Ainsi que vous l'avez rappelé en introduction, madame la ministre, le protectionnisme est une impasse historique. Le libre-échange total et aveugle l'est tout autant, raison pour laquelle cette majorité et le Président de la République se sont dotés de ce qui, plus qu'un slogan ou une doctrine, constitue le premier acte de la ligne de négociation que vous présentez dans nos différentes instances, à savoir le concept de juste échange.
Je souhaite aborder ce concept de juste échange à propos du cas des pays d'Afrique, Caraïbes et Pacifique, dits ACP, et de ce que l'on appelle communément les accords de partenariats économiques, ou APE, visant à développer les objectifs de libre-échange. Ils sont officiellement destinés à améliorer l'environnement des entreprises, à créer des marchés régionaux et à encourager une bonne gouvernance économique grâce à une coopération régionale renforcée dans le domaine commercial.
À ce jour, seul un APE complet a été signé et mis en oeuvre, et l'Union européenne continue à octroyer des préférences commerciales unilatérales à certains pays ACP. Vous avez rappelé la volonté du Président de la République, du Gouvernement et de cette majorité d'obtenir plus de temps. Or, la Commission européenne souhaite mettre un terme à ce traitement préférentiel et a proposé la date du 1er janvier 2014 pour que les négociations aboutissent.
Comme l'ont souligné le Président de la République et la plupart des pays de l'ACP, qu'ils fassent ou non partie des pays les moins avancés, ce délai est manifestement trop court au regard des contextes, des conditions et des contenus de ces accords.
Les APE prévoient la libéralisation de 90 % des échanges entre l'Union européenne et les pays ACP, avec 100 % d'ouverture du marché européen et 80 % pour celui des ACP. Ceux-là pourront par conséquent protéger 20 % de leur marché en désignant des produits sensibles, ce qui soulève de grandes discussions sur les secteurs à protéger compte tenu de la faible marge de manoeuvre que laisse ce chiffre.
Les pays ACP, ainsi qu'ils l'ont déclaré à plusieurs reprises, ne sont pas prêts, et la mise en oeuvre de tels accords entraînera un choc fiscal, agricole et industriel, ainsi que sur la balance des paiements, d'une ampleur telle que nos partenaires ne pourront s'en remettre.
Pour illustrer très rapidement ce propos, j'indiquerai qu'il est difficile de défendre l'accroissement des échanges entre la zone ACP et l'Union européenne tout en défendant l'intégration de marchés régionaux. Il suffit d'analyser la manière dont cela s'est déroulé au cours des vingt années précédentes, notamment avec le rétrécissement de la part de marché des pays ACP au sein de l'Union européenne qui, en 20 ans, est passée de 7 % à 3 %.
Je citerai de même l'exemple très connu des tomates du Ghana : alors que celles-ci constituaient une culture vivrière importante pour le nord du pays, les importations de tomates sont passées dans les années 1990 de 3 600 tonnes à 24 000 tonnes en moins de 15 ans, en dépit d'un accord sectoriel par produit.
Pour conclure, je rappelle qu'il a fallu 50 ans à l'Union européenne pour atteindre par étapes, et en ayant quelquefois recours à diverses barrières, progressivement levées, ce niveau d'intégration dans le marché mondial. Comment pouvons-nous demander aux pays de l'ACP d'y parvenir dans les mêmes conditions en seulement quelques années ?
Quelles sont aujourd'hui les orientations défendues, en plus du report de la date du 1er janvier 2014 ? Comment se passent actuellement les négociations ?
L'actualité brûlante en Afrique subsaharienne nous rappelle l'importance de cet enjeu : la coopération économique, le co-développement et l'intégration des marchés régionaux doivent être soutenus et préférés à une ouverture libre-échangiste, aveugle et totale, contrairement à ce qui a pu être préconisé par le passé dans le cadre des APE – avant, du moins je l'espère, la remise en équilibre de la négociation par ce gouvernement.