Vous avez dit une chose tout à fait juste, mais qu'on peut retourner : l'Allemagne fait les trois quarts de son commerce extérieur avec l'Union européenne, mais le commerce extérieur des États-membres est intra-européen à plus de 60 %. Les deux tiers du commerce se font à l'intérieur de l'Europe, ne l'oublions pas, et l'Europe, pour nous Français, est notre premier marché : c'est notre marché de proximité. Ce n'est pas un problème lié à l'euro : tout à l'heure Bernard Cazeneuve a cité les chiffres qui nous différencient de l'Allemagne.
Il est vrai que la Chine a utilisé la monnaie pour accompagner sa croissance et son rattrapage industriel, mais maintenant elle pourrait faire mieux. J'observe tout de même que ce débat a été très prégnant aux États-Unis mais que les Américains ne parlent plus du réalignement du yuan, parce qu'ils ont retrouvé eux-mêmes un dynamisme peut-être fragile mais que l'Europe n'a pas retrouvé. Je crois qu'il faut se battre pour que la croissance revienne en Europe : c'est la priorité n° 1 du Président de la République et de nous tous dans les discussions que nous avons avec nos partenaires.
Monsieur Liebgott, vous avez parlé du projet Terra Lorraine. Il est connu, je sais que le président du conseil général de votre département y est favorable mais, vous l'avez rappelé avec insistance, c'est un projet privé. Il pose le problème des investissements chinois en France. Moi je préfère un projet que j'ai eu l'honneur de découvrir quand je suis allée en Bretagne il y a quinze jours : quand une grande entreprise chinoise, Sinutra, vient en Bretagne pour faire une unité de production de lait en poudre, parce qu'elle sait qu'en France elle aura une qualité sanitaire exceptionnelle et reconnue au plan international, qu'elle investit 100 millions et crée cent soixante emplois, là je dis oui. J'ai passé deux journées en Chine et je suis rentrée ce matin : j'ai appelé à des investissements chinois dans le secteur industriel.
J'observe aussi une chose : les Chinois veulent absolument entrer en Europe au niveau des télécommunications. Officiellement – je ne sais s'il faut que ce soit inscrit au compte rendu – l'Allemagne a comme nous une position défensive. Mais c'est là qu'on retrouve le principe de réalité, madame Bechtel. Il y a deux grands groupes chinois dans les télécoms, Huawei qui est connu internationalement et ZTE. L'un est très ouvertement un groupe d'État, l'autre est quasiment un groupe d'État. L'Allemagne dit des choses, mais dans la réalité ZTE est très présent en Allemagne. Faisons attention, parce que la réalité quelquefois nous éloigne du discours et qu'il y a une compétition féroce dans ce domaine entre le Royaume-Uni, la France et l'Allemagne. Moi je préfère des investissements dont je connais l'objet, c'est l'économie réelle. Je n'en dirai pas plus là-dessus. Les collectivités locales sont libres de fournir des facilités à des entreprises : c'est leur liberté.
Mme Rabin m'a dit que j'étais souvent seule, mais je n'ai pas dit cela : j'ai dit qu'on pouvait partir d'une position minoritaire et arriver à une position majoritaire, c'est-à-dire bâtir des compromis avec nos partenaires européens. Ce n'est pas spectaculaire, cela ne se fait pas à coup de déclarations mais dans les enceintes communautaires et par les contacts bilatéraux que nous avons. On peut y arriver, même si c'est difficile.
Vous avez évoqué le recours à des instruments défensifs : il faut bien sûr le faire chaque fois que c'est possible, mais à bon escient, car il peut y avoir des représailles.