paradoxes.

Je l’invite à relire François Heisbourg, conseiller spécial du président de la Fondation pour la recherche stratégique, qui rappelle que « la menace est protéiforme ». Il explique qu’un attentat d’envergure ne nécessite pas particulièrement de moyens importants, et que les cellules de combat des assassins agissent de manière indépendante, ce qui rend leur détection encore plus difficile.

À ceux qui s’inquiètent de la prorogation de l’état d’urgence, nous rappellerons que toutes les garanties ont été données, par le contrôle juridictionnel comme par le contrôle de l’Assemblée nationale et de sa commission des lois.

Le Conseil constitutionnel a d’ailleurs jugé que le législateur avait « suffisamment encadré les pouvoirs confiés à l’autorité administrative ». Mais, d’évidence, il faudra bien sortit de l’état d’urgence, afin de ne pas risquer, comme en 1961, en 1962, et en 1963, de maintenir pendant près de vingt-quatre mois un état d’exception.

Plus le temps passe, plus le contrôle judiciaire s’impose et se justifie, et plus le contrôle politique s’impose.

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