Intervention de Diana Filippova

Réunion du 4 février 2016 à 9h00
Mission d'information relative au paritarisme

Diana Filippova :

D'un point de vue un peu plus historique et macroéconomique, le salariat n'est pas une invention rationnelle du capitalisme décrétée d'un jour à l'autre pour faire fonctionner la machine ; cela s'est fait par à-coups. Vous l'avez bien rappelé : au départ, salarier, c'était une façon de casser les guildes des paysans indépendants, qui avaient leurs propres terres. La solution trouvée n'était pas de les payer plus, mais de les payer moins : quand on paie moins, les gens travaillent plus, parce qu'ils ont besoin de vivre Les tout premiers capitalistes, les tout premiers industriels ont trouvé cette parade. Le salariat est beaucoup plus pratique que le contrat indépendant : la personne est à peu près aliénée et dépendante du flux de salaire que vous allez lui donner.

Évidemment, ce n'était que le point de départ. Si nous en étions restés là, nous n'aurions pas connu les Trente Glorieuses, le capitalisme n'aurait pas survécu au XXe siècle. S'il l'a fait, c'est parce qu'on a su l'accompagner de toute une myriade de bienfaits sociaux et transformer le travail salarié en point de socialisation principal dans nos sociétés ; c'est ce point qui est important. Aujourd'hui, différents types de socialisation alternatifs sont en train de naître. C'est là le côté non-économique de l'économie collaborative : l'existence de tiers lieux au sens large, d'espaces de coworking, de choses qui rassemblent les gens autour de projets qui ne sont pas liés directement au travail salarié et qui, en fait, les sortent de ce type de socialisation secondaire.

Cela casse la prédominance, le monopole symbolique du salariat sur nos esprits ; c'est là ce qui, selon moi, est le plus irréversible, indépendamment de prévisions économiques dont nous ne pourrons vérifier la pertinence que dans cinquante ans. C'est cette fin symbolique, pour de plus en plus de personnes, notamment des jeunes générations, qui est un point de non-retour.

Si le capitalisme veut perdurer, il lui faut réinventer un modèle d'intégration des exclus, des outsiders, de ceux qui sont aujourd'hui dans les marges. S'il ne réinvente pas ce modèle de solidarité qui inclut tout le monde, il risque de connaître une crise extrêmement grave parce que, comme Arthur De Grave l'a très bien dit, les emplois qui seront créés ces 10 ou 20 prochaines années, ce sont des emplois de service très peu qualifiés, pour remplir des tâches pour lesquelles les machines sont encore trop coûteuses et l'investissement humain reste malheureusement beaucoup moins cher, pour lesquelles, surtout, les hommes restent meilleurs. Un pizzaïolo, c'est beaucoup plus rapide qu'une machine pour faire une pizza ; garder un enfant, ce sont encore les humains qui le font le mieux… Il y a donc toute cette classe de services qui est en train d'absorber les exclus et, en fait, en partie interagit avec l'économie collaborative. Cela risque de créer une classe précaire, qui ne bénéficie pas d'une formation de haut niveau, qui n'est pas techniquement évoluée, qui est enfermée dans une espèce de trappe non à pauvreté mais à stagnation ; et à côté, comme d'habitude, vous avez des élites, de plus en plus techniques, capables de se reformer, qui font partie du même monde, qui comprennent les évolutions et qui ont un temps d'avance sur les autres dans leur lecture du monde.

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