Intervention de François de Rugy

Séance en hémicycle du 23 janvier 2013 à 15h00
Situation de la sidérurgie française et européenne dans la crise économique et financière — Explications de vote

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois de Rugy :

Monsieur le président, mes chers collègues, nous étions, hier, en Allemagne. Il est de bon ton, dans notre pays, de saluer la puissance industrielle allemande. C'est en effet une réalité et cette puissance repose sur toute l'industrie, y compris les industries traditionnelles, comme la sidérurgie.

Pour nous, écologistes, la sidérurgie – certains feignent de l'ignorer – reste une industrie centrale dans la panoplie des activités de notre pays. Tout d'abord, l'Europe consomme de l'acier. Il est donc logique, rationnel, que cet acier y soit fabriqué. Ensuite, c'est un secteur important pour le nombre d'emplois qu'il représente aujourd'hui encore dans notre pays et pour le rôle qu'il peut jouer dans la transformation écologique de l'économie que nous appelons de nos voeux.

Qu'il s'agisse de développer les transports publics, et notamment l'industrie ferroviaire – dont notre pays, on l'oublie trop souvent, est l'un des leaders mondiaux –, de mettre en oeuvre des plans industriels de soutien aux énergies renouvelables, et en particulier les éoliennes, de renforcer le transport fluvial ou d'assurer le soutien à nos chantiers navals, la sidérurgie est indispensable à notre ambition économique et industrielle.

Elle représente à nos yeux une industrie stratégique, non seulement du point de vue de ses débouchés, mais également au regard des enjeux technologiques et de modification des process de production auxquels elle est confrontée. Développer la filière du recyclage de l'acier, produire des aciers de haute valeur technologique, tout en minimisant l'impact environnemental des activités sidérurgiques, ce n'est pas seulement un impératif écologique, c'est aussi une opportunité économique. Nos savoir-faire industriels doivent y trouver de nouveaux débouchés.

Les sites de production européens, et singulièrement les sites français, doivent jouer un rôle prépondérant dans l'avènement de cette nouvelle sidérurgie. Des dispositifs existent en matière de recherche-développement. Des programmes européens et des fonds affectés sont disponibles. Encore faut-il que les industriels jouent le jeu et acceptent de voir plus loin que leurs bénéfices ou le cours de bourse du moment.

En tant qu'élu de Loire-Atlantique, je connais les conséquences concrètes des stratégies de groupes industriels comme ArcelorMittal, qui a annoncé la fermeture d'une activité sur le site de Basse-Indre. Lors des débats autour de l'avenir du site de Florange, nous avons été très nombreux au sein de mon groupe à signer l'appel en faveur d'une nationalisation temporaire, le temps de trouver un repreneur, car nous pensons que ces activités sont viables.

C'est pourquoi nous nous réjouissons de l'initiative de nos collègues communistes, et nous soutiendrons cette demande de création d'une commission d'enquête. Celle-ci devra s'attacher à apporter des réponses à certaines interrogations récurrentes, non seulement pour dénoncer, mais aussi et surtout pour éviter que des erreurs ne se reproduisent, qui nous ont amenés à la situation actuelle.

Quel rôle une erreur stratégique commise par l'acteur principal de la sidérurgie française, le groupe Mittal, a-t-elle joué dans la crise actuelle ? Chacun sait qu'après le rachat d'Arcelor en 2006 – et, à l'époque nous étions nombreux à regretter qu'on ait laissé faire –, ce groupe a décidé d'investir massivement dans le secteur des mines, au prix d'un endettement colossal, qu'il fait aujourd'hui payer à la sidérurgie alors que la conjoncture s'est retournée. ArcelorMittal n'est pas pour autant une multinationale en faillite : en 2011, elle a engrangé 2,3 milliards de dollars de bénéfices, son chiffre d'affaires s'est accru de 8 % et ses revenus de 20 %.

De quelles largesses le groupe a-t-il bénéficié, en particulier au titre de la politique climatique européenne ? On le souligne généralement assez peu, mais les menaces de délocalisation, le chantage à l'emploi et les combines financières ont permis à l'entreprise de s'affranchir de ses obligations en matière de réduction des émissions de gaz carbonique. Dans tous les pays européens où il est installé, le groupe Mittal s'est vu délivrer gratuitement un montant faramineux de ces permis de CO2 qui s'échangent en bourse, lui permettant d'accumuler un trésor de guerre évalué à 1,9 milliard d'euros. Ces « droits à émettre » concernent parfois des sites industriels dont l'arrêt a été décidé peu après l'adjudication des permis, comme c'est le cas à Seraing en Belgique. Flouées, les autorités ont regardé Mittal passer à la caisse, car la revente d'une petite partie de ces quotas a déjà rapporté au groupe 70 millions d'euros en 2010 et 105 millions en 2011.

La commission d'enquête devra également établir les conditions dans lesquelles le groupe Mittal bénéficie de crédits au titre du crédit d'impôt recherche.

Oui, toutes ces questions devront être au coeur des travaux de la commission, mais il faudra aller plus loin, et s'interroger également sur les raisons de l'impuissance des États à combattre cette stratégie de restructuration menée à l'échelle mondiale et à marche forcée, une stratégie qui met en concurrence les sites de production et les États à travers leurs normes sociales et environnementales, leurs régimes fiscaux et leurs aides publiques.

Ne pas s'interroger sur les conditions de l'intervention de la puissance publique, ce serait se résoudre à assister à la lente disparition de la sidérurgie en Europe, les interventions publiques ne faisant que reculer les échéances.

Au cercle vicieux de Mittal, l'Europe doit opposer un cercle vertueux fondé sur l'innovation, la performance énergétique et carbone, la responsabilité sociale, la régulation du commerce mondial, bref la compétitivité par le haut. Pour ce faire, les travaux de la commission pourront constituer un socle utile. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)

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