Intervention de Yann Galut

Réunion du 16 février 2016 à 16h15
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaYann Galut, rapporteur pour avis :

Au vu de la situation, c'est à juste titre que le Gouvernement a souhaité travailler en urgence sur ce texte. Mais cette urgence nous impose des délais très serrés, et je vous proposerai de renvoyer à la séance publique l'examen de plusieurs amendements qui doivent encore être travaillés, en relation notamment avec le Gouvernement.

Notre commission s'est saisie des articles 12 à 16 et de l'article 33.

L'article 12 crée une nouvelle infraction dans le code pénal réprimant le trafic de biens culturels issus de zones d'action de groupes terroristes. Cette disposition, éminemment nécessaire au vu des événements récents, reste la plus éloignée de la matière financière qui intéresse notre commission.

L'article 13 est fondamental. Il vise à plafonner le montant rechargeable en monnaie électronique sur des supports dits « cartes prépayées », et à imposer le recueil d'informations relatives à leur utilisation. Cet article ne constituera pas un frein au développement de ces supports qui sont vecteurs d'innovation et représentent une utilité pratique incontestable, y compris pour des personnes modestes et pour les jeunes. La volonté du Gouvernement est bien de lutter contre les cartes anonymes et non traçables, afin d'empêcher leur utilisation à des fins de blanchiment ou de financement du terrorisme.

L'article 14 prévoit une nouvelle modalité d'action pour la cellule française de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, appelée Tracfin (traitement du renseignement et action contre les circuits financiers). J'insiste sur l'importance de cet article, qui suscitera certainement des débats entre nous et que je vous proposerai d'amender.

Il sera désormais possible à Tracfin de signaler aux professionnels assujettis au dispositif de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme des situations générales – comme une zone géographique – ou individuelles – comme une personne physique ou morale –, afin qu'elles fassent l'objet d'une attention particulière. Il s'agit d'un changement de méthode : dans ces cas, ce ne sont plus les professionnels qui signaleront des situations à Tracfin, mais Tracfin qui va désigner des individus ou des zones géographiques. Dans le texte, ce signalement prend la forme d'un appel à vigilance n'impliquant pas la mise en oeuvre d'une vigilance renforcée, mais plutôt d'une vigilance ciblée. L'appel à vigilance est limité à une durée de six mois renouvelable.

L'article 15 concerne également Tracfin, dont il étend le droit de communication aux gestionnaires d'un système de cartes de paiement ou de retrait, tels que le groupement d'intérêt économique CB (Carte Bleue) ou les sociétés Visa et Mastercard. Ces derniers devront désormais lui transmettre les informations et pièces demandées.

L'article 16 devrait susciter parmi nous un débat, car il est l'un des plus importants de ce projet de loi. Il étend à la matière douanière le mécanisme de renversement de la preuve de l'origine illicite des fonds prévu par le code pénal, dès lors qu'il est avéré que l'objectif premier de l'opération visée par les douanes est la dissimulation de l'origine des fonds. Cette mesure permettra, si elle est adoptée, de faciliter l'action des services douaniers en matière de lutte contre le blanchiment douanier.

Le chapitre II du titre III ne comporte que l'article 33, dont seul le I intéresse notre commission. Les 1° et 3° du I autorisent le Gouvernement à procéder par voie d'ordonnance pour transposer en droit interne la directive européenne du 20 mai 2015, dite quatrième directive anti-blanchiment, ainsi que le règlement européen portant sur les informations accompagnant les transferts de fonds.

La France ayant toujours privilégié une transposition maximale des instruments européens, notre droit est déjà largement en conformité avec les prescriptions du quatrième paquet anti-blanchiment. C'est ainsi le cas en ce qui concerne les dispositions relatives à l'analyse des risques ou aux garanties d'autonomie opérationnelle et d'indépendance des cellules nationales de renseignement financier, dont Tracfin jouit déjà. De même, en matière de sanctions, notre droit est d'ores et déjà plus contraignant que ce qu'impose l'harmonisation a minima de la Commission européenne.

Cependant, quelques modifications substantielles seront nécessaires pour améliorer nos outils de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme.

En matière d'obligation de vigilance renforcée sur les personnes politiquement exposées, notre droit sera impacté par la nouvelle définition qui inclut désormais les personnes résidant sur le territoire national.

La France devra également renforcer les mesures de vigilance requises en matière d'utilisation de la monnaie électronique anonyme, en abaissant les seuils de prise d'identité du client aux cartes non rechargeables de moins de 250 euros et aux versements en espèces supérieurs à 100 euros.

La France devra rapidement mettre en place un registre des bénéficiaires effectifs des personnes morales et des trusts, centralisé et largement ouvert, qui imposera une modification substantielle de la législation nationale.

Enfin, la directive étant un socle minimal de dispositions à transposer, elle donnera l'opportunité aux pouvoirs publics de renforcer la réglementation. Le plan national de lutte contre le financement du terrorisme, présenté par M. Michel Sapin le 18 mars 2015, est une illustration de la volonté du pays d'être un moteur dans le renforcement des dispositifs de lutte contre le blanchiment.

Enfin, les autres dispositions du I de l'article 33 visent à permettre au Gouvernement de prendre d'autres mesures liées à la lutte contre le financement du terrorisme. Il s'agit d'assujettir de nouvelles professions aux mesures de prévention du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme ; de renforcer le rôle des organismes intervenant dans la lutte contre le blanchiment, notamment la commission nationale des sanctions et Tracfin ; d'améliorer les mesures nationales relatives au gel des avoirs en étendant le champ du dispositif quant aux personnes et aux biens susceptibles d'être visés.

Après cette présentation du projet de loi, permettez-moi de vous détailler les propositions que je fais en tant que rapporteur, et dont je considère qu'elles viendront utilement renforcer et sécuriser notre corpus juridique de lutte contre le financement du terrorisme et le blanchiment de capitaux.

En ce qui concerne les cartes prépayées, je proposerai un amendement pour fixer un plafond au rechargement en monnaie non traçable, telle que les espèces ou la monnaie anonyme. Ce plafond, qui sera fixé par décret, pourrait correspondre au seuil de paiement en espèces, récemment abaissé à 1 000 euros. Par ailleurs, en vue de la séance publique, je déposerai un amendement visant à s'assurer que les dispositions de l'article 13 sont des mesures de police qui devront aussi s'appliquer aux cartes distribuées par des opérateurs étrangers.

Le changement de paradigme qu'impliquent les nouvelles modalités de communication entre Tracfin et les banques impose de sécuriser l'environnement juridique de ces dernières, afin que leur collaboration avec les autorités dans la lutte contre le financement du terrorisme puisse se poursuivre dans les meilleures conditions. Je rappelle que les établissements de crédit effectuent 80 % des déclarations de soupçon à Tracfin. Je proposerai trois amendements visant à étendre l'exonération de responsabilité pénale et civile dont ils bénéficient par ailleurs au nouveau cas de l'appel à vigilance de Tracfin. Ce n'est pas une novation juridique, mais l'extension du champ actuel de l'exonération de responsabilité aux nouveaux cas de figure envisagés dans le projet de loi.

Par ailleurs, eu égard à leur obligation de recueillir des éléments d'identification de leurs clients, je souhaite qu'en cas de doute sur l'authenticité des pièces présentées par leur client, les établissements puissent interroger les gestionnaires des fichiers de police recensant les documents perdus ou volés. J'attire votre attention sur le fait qu'il ne s'agit pas d'une possibilité d'accès direct aux fichiers.

Les moyens d'action donnés aux douanes constituent un volet important du projet de loi, qui devrait donner lieu à débat entre nous et avec le Gouvernement. Ils participent de la volonté d'impliquer plus directement les services des douanes dans la lutte contre le crime organisé en facilitant la reconnaissance du délit de blanchiment douanier. Cette évolution va dans le bon sens, et les améliorations que je propose ont pour objectif d'approfondir l'implication des douanes en leur donnant des moyens d'action renforcés.

Le premier élément concerne l'obligation déclarative à laquelle est soumise toute personne sortant du territoire français avec une somme d'argent liquide supérieure à 10 000 euros. Cette obligation est essentielle, car, on le sait désormais, les organisations terroristes ont massivement recours au microfinancement et aux transferts d'argent liquide. Le Gouvernement s'est d'ailleurs saisi de cette problématique sur le territoire national en limitant, dès le mois de septembre dernier, les paiements en liquide à 1 000 euros.

Dans ce contexte, le seuil de 10 000 euros me paraît un peu trop élevé. Concernant les échanges extracommunautaires, nous sommes tenus par la réglementation européenne. Mais dans le cas des transferts intracommunautaires, je propose un amendement visant à abaisser ce seuil à 5 000 euros. J'ai conscience des difficultés que peut poser la décorrelation des deux seuils, c'est pourquoi je souhaite en débattre avec vous. Comme vous le savez, la Commission européenne a présenté, le 2 février dernier, un plan de lutte contre le financement du terrorisme, et j'appelle de mes voeux une évolution de la réglementation permettant aux États membres d'abaisser ces seuils. La traçabilité est, en effet, devenue l'un des enjeux majeurs de la lutte contre le financement du crime organisé et du terrorisme.

Par ailleurs, il est nécessaire de renforcer l'obligation déclarative en prévoyant que celle-ci sera considérée comme inexécutée si elle est fausse ou incomplète. J'ai déposé un amendement en ce sens. Il serait possible d'aller plus loin en exigeant des pièces justifiant de l'origine des fonds.

Au-delà des modalités de déclaration, il est important de réfléchir aux suites à donner en cas de manquement à cette obligation déclarative. En l'état du droit, ce manquement est une simple contravention sanctionnée par une saisie égale au quart de la somme non déclarée. Ce dispositif ne me paraît pas assez dissuasif au regard de l'importance stratégique que peuvent revêtir les transferts en liquide. En l'absence de faisceau d'indices permettant de basculer sur le délit de blanchiment douanier, la personne repart avec 75 % de la somme. Les retours du terrain, confirmés par la direction générale des douanes, rapportent des cas dans lesquels les douaniers ont été obligés de restituer des sommes importantes à des individus fichés « S » et placés sous mandat d'arrêt international. Ainsi, en dehors du recours à la police judiciaire, les douanes se trouvent dénuées de moyens d'action autonomes dans des situations où la sécurité nationale et internationale sont en jeu. Je propose donc un amendement permettant de saisir la totalité du montant déclaré. Il s'agirait, bien sûr, d'un montant maximal qui n'a pas vocation à être atteint systématiquement.

En vue de la séance publique, je travaille à un amendement allant encore plus loin en proposant de faire du manquement à l'obligation déclarative un délit autonome puni d'un an d'emprisonnement maximum. L'élévation au niveau de délit permettrait, en effet, aux douaniers constatant l'infraction de procéder à une retenue douanière de vingt-quatre heures.

Toutefois, l'obligation déclarative ne suffit pas à s'assurer de l'origine licite des sommes. Les organisations terroristes remplissent de plus en plus souvent leurs déclarations en bonne et due forme, ce qui les préserve dans les faits de tout contrôle. Prenons l'exemple d'une personne faisant l'objet d'une fiche S et visiblement en route pour la Syrie avec une mallette de 200 000 euros déclarés. Les douaniers n'ont aucun moyen d'action s'il n'y a pas d'infraction douanière car on est donc en dehors des cas de blanchiment. Dès lors, il y a un vide juridique à combler.

Cette relative impuissance de la douane administrative et judiciaire en matière de lutte contre le terrorisme n'est pas adaptée au monde d'aujourd'hui et à l'évolution de la menace. La construction européenne et la mondialisation ont fait tomber les frontières, mais le terrorisme est parallèlement devenu une entreprise internationale. En temps voulu, face au développement international du trafic de stupéfiants, nous n'avons pas hésité à l'inclure dans le champ de compétence des douanes. Il ne faut pas hésiter aujourd'hui à faire de même pour le financement du terrorisme. Les transferts financiers transfrontaliers, notamment en liquide, relèvent de la compétence des douanes et sont un instrument puissant de financement du terrorisme. Il serait donc dommage de se priver d'une partie de nos forces, par incapacité à décloisonner les compétences sur des sujets qui relèvent de la sécurité nationale et internationale.

Je sais qu'il s'agit d'un sujet sensible, notamment pour la police judiciaire, et que cela implique un changement de paradigme pour la douane. C'est pourquoi j'ai décidé, au vu de l'urgence dans laquelle nous étudions ce texte, de réserver ces amendements pour la séance publique. Je pose aujourd'hui les termes du débat en vue d'y revenir à ce moment-là, et pour laisser au Gouvernement le temps d'examiner les amendements que je propose. Il va de soi que mon objectif n'est absolument pas de mettre en difficulté le Gouvernement sur un texte qui doit pouvoir recueillir un assentiment unanime.

À la frontière, toujours mince, des libertés publiques, du secret des affaires et du combat contre le crime, la lutte contre le financement du terrorisme aborde un nouvel enjeu : celui de la coopération renforcée entre ses acteurs, nationaux comme européens. Durement frappée et encore menacée, la France se doit d'être toujours une force de proposition crédible et déterminée en la matière.

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