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Il s'agissait pour nous de réfléchir à la gouvernance de la protection sociale, d'introduire des modes de gouvernance garantissant la transparence, en vue d'améliorer l'efficacité des processus mis en oeuvre et l'adhésion des citoyens aux modifications que l'on pourrait souhaiter se faire jour.
Nous faisons dans cette note une description, que nous espérons synthétique, de la protection sociale en France. Nous avons en l'espèce découvert un univers où les rapports sur la question font tous plusieurs centaines de pages : nous avons donc essayé de nous en tenir à l'essentiel.
La France, si on la compare à d'autres pays de même niveau de développement, ne se distingue pas forcément par le niveau élevé de ses dépenses de protection sociale, mais par le niveau élevé de ses dépenses de protection sociale de nature publique, c'est-à-dire associées à des prélèvements obligatoires. C'est la vieillesse, d'une part, et la santé, d'autre part, qui, par leur masse, dominent au sein de l'ensemble des dépenses de protection sociale.
Nous avons également constaté un morcellement des dispositifs, avec plusieurs dispositifs qui couvrent les mêmes risques pour les mêmes individus. De façon générale, en tout cas pour le risque santé-vieillesse sur lequel nous nous sommes concentrés, il y a un étage de base et un étage complémentaire, lesquels sont en général assez mal coordonnés, qu'il s'agisse des mécanismes de solidarité ou de la gouvernance des dépenses.
Nous avons pointé un mélange de types de financement pour tous les types de prestations sociales, alors qu'il nous semble qu'il faut distinguer, parmi celles-ci, deux grandes catégories : les prestations contributives et les prestations non contributives.
On désigne par prestations contributives les contributions qui consistent à octroyer des revenus de remplacement en cas de perte de salaire : allocations chômage, retraite, indemnités journalières en cas de maladie ; et par prestations non contributives celles qui sont servies en rapport avec les besoins des individus, et non avec les contributions qu'ils ont pu apporter au financement de la dite prestation.
On observe – cf. le tableau présenté dans cette note – pour ces prestations, contributives ou non, un mélange des modes de financement : cotisations, impôts, taxes affectées, et ce à tout niveau. Or il nous semblerait important de prévoir un rapport entre financement et prestation, notamment en concentrant toutes les cotisations sociales sur les prestations de nature contributive.
En matière de retraite, si l'on veut qu'il y ait un débat démocratique sur l'importance du prélèvement et des prestations qui vont avec, il faut bien qu'il y ait un lien reconnu et transparent, pour le citoyen, entre l'importance du prélèvement obligatoire et les prestations qu'il ouvre en contrepartie. Or ce lien existe si le financement de ce type de prestations est de la nature d'une cotisation sociale. Rappelons que le cadre est celui du débat auquel nous avons tous assisté sur la réduction et la rationalisation de la dépense publique.
En revanche, pour la santé, par exemple, où les prestations servies sont en rapport avec les besoins, la gouvernance est très différente. En ce domaine, les instances démocratiques décident du niveau de dépenses : le panier de soins remboursés en rapport avec les innovations que l'on veut admettre au remboursement. Le niveau de dépenses est défini selon un processus qui se veut démocratique, et plus ou moins délibératif. Mais on peut très bien financer par l'impôt les dépenses de santé puisqu'il n'y a pas de rapport entre prestations et financement.
Autre point, qui est illustré dans la note par un diagramme en forme de « camembert » : il existe plusieurs étages pour les mêmes risques, et ces différents étages ne sont pas tous assujettis à la même gouvernance par le Parlement. Par exemple, une partie de l'effort de santé est discutée dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), tandis qu'une autre résulte de négociations et de décisions hors dépense publique ; ce sont celles des complémentaires santé, qui ne sont pas considérées comme des prélèvements obligatoires et qui sont facultatives pour environ la moitié de nos concitoyens.
Pour les retraites, c'est la même chose, à la différence près que l'étage complémentaire est obligatoire. Reste qu'une partie de la gouvernance des dépenses de retraite ressort du projet de LFSS, tandis que les retraites complémentaires sont discutées complètement en dehors.
La logique de ces processus de gouvernance paraît plus historique que formelle et aboutit à différents avatars qui font apparaître des contradictions. En outre, certaines décisions qui ne sont pas coordonnées posent problème.
Je dirai quelques mots sur la santé avant de passer la parole à Antoine Bozio qui interviendra plus précisément sur les retraites.
L'idée est de réfléchir à l'importance de la dépense publique de santé qui a pour objectif de donner accès aux soins à tous les citoyens sans dépenses catastrophiques et sans limites financières, autrement dit de donner accès aux soins jugés essentiels. Un tel objectif a pour contrepartie le recours à des prélèvements obligatoires.
Actuellement, la couverture des dépenses de santé est mixte : assurance maladie et assurances complémentaires. 78 % de la dépense sont couverts par l'assurance maladie – c'est l'ONDAM, l'objectif national des dépenses d'assurance maladie qui est voté dans le cadre du PLFSS ; une partie de la dépense (soit 8,5 %) est financée par les ménages sous forme de paiements directs ; et une autre partie (soit 13,5 %) est financée par les organismes d'assurance complémentaire qui sont supposés être hors dépense publique. Or cela correspond au ticket modérateur de la sécurité sociale. Celui-ci est très important en France. De fait, 30 % d'une consultation en ville ne sont pas couverts par l'assurance maladie, mais par les assureurs complémentaires. Sont ainsi couverts des soins du panier de soins, donc des soins jugés essentiels.
J'insiste sur ce point car on ne sait pas très bien quel est le périmètre cible de l'ONDAM. Il serait important selon nous de définir le périmètre des soins jugés essentiels. La répartition 78 %-13,5 % porte sur la « consommation de soins et de biens médicaux » ou CSBM, dont le périmètre est extrêmement large, puisqu'elle couvre tout, y compris des médicaments non remboursés, les dépassements d'honoraires, etc. Or l'engagement de la couverture publique pour la santé consiste à donner accès à des soins jugés essentiels. Il faudrait donc établir, pour le débat parlementaire, des statistiques qui permettent d'apprécier la couverture publique pour un panier de soins bien délimité. Pour l'instant, il y a une sorte de flou artistique en la matière.
Par ailleurs, il convient de noter la mauvaise articulation entre assurance obligatoire et assurance complémentaire. En la matière, il y a beaucoup à dire, y compris sur le paritarisme. Pour réfléchir correctement sur ces deux étages, il faut introduire une distinction au sein de ce qu'on appelle habituellement « assurances complémentaires » entre assurances réellement complémentaires et assurances supplémentaires. C'est une distinction plutôt universitaire, mais qu'il est important de comprendre. Dans les contrats couverts par les organismes complémentaires en France, il y a la couverture du ticket modérateur, donc la participation des organismes complémentaires à la couverture des soins de base, et donc du panier de soins remboursés, mais aussi la couverture d'autres soins – dépassements d'honoraires, soins hors panier ou couvertures très importantes, comme pour des lunettes, par exemple.
Si l'on veut circonscrire le panier pour lequel il y a engagement de dépenses publiques et engagement d'accès aux soins, il faut distinguer ce qui relève du panier de soins remboursables couverts par les assurances « complémentaires » et la sécurité sociale, et les autres soins couverts, quant à eux, par des assurances « supplémentaires ». Or en France, pour l'instant, cette distinction n'existe pas. Les complémentaires et les supplémentaires sont inextricablement mêlées dans les contrats. Or cela pose beaucoup de problèmes.
Ainsi, les mécanismes de solidarité ne sont pas les mêmes pour la sécurité sociale et pour les assurances complémentaires. Pour la sécurité sociale, il y a un mécanisme de solidarité : entre niveaux de revenus, avec des cotisations qui font que chacun contribue à proportion de ses revenus ; et entre jeunes et vieux parce que les soins sont servis quel que soit l'âge des personnes. La couverture est même plus importante pour les personnes souffrant d'une maladie chronique, qui sont souvent âgées, et qui bénéficient du dispositif des affections de longue durée (ALD).
Ce système a fait l'objet de nombreuses critiques. Mais on peut les contrer par un argument, qui est maintenant établi, et qui me semble pertinent, à savoir que ce système fait de la sécurité sociale une assurance de long terme : par exemple, moi qui n'ai pas de maladie chronique et qui suis jeune, je peux accepter de payer autant tout en étant moins bien couvert que quelqu'un en ALD, parce que je sais que si une telle affection survenait, je serai moi aussi mieux couvert. On peut reconnaître au système une certaine cohésion. Dans le cadre de la sécurité sociale, il existe ainsi un mécanisme de solidarité renforcé entre les jeunes et les plus âgés.
Pour les assurances complémentaires, c'est le contraire, le marché étant régulé de façon très insuffisante. La concurrence entre les assurances complémentaires passe par des mécanismes de segmentation des contrats. Cela conduit à sélectionner les risques et à définir les contrats à proportion des risques. Il en résulte des coûts d'accès aux assurances complémentaires très différents pour les jeunes et pour les personnes âgées. Pour ces dernières, ces coûts peuvent être prohibitifs : jusqu'à 8 % à 10 % de leurs revenus, pour une couverture plutôt moins bonne que pour les personnes ayant accès à une assurance de groupe.
Ainsi, le mécanisme de solidarité de la sécurité sociale se trouve inversé au niveau des complémentaires. Ces deux étages, qui sont censés couvrir les mêmes soins, obéissent à des logiques de solidarité qui se contredisent. Ce qui est fait au niveau de la sécurité sociale est défait, d'une certaine façon, au niveau des complémentaires.
Si l'on voulait imposer des mécanismes de solidarité identiques pour la partie complémentaire, cela n'aurait de sens que pour les biens du panier. Mais il faudrait d'abord bien distinguer assurance complémentaire et assurance supplémentaire et imposer des logiques de solidarité pour la première. Je précise, comme nous l'avons fait remarquer dans une autre note, que dans les autres pays, en général, il n'y a pas d'étage complémentaire – ou très peu. Il y a des assurances privées supplémentaires, qui couvrent d'autres soins que les soins du panier.
En conclusion, ces deux étages, même si ce n'est pas le sujet d'aujourd'hui, rendent difficile la recherche de l'efficience des dépenses de santé.