Intervention de Véronique Descacq

Réunion du 4 février 2016 à 9h00
Mission d'information relative au paritarisme

Véronique Descacq, secrétaire générale adjointe de la CFDT :

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, merci de nous recevoir une nouvelle fois.

Nous n'aurons pas le temps, en quelques minutes, de rentrer dans le détail de l'ensemble des transformations que le numérique emporte, à la fois sur le fonctionnement de l'économie, sur celui du marché du travail et de l'emploi, et sur ses conditions d'exercice. Nous creuserons en revanche plus particulièrement la question des conséquences de la numérisation de l'économie sur l'emploi.

C'est potentiellement un phénomène majeur. Mais je mettrai deux bémols à cette affirmation. Premièrement ce n'est que « potentiellement » un phénomène majeur : la statistique publique peine en effet à nous donner des éléments de mesure sur ce qu'il représente effectivement en termes de volume. Deuxièmement, les formes d'emploi avaient beaucoup évolué dès avant l'apparition du numérique. Disons que celui-ci a accéléré des transformations déjà anciennes, aussi bien à l'intérieur du salariat qu'aux frontières de celui-ci. On est passé d'un modèle bien connu et souvent décrit, sur lequel est bâtie une grande partie de notre protection sociale – celui de l'emploi pérenne, dans la même entreprise, parfois même sur un lieu de travail unique, avec des tâches et des missions « uniques » si l'on considère les formes taylorisées de travail qui se sont développées – à des modalités éclatées du travail, qu'il s'agisse de son organisation ou des formes d'emploi. C'est particulièrement sensible depuis les années quatre-vingts, avec la très forte montée des différentes formes de précarité et l'explosion de différentes formes de contrats de travail. Même s'il revient souvent dans le débat public l'idée qu'un contrat unique serait préférable, on s'aperçoit que les acteurs de l'économie ont mis au point des contrats de travail très diversifiés : toutes sortes de CDD, mais également d'autres formes, pour répondre à de nouveaux types d'activités en dehors du salariat, le portage salarial par exemple.

Jusqu'à récemment, le législateur et les partenaires sociaux se sont efforcés avec des statuts comme le portage salarial de ramener vers le champ du salariat et de la protection du code du travail l'ensemble des travailleurs concernés par ces nouvelles formes d'activité. Mais avec l'apparition du numérique, on s'est rendu compte qu'il était sans doute vain de s'opposer au développement potentiel de celles-ci, d'autant que l'on risquait d'aller à l'encontre des aspirations de ceux qui souhaitaient plus d'autonomie, sous un statut autre que celui de salarié.

Le syndicalisme s'intéresse à ce sujet. À la CFDT, nous nous sentons même légitimes pour représenter ces travailleurs-là, et ce pour trois raisons.

D'abord parce que l'on se trouve à la frontière du salariat, et que les parcours individuels des gens les amènent à exercer tantôt sous une forme, tantôt sous une autre : comme salarié – CDD, CDI, travail porté, CDI intérimaire – et parfois hors du salariat. Cependant, on rencontre souvent les mêmes problématiques, tant il est vrai que le lien de subordination économique et celui de subordination juridique sont difficiles à démêler.

Ensuite parce que nous estimons que ces professionnels, plus ou moins autonomes, sont toujours dans un lien de subordination économique et que l'on peut se demander s'il ne faudrait pas revoir la définition du lien de subordination pour l'étendre à un lien de subordination économique. On pourrait ainsi faire bénéficier ces personnes de la protection du code du travail.

Enfin parce que, dans le passé, ces formes d'emploi ont parfois été détournées. Je me souviens que dans les années quatre-vingts, dans le secteur des métiers de la communication et du conseil, on incitait les salariés à devenir travailleurs indépendants. L'idée était de reporter l'aléa économique sur les individus plutôt que de les maintenir à la charge de l'entreprise.

Voilà pourquoi nous avons toujours considéré que nous étions légitimes à représenter ces salariés. D'ailleurs, à la CFDT Cadres, et même dans certaines fédérations particulièrement concernées, comme la Fédération des services ou la Fédération « Culture, conseil et communication », nous faisons adhérer un certain nombre de ces professionnels autonomes. Nous nous sommes du reste rendu compte que les problématiques que rencontrent ces professionnels autonomes sont parfois les mêmes que celles des salariés – négociation de la rémunération, organisation et conditions de travail – dans la mesure où leur liberté est restreinte par la dépendance économique dans laquelle ils se trouvent.

Cela étant, des revendications nouvelles sont également apparues. Les professionnels autonomes font ainsi souvent remonter un besoin d'accompagnement, mais aussi d'écoute et de dialogue autour des pratiques professionnelles que le statut d'entrepreneur indépendant ne leur apporte plus. De tels échanges sont toujours organisés pour les salariés, même pour ceux en situation de télétravail. Ne plus avoir cette possibilité est considéré comme une difficulté par les professionnels autonomes.

Face à l'ampleur nouvelle que prend ou que peut potentiellement prendre le phénomène avec le développement du numérique et des plateformes dites « collaboratives » – le qualificatif est sans doute impropre pour les travailleurs concernés –, nous avons réfléchi à certaines évolutions possibles. À la lumière des expériences passées, il est probablement vain d'essayer de faire rentrer tout ces gens dans le salariat traditionnel, et notamment parce qu'ils n'y aspirent pas forcément tous. Néanmoins, face au besoin de protection et d'intermédiation qu'ils expriment, deux pistes sont à creuser, selon nous, en profitant des opportunités du moment.

Le rapport de M. Robert Badinter qu'il est proposé de transposer dans la loi énonce un certain nombre de principes qui doivent constituer le préambule d'un code du travail plus lisible : nous pensons que lesdits principes doivent aussi être appréciés au regard des nouvelles modalités d'exercice de ces professions. D'ailleurs, dans son Livre VII, le code du travail s'adresse déjà aux professionnels autonomes.

Selon nous, ces principes ne doivent pas être envisagés à droit constant, conformément à la mission qui a été confiée à Robert Badinter, mais repensés à l'occasion de cette loi et appliqués de façon universelle à toutes les formes de travail – employabilité, protection de la santé, voire besoin d'intermédiation et échange sur les pratiques professionnelles. Par exemple, toutes les questions liées au droit d'alerte, qui concernent plus particulièrement les cadres, devraient être réexaminées en prenant en compte les professionnels autonomes et les relations qu'ils ont avec leur donneur d'ordre, dont ils dépendent essentiellement quand ils sont dans un lien de subordination économique.

Ensuite, à l'occasion de la réflexion menée autour du compte personnel d'activité (CPA), on peut aisément imaginer qu'un socle de protection sociale bénéficie également à ces professionnels. On pense bien sûr à la santé et à la complémentaire santé, dont la CFDT pense d'ailleurs qu'ils devraient bénéficier à tous les citoyens mais aussi à la formation professionnelle et à tout ce qui concourt à la sécurisation des parcours professionnels. L'universalité du CPA revient à sécuriser les travailleurs dans tous les allers et retours dont nous avons parlé tout à l'heure. Personne ne sera toute sa vie entrepreneur individuel, ni même sans doute salarié en CDI dans une grande entreprise. Il convient donc de sécuriser les passages d'un statut à l'autre. Cela suppose la sécurisation du parcours des entrepreneurs individuels. En effet, ceux-ci ne sont pas totalement indépendants lorsque demeure un lien de subordination économique avec un donneur d'ordre.

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