Intervention de Diana Filippova

Réunion du 4 février 2016 à 9h00
Mission d'information relative au paritarisme

Diana Filippova :

Je suis tout à fait d'accord. Avant de se demander qui réglemente, et comment le faire, il faut comprendre tous les différents modèles et bien voir que, si Uber polarise aujourd'hui toute l'attention, c'est un cas à part, qu'il faut étudier comme tel. Les autres plateformes, comme AirBnb ou BlaBlaCar, n'ont pas le même fonctionnement, même si elles sont aussi en situation de monopole. Elles ne suscitent pas forcément les mêmes interrogations, notamment en ce qui concerne le travail à la demande.

Uber pose une question qui a très bien été exposée aux États-Unis : comment recentrer la protection sociale autour de personnes employées par une plateforme et donc, indirectement, par d'autres personnes ? Qu'est-ce qui les lie ? Et comment remplace-t-on tous les bienfaits prodigués, aux États-Unis, par les entreprises ?

Au mois de novembre dernier, Tim O'Reilly, l'un des papes d'internet aux États-Unis, a organisé une conférence à San Francisco intitulée : What's the future of work ? Il se pose très sérieusement la question du bien-être, de la solidarité sociale de ces nouveaux travailleurs, de ces néosalariés – une espèce de salariat remis au goût du jour. Comme souvent aux États-Unis, la réponse est double. Il y a tout d'abord la réponse judiciaire : le juge étudie le contrat et se demande s'il recouvre vraiment une prestation de service ou si c'est un contrat de travail. La deuxième réponse sera privée. En France, ce serait le fait de syndicats, du Gouvernement, etc. Aux États-Unis, des start-ups vont proposer des services, se placer sur ces niches délaissées de protection sociale, qui ne sont aujourd'hui occupées ni par l'État ni par l'entreprise, parce que Uber ne se comporte pas comme un employeur traditionnel qui propose une mutuelle, une assurance maladie, etc. À l'occasion de cette conférence, Tim O'Reilly a notamment publié un résumé de tous les services, de toutes les start-ups qui se créent pour accompagner le travailleur à la demande : matching entre offre et demande d'emploi, suivi des heures de travail, mise en relation avec les autres travailleurs pour savoir quand le moment est opportun pour sortir sur le marché, mais aussi des choses beaucoup plus complexes : comptabilité, assurance contre la variation d'activité – c'est capital. La réponse n'est pas totalement privée, puisque Freelancers Union, un des premiers syndicats d'indépendants dans le monde, avec plus de 400 000 adhérents, organise des campagnes, prend beaucoup la parole et agit aussi en tant que représentation politique, donnant voix à cette espèce de masse inexistante, sans visage, des travailleurs à la demande – là est finalement le coeur du sujet.

Si l'on transpose la question en France, avec le renversement du rapport de force entre les salariés traditionnels et ces nouveaux types de travail complètement éclatés, on retrouve le clivage traditionnel entre outsiders et insiders, mais avec beaucoup plus de force, dans la mesure où les outsiders sont beaucoup plus nombreux, beaucoup plus visibles et beaucoup plus divers. Entre un outsider auto-entrepreneur ou chef d'entreprise dont le business est florissant et un jeune de banlieue recruté par Uber sans discrimination à l'embauche, qui va bénéficier d'un accompagnement juridique pour créer sa propre structure, il y a un gouffre ; mais, mine de rien, ils sont tous les deux du côté de ceux qui ont été obligés de recourir à une autre façon de s'intégrer sur le marché du travail, parce que le marché de l'emploi « salarié à vie-CDI-protégé » leur est fermé. Et cela n'est pas du tout lié à l'économie collaborative : c'est lié à nos politiques économiques, sociales, depuis quarante ans, au fait que nous n'arrivons pas à renouer avec la croissance, au fait qu'une croissance riche en emplois est devenue un Graal de plus en plus inatteignable et que nous avons besoin de réinventer notre modèle, notre vision du système économique français.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion