Sur la partie retraite, les constats sont bien connus : un système morcelé, avec une multiplicité de régimes obligatoires ; un partage entre les différents régimes de base, mais aussi entre les régimes de base et les régimes complémentaires qui sont, contrairement à la santé, des régimes obligatoires.
En théorie, la multiplicité des régimes de retraites peut se justifier. Bénéficier de la concurrence et pouvoir choisir entre différents types d'offres et de couverture retraite pourrait légitimer l'existence de différents types de régimes, de cotisations et de prise en charge. Le problème est que l'on n'est pas du tout dans ce cas de figure en France : ce sont tous des régimes obligatoires par répartition. En conséquence, leur morcèlement est très difficile à justifier.
Il en résulte de vrais problèmes de coordination entre régimes et de grandes difficultés de gestion. Ces régimes, qui sont tous dépendants les uns des autres, ne bénéficient pas de toute l'information sur les droits de leurs cotisants ou retraités dans d'autres régimes. Les décisions varient selon les régimes. Celles de l'AGIRC-ARRCO du 30 octobre dernier, consistant à introduire des taux d'abattement temporaires et une durée requise de cotisation différente dans les régimes complémentaires et les régimes de base, en offrent un bon exemple. Cette absence de coordination contribue à aggraver encore la complexité du système.
Nous avons également relevé certaines incohérences, s'agissant notamment des polypensionnés et de la façon dont la compensation démographique est organisée. Qu'est-ce que la compensation démographique ? Par exemple, en cas de stricte répartition, les mineurs retraités, en l'absence de nouveaux mineurs, n'auraient plus qu'à mourir sans retraite ! D'où la nécessité d'introduire un mécanisme de compensation. Par solidarité, on est amené à faire porter l'effort sur l'ensemble du pays. On fait comme si on avait un régime solidaire et unifié, mais en partie seulement. Si on ne le faisait pas du tout et qu'on se contentait d'une répartition stricte par régime, l'évolution démographique de chaque profession ou catégorie pourrait se traduire par des situations absolument impensables.
Je voudrais maintenant aborder un autre point, connu surtout des spécialistes et du petit milieu des experts de la protection sociale : l'essentiel du mécanisme qui a été mis en place pour pouvoir juguler les évolutions démographiques, soit la désindexation des salaires portés au compte, conduit mécaniquement à rendre l'évolution des dépenses de retraites, en pourcentage du PIB, dépendante de la croissance.
Si la croissance est suffisamment forte, c'est-à-dire si l'évolution des salaires courants est plus forte que l'évolution du salaire de référence qui sert à calculer la pension, les pensions vont baisser en pourcentage du PIB et l'évolution des dépenses va être jugulée. C'est suffisant si la croissance est exactement au niveau de l'évolution de l'espérance de vie. Mais si elle est un peu plus faible que ce qui est nécessaire pour équilibrer le système, les dépenses en pourcentage de PIB peuvent augmenter de façon très forte.
Pour illustrer mon propos, je vous renvoie à un graphique assez saisissant, que nous avons reproduit dans la note et qui est issu des travaux du Conseil d'orientation des retraites. Il montre les écarts, en termes de déficit, du système de retraite dans son ensemble pour des petites variations de taux de croissance de long terme. Ainsi, 0,1 et 0,2 point de croissance conduisent à des différences extrêmement fortes en termes d'équilibre financier.
Cela signifie que le mécanisme que l'on a choisi pour équilibrer notre système de retraite – par la désindexation des salaires – conduit à rendre notre système extrêmement dépendant de la croissance. Si la croissance de long terme, que l'on ne peut pas vraiment anticiper, se révélait non pas de 1,5 %, mais de 1,3 %, ce serait dramatique pour l'équilibre de nos systèmes de retraite.
C'est un vrai problème, au sens où il n'y a pas de raison d'avoir un système de retraite qui donne plus aux retraités, ou au contraire taxe fortement les salariés en fonction de petites variations. L'idée d'un système de retraite, c'est le partage. Le gâteau doit être partagé en fonction des éléments qui y sont, et non pas de la croissance de ce gâteau.
Cela a plusieurs effets pervers sur l'équilibre financier, et aboutit à un manque de transparence, pour les salariés actuels, sur les taux de remplacement effectifs dont ils pourront bénéficier, et qui seront par ailleurs extrêmement variables. Si vous expliquez aujourd'hui à un jeune salarié de trente à quarante ans que du fait de petites variations de croissance de long terme, ses taux de remplacement dans les régimes obligatoires peuvent varier de 10 à 15 points, vous allez créer de l'incertitude, alors même que le système de retraite est censé réduire cette incertitude.
J'en viens à nos recommandations. Nous avons voulu faire des recommandations ambitieuses, sur le long terme, pour favoriser le débat public autour de la bonne façon d'essayer de résoudre les problèmes que l'on a pu identifier, mais aussi proposer des réformes à plus court terme qui peuvent nous mettre sur le bon chemin sans avoir à engager une réforme trop ambitieuse.
Première recommandation : unifier la gouvernance des systèmes de retraite. Aujourd'hui, le fait d'avoir une gouvernance séparée rend extrêmement problématique la possibilité même d'essayer de résoudre les incohérences et les différences entre les régimes. Unifier la gouvernance ne signifie pas forcément unifier le système sur un seul modèle, avec un même type de droits, un seul taux de cotisation. On peut prévoir une fédération de systèmes, mais dont la gestion serait assurée par un seul et unique gouvernant qui pourrait être soit les partenaires sociaux, soit le Parlement. Pour nous, l'important est d'avoir une décision homogène et unique sur l'ensemble du risque vieillesse contributif, parce que c'est ainsi que pourront être corrigées les incohérences constatées aujourd'hui.
Deuxième recommandation : unifier la couverture du risque santé pour les soins du panier solidaire, et recentrer les assurances facultatives sur les soins qui sont hors du panier. Au lieu d'avoir une couverture qui couple, comme l'a dit Mme Dormont, du supplémentaire et du complémentaire, nous proposons de séparer ces deux blocs. Il y aurait un engagement du Parlement sur le panier de soins qui serait couvert avec un plafond des restes à charge. La partie supplémentaire, portant sur des soins dont la valeur socio-économique est jugée plus faible, serait totalement laissée au choix facultatif et à la prise en charge des assurances facultatives – aujourd'hui les complémentaires santé.
Troisième recommandation : refondre l'architecture de notre protection sociale. Il s'agirait de séparer beaucoup plus nettement qu'aujourd'hui le pôle contributif du pôle non contributif. Notre proposition n'est pas aussi radicale qu'il y paraît, en grande partie parce que, depuis une trentaine d'années, des évolutions nous ont rapprochés de cette situation. D'une part, il y a de plus en plus de financements de fiscalité affectée – comme la CSG qui finance en grande partie des prestations non contributives. D'autre part, les cotisations sociales qui finançaient la branche famille – qui n'est pas vraiment contributive – ont été progressivement réduites avec des allégements de charges, des dispositifs dans lesquels l'État a pris une part de plus en plus grande sur le plan financier.
Cela étant, on n'est pas allé jusqu'au bout de la logique. Or il serait bon de le faire pour pouvoir matérialiser de façon claire que les prélèvements obligatoires, qui sont élevés dans notre pays, ont pour raison d'être qu'ils financent des prestations contributives élevées qui pourraient, dans d'autres pays, prendre la forme de cotisations de retraite dans des fonds de pension. L'objectif des régimes complémentaires de retraite est exactement du même type : quel que soit le niveau de revenu, donner des taux de remplacement élevés aux salariés.
C'est une réforme globale, ambitieuse, qui ne peut pas se faire sur le court terme.
Une option à plus court terme, que l'on pense importante, consiste à revenir sur l'indexation « prix » des salaires portés au compte dans les régimes de retraite, pour basculer vers une indexation « salaire », qui réduit la dépendance à la croissance. Mais on ne peut pas faire une indexation « salaire » des salaires portés au compte sans, en même temps, prendre en compte les évolutions démographiques, c'est-à-dire ajouter un coefficient correcteur au taux de remplacement qui soit, lui, dépendant des évolutions démographiques. On peut procéder à cette rectification sans modifier le niveau des pensions, ou celui des dépenses de retraite. On se donne simplement pour objectif de rendre moins aléatoire l'évolution de nos dépenses de retraite, et les taux de remplacement effectifs que l'on peut annoncer aux salariés. Cela permettrait d'avoir un meilleur pilotage de notre système de retraite sans avoir à s'engager dans une réforme très importante. Cela rendrait en outre transparente l'évolution du taux de remplacement effectif, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.
Deuxième option : instaurer une couverture publique en plafonnant les restes à charge. Aujourd'hui, comme l'a indiqué Mme Dormont, ceux-ci peuvent être assez élevés. Fixer un plafond, permettrait d'entrer dans la logique de séparation entre assurance complémentaire et assurance supplémentaire.
Dernière option, qui nous semble la plus facile à mettre en oeuvre : présenter lors des débats budgétaires une annexe qui recouvre l'ensemble des dépenses des administrations publiques – pas uniquement les dépenses de l'État ou de la sécurité sociale – avec l'évolution de ces dépenses par différentes catégories – très difficiles à obtenir aujourd'hui. Les documents budgétaires sont découpés selon les différents aspects, et ce qui est hors couverture parlementaire, l'Unédic et les régimes complémentaires, par exemple, est souvent mis à part.