Intervention de Guillaume Larrivé

Séance en hémicycle du 16 février 2016 à 15h00
Prorogation de l'état d'urgence — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGuillaume Larrivé :

Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, faut-il proroger l’application de la loi relative à l’état d’urgence ? Oui, nous le croyons nécessaire, aujourd’hui, dans la France de février 2016, directement menacée par des islamistes terroristes, très organisés, très déterminés. Leur obsession est d’assassiner le plus grand nombre de Français. Notre obsession doit être de les neutraliser par tous les moyens de l’État de droit.

La menace, c’est l’islamisme terroriste. La menace, ce n’est pas l’état d’urgence. Car l’état d’urgence, ce n’est évidemment pas l’abrogation de l’État de droit, ni même sa suspension. L’état d’urgence n’est qu’un renforcement partiel et temporaire des pouvoirs de police administrative dont disposent les autorités gouvernementales, sous le contrôle démocratique du Parlement et sous le contrôle juridictionnel du juge administratif. L’état d’urgence est tout cela, mais il n’est que cela.

Ce qui n’avait pas été fait pendant des mois a enfin commencé à l’être, grâce à quelque 3 379 perquisitions ordonnées par les préfets, permettant de saisir 580 armes. Ces procédures d’initiative administrative ont pu avoir des suites pénales, puisque 576 procédures judiciaires ont été ouvertes, donnant lieu à 344 gardes à vue, 67 condamnations prononcées et 54 décisions d’écrou. En mentionnant ces chiffres, je ne dis évidemment pas que le régime de l’état d’urgence serait l’alpha et l’oméga de la lutte antiterroriste. Je n’ignore pas que, dans ce cadre, seules vingt-neuf procédures judiciaires ont été ouvertes sous la qualification terroriste, dont vingt-trois pour apologie du terrorisme. Mais je mesure que ces perquisitions ont permis, au fond, de donner un coup de pied dans la fourmilière, en déstabilisant des réseaux de trafics d’armes et de stupéfiants qui, à partir de la délinquance de droit commun, nourrissent les filières djihadistes.

Quelque 285 assignations à résidence sont encore en vigueur. Ce chiffre doit être évalué au regard des milliers d’individus repérés, d’une part au titre des atteintes à la sûreté de l’État au sein du fichier des personnes recherchées, d’autre part au titre de la radicalisation islamiste au sein du fichier FSPRT. Nous continuons à nous interroger, monsieur le ministre, sur le volume des assignations à résidence. À l’heure où nous débattons, plusieurs milliers d’individus connus des services de renseignement sont encore parfaitement libres de leurs mouvements sur le territoire français. Il nous semble indispensable de continuer à assigner à résidence, avec discernement, des individus ciblés par les services de renseignement. Il est tout autant nécessaire, monsieur le ministre, que vous utilisiez pleinement les pouvoirs de dissolution accélérée des mosquées salafistes et de toutes les structures qui participent à des actes portant atteinte à l’ordre public. Il ne serait pas responsable de se priver aujourd’hui de ces instruments juridiques.

Faut-il rappeler que ces pouvoirs de police administrative sont exercés sous le contrôle démocratique de notre assemblée ? La Constitution le prévoit évidemment déjà, puisque nous avons la mission de contrôler l’action du Gouvernement. Nous nous sommes organisés à cette fin. Nous avons fait, ni plus ni moins, ce que nous avions à faire. Nous sommes pleinement légitimes pour cela, puisque nous sommes la représentation nationale. Pardon de devoir le dire aussi directement à cette tribune aux professionnels du droit-de-l’hommisme twitté, aux pétitionnaires compulsifs, aux comités Théodule, aux bidules supranationaux et aux divers professeurs de vertu, qui gagneraient peut-être en crédibilité s’ils s’abstenaient de nous donner, matin, midi et soir, des leçons aussi arrogantes qu’hasardeuses.

Permettez-moi de rappeler, enfin, que le contrôle juridictionnel de l’état d’urgence s’exerce pleinement. Juger des actes de la puissance publique, c’est la mission du juge administratif et de lui seul, qui l’assume en toute indépendance, conformément à la Constitution, puisqu’il s’agit d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République. Le ministre a rappelé cette belle loi de 1790. Le Conseil constitutionnel dès 1980 a dégagé un principe fondamental reconnu par les lois de la République, selon lequel l’indépendance de la justice administrative est pleinement garantie. Quant au Conseil d’État, il a une nouvelle fois prouvé, ces dernières semaines, qu’il entendait effectuer pleinement son office juridictionnel. Il a exigé des tribunaux administratifs qu’ils exercent un contrôle entier, et non pas un contrôle limité à l’erreur manifeste d’appréciation, sur les actes administratifs pris sous l’empire de l’état d’urgence – il a donc pleinement rempli sa mission de juge. Et il a saisi le Conseil constitutionnel d’un certain nombre de questions prioritaires de constitutionnalité, saisissant ainsi ce progrès de l’État de droit que nous devons au Président Nicolas Sarkozy avec la révision constitutionnelle de 2008.

C’est dans ce contexte que sont apparues, pourtant, les déclarations de personnalités éminentes qui, exerçant des fonctions au sommet de l’autorité judiciaire, ont appelé le législateur, voire le Constituant, à conforter leur propre mission. C’est là une curieuse conception de la séparation des pouvoirs que celle qui consiste, pour une autorité constituée, à s’adresser ainsi au Constituant, à la manière des parlements d’ancien régime qui exprimaient leurs remontrances. Et c’est une lecture bien audacieuse de l’article 66 de la Constitution que d’estimer que l’autorité judiciaire serait, seule, le juge de toutes les libertés. Sa mission constitutionnelle, éminente, est celle de « la gardienne de la liberté individuelle », c’est-à-dire de la sûreté, qui garantit à chacun qu’il ne peut être arbitrairement détenu. Cela ne signifie en rien que le juge administratif, lorsqu’il est saisi d’une mesure de prévention d’un trouble à l’ordre public, ne veille pas, conformément à son office, à l’exigence du respect des libertés. Il n’est point besoin d’évoquer à cette tribune le chancelier Maupeou pour rappeler à l’autorité judiciaire qu’elle doit rester dans son champ et exercer pleinement sa responsabilité éminente, mais qu’elle n’a pas à solliciter le législateur ou à émettre des recommandations au Constituant. Elle est une autorité éminente, qui doit être respectée par les justiciables, mais elle n’est évidemment ni le Constituant ni le législateur.

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