Intervention de Bernard Cazeneuve

Séance en hémicycle du 23 janvier 2013 à 15h00
Débat sur les politiques industrielle et commerciale européennes

Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé des affaires européennes :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je serai bref, de façon à nous laisser le temps de débattre de la politique industrielle et commerciale de l'Union européenne. Par souci de complémentarité avec Mme la ministre, je vais insister sur les aspects de politique industrielle.

D'abord, quand on évoque le rôle des institutions européennes en matière de politique industrielle, on ne peut se dispenser de constater qu'il y a quelque temps encore, évoquer ce sujet au sein de l'Union européenne était incongru. Il a en effet fallu attendre octobre 2010 pour entendre une véritable communication sur les politiques industrielles portées par l'Union européenne, qui témoigne de la volonté de celle-ci de se doter d'outils et d'orientations claires en la matière.

J'insisterai sur les outils qui peuvent et doivent être mobilisés, selon le souhait du Gouvernement. Si nous voulons atteindre les objectifs que s'est assignés la Commission – à savoir que l'industrie représente 20 % du PIB de l'Union européenne dans les années qui viennent –, nous ne devons, en effet, rien négliger et mobiliser toutes les ressources qui sont à notre disposition.

Le premier outil dont nous disposons, ce sont les budgets dont l'Union européenne se dote en vue de la croissance et de l'emploi. Je ne reviens pas sur le pacte de 120 milliards : il peut être utilisé en faveur de l'industrie, grâce notamment à trois dispositifs. Le premier correspond aux fonds structurels : une enveloppe de 55 milliards avait été budgétée à l'occasion du précédent cadre financier sans être mobilisée. Elle peut l'être désormais, et ce au service d'outils qui, sur les territoires, peuvent accompagner l'innovation, les transferts de technologies et le développement d'un certain nombre d'entreprises organisées au sein de filières. De plus, l'organisation elle-même des filières industrielles portées par les régions peut faire l'objet d'un accompagnement au titre de la mobilisation des fonds structurels. Il en est de même pour le FSE, qui peut accompagner la modernisation des ressources humaines des entreprises des filières concernées. Il faudra donc utiliser cette enveloppe de 120 milliards dans les territoires.

S'agissant de la France, 2,5 milliards de fonds structurels sont d'ores et déjà garantis et nous escomptons 7 à 8 milliards d'euros de retour des prêts de la BEI. Nous savons également qu'au titre des obligations de projets, le secrétariat général pour les affaires européennes s'est mobilisé pour que des projets industriels puissent s'inscrire dans ces perspectives.

Deuxième outil : le projet de budget de l'Union européenne pour la période 2014-2020. Les 120 milliards du pacte ne sont pas pour solde de tous comptes : il doit y avoir une suite. Le budget de l'Union européenne, qui sera acté, nous l'espérons, à l'occasion du Conseil européen des 7 et 8 février, doit permettre de mobiliser des moyens significatifs au profit de la politique industrielle.

Au titre de la rubrique 1A de ce budget, nous disposons, selon les propositions de la Commission, de 139 milliards d'euros qui peuvent être mobilisés au service des objectifs de l'Europe 2020 : développement des PME-PMI sur les territoires et soutien de la politique industrielle. Sur ces 139 milliards d'euros, un certain nombre de moyens seront affectés plus particulièrement au développement des PME-PMI – notamment les 2,5 milliards du programme COSME consacrés à l'accompagnement de celles qui souhaitent se développer sur les territoires.

Il m'arrive d'entendre dire que le budget consacré par l'Union européenne à la croissance serait en diminution. Or il est passé de 90 milliards à 139 milliards, augmentant de 50 %, en complète cohérence avec la déclaration de l'Union européenne d'octobre 2010. Si aucune coupe supplémentaire n'est imposée à l'occasion des négociations du mois de février, l'augmentation des moyens alloués à la politique industrielle sera donc bel et bien significative.

En outre, le programme Connecting Europe voit ses budgets augmenter de 400 % : le plancher, très bas dans ses débuts, est passé de 8 milliards à 40 milliards. On constate donc que, dans le domaine de l'équipement numérique des territoires, qui n'est pas neutre en matière de compétitivité industrielle et économique, de transition énergétique et de développement des transports propres, les enveloppes sont fortement dopées.

Par ailleurs, je veux insister sur la nécessité d'organiser une réflexion par filières. La politique industrielle ne peut pas se réduire à une articulation de budgets alloués à des politiques. Encore faut-il que ces politiques soient cohérentes. Sur ce sujet aussi, nous pouvons observer un progrès, certes moins rapide que nous aurions pu l'espérer.

L'Union européenne a décidé d'organiser une réflexion sur les filières stratégiques et sur celles qui appellent des décisions et des orientations particulières. Prenons l'exemple de la sidérurgie, qui représente plus de 350 000 emplois en Europe, répartis dans 23 pays : les interrogations portent sur les surcapacités et sur la nécessité de moderniser l'appareil industriel sidérurgique – notamment via le dispositif ULCOS, souvent évoqué à propos de Florange, qui permettrait de contenir le CO2 produit par les hauts-fourneaux – de manière à pouvoir développer l'activité sidérurgique en Europe, dans des conditions davantage respectueuses de l'environnement.

Un groupe de travail, associant les États, les industriels et les organisations syndicales, a été mis en place par le commissaire Tajani, dont les objectifs sont de réfléchir à ce que pourrait être une politique européenne de la sidérurgie. Nous soutenons cette initiative. J'ai proposé à Arnaud Montebourg d'examiner dans quelles conditions nous pourrions accueillir ce groupe de travail au mois de mars ou d'avril en France, afin de voir comment se déclinent ces réflexions et comment nous pourrions les articuler à nos politiques nationales – qu'il s'agisse du plan de compétitivité de croissance et d'emploi ou de l'accompagnement par la BPI d'un certain nombre d'entreprises qui souhaitent se moderniser.

Il en va de même pour l'automobile, avec le groupe Cars 2020, qui développe une réflexion de filières, dans le domaine de l'industrie automobile, notamment celui de l'électro-mobilité. La lettre signée par Arnaud Montebourg et le ministre luxembourgeois, envoyée à tous les ministres de l'industrie, a suscité l'intérêt d'une dizaine de pays européens, autour des orientations de politique industrielle que la France se proposait de porter au sein de l'Union.

Il convient donc de bien utiliser les budgets, de bien intégrer les orientations annoncées par la Commission dans sa communication d'octobre 2010, de commencer à développer une activité de filières et, enfin, d'essayer de faire en sorte que nos industries se protègent.

Il ne s'agit pas de les protéger du libre-échange : nous sommes libre-échangistes, nous croyons à la nécessité de développer le commerce international. Lorsque nous rappelons la nécessité de mettre en place le juste échange, Nicole Bricq, moi-même et les autres ministres français concernés entendons souligner qu'il est indispensable d'élaborer des règles, de les faire vivre et de les mettre en oeuvre pour permettre au commerce international de se développer dans un contexte qui soit juste et qui garantisse les intérêts de nos industries.

Je vais donner un exemple très concret de sujets sur lesquels les choses ont progressé : les directives relatives aux marchés publics et aux concessions. Le gouvernement français a obtenu des résultats tangibles au cours de la négociation. Celle-ci n'est pas encore achevée, mais ils sont intégrés dans les textes, on voit que les autres pays de l'Union et les institutions européennes ont manifesté de l'intérêt à nos propositions. Qu'avons-nous obtenu ? Tout d'abord, que les offres anormalement basses puissent être écartées dès lors qu'elles reposent sur des conditions de chiffrage ou des distorsions de concurrence entre États qui pénalisent notre industrie. Deuxièmement, nous avons obtenu que quand les industries d'un pays candidates à un marché public présentent dans leur offre 50 % de matières, de produits ou de contributions émanant d'États tiers auxquels ne nous lient pas des accords, et que manifestement ces 50 % résultent de la mise en oeuvre de clauses sociales ou environnementales qui ne correspondent pas aux standards européens, il puisse en être tenu compte pour écarter l'offre. Nous allons ainsi progresser, notamment à travers cette disposition, dans la prise en compte des conditions sociales et environnementales qui président, aux frontières de l'Europe, à l'élaboration d'un certain nombre de produits susceptibles de venir sur le marché européen et d'y créer une situation de distorsion de concurrence complète du fait de notre haut standard de protection sociale et environnementale.

Je veux également indiquer qu'il a été acté que quand les États n'ont pas ouvert leurs marchés publics à nos propres entreprises, nous aurons la possibilité de faire de même à leur égard. Cela préside de plus en plus à nos réflexions dans la négociation des accords de libre-échange. Il doit y avoir un parallélisme des formes dans les conditions dans lesquelles s'effectuent l'ouverture des marchés publics et des barrières douanières, qu'elles soient ou non tarifaires, si nous voulons éviter d'exposer nos industries et que les efforts que nous faisons pour structurer une politique industrielle ne soient ruinés par des distorsions de concurrence dues au fait que nous n'aurions pas veillé à l'élaboration de règles pour un commerce juste et équitable.

Dernier point : la nécessité de bien faire comprendre quelle est notre position sur de tels sujets. Nous voyons que les choses progressent, et la meilleure manière de les faire progresser plus encore, c'est d'acter ce qui a été engrangé et d'avoir, avec l'Union européenne, la volonté d'aller plus loin. Ce n'est pas en remettant en cause le libre-échange, les relations avec l'Union ou même avec l'OMC de façon déclaratoire et unilatérale que la France parviendra à consolider davantage encore ce qu'elle obtenu. C'est pourquoi il faut être attentif à la manière dont nous gérons les mesures antidumping, mesures auxquelles nous sommes attachés : nous devons être extrêmement vigilants à ce qu'elles s'appliquent lorsque c'est nécessaire – car il est arrivé que nous ayons des difficultés à cet égard – tout en devant absolument comprendre qu'elles ne peuvent pas s'appliquer en dehors du respect des procédures européennes. Ainsi, avant d'enclencher une procédure de sauvegarde, il y a une période d'observation au terme de laquelle l'on voit quel est l'impact de la fin des mesures de protection, des mesures antidumping, sur l'industrie concernée, et s'il y en a effectivement un, on est en droit d'utiliser ladite procédure. Mais ces étapes doivent être respectées, il est impossible de les brûler. On ne peut pas non plus demander l'application de ces procédures sans discernement ni sans s'être assuré que nous sommes légitimes à les évoquer. Il faut les évoquer systématiquement mais seulement à ces conditions, sinon nous perdons de la crédibilité. C'est dans une telle stratégie, qui doit être à la fois maîtrisée, mesurée et équilibrée, que réside une grande partie de l'efficacité des démarches que la France engage.

Voilà ce que je voulais dire des sujets qui relèvent de la politique industrielle et des progrès qui ont été accomplis au sein de l'Union européenne.

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