Intervention de élisabeth Hubert

Réunion du 10 février 2016 à 16h15
Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

élisabeth Hubert, présidente de la Fédération nationale des établissements d'hospitalisation à domicile, FNEHAD :

J'irai dans le sens du rapport de la Cour des comptes, sur la nécessité de développer l'hospitalisation à domicile comme sur l'identification des facteurs qui freinent ce développement et sur les défauts que peuvent avoir les établissements d'HAD et les manières d'y remédier.

D'abord, on constate une évolution sociétale : de plus en plus de patients souhaitent être soignés le plus près possible de leur domicile, voire à leur domicile lorsque c'est techniquement possible. Les avancées inscrites dans les différents textes législatifs adoptés en 2015 vont dans ce sens. C'est un premier élément, qu'il convient de souligner.

Ensuite, notre souci est d'améliorer l'égalité territoriale devant les soins. On sait les incidences que peuvent avoir les problèmes de démographie médicale. Nous inscrivons le développement de l'hospitalisation à domicile dans un contexte territorial afin qu'elle soit présente en tous lieux, fussent-ils les plus isolés et les plus compliqués à desservir.

J'en viens au contexte professionnel. L'hospitalisation à domicile est un élément qui, du fait de son mode de fonctionnement, connaît peu, dans les faits, la transversalité qui devrait pourtant lui être consubstantielle. Nous avons en effet été amenés à « tunnéliser » les interventions des acteurs de santé, alors même que le succès de l'hospitalisation à domicile repose sur la bonne coordination des différents professionnels.

Enfin, il y a quelques incidences financières, mais nous y reviendrons.

Trois types d'obstacles existent.

Le premier est culturel. La France, depuis des années, a placé l'hôpital au coeur de son dispositif de santé. Si la loi de modernisation de notre système de santé du 26 janvier 2016 va dans un sens quelque peu différent, puisqu'elle vise notamment à développer les soins ambulatoires, l'hospitalo-centrisme est encore très profondément ancré dans notre système de délivrance de soins et, pis encore, dans les esprits et dans la formation. Pour avoir commis il y a quelques années un rapport sur la médecine de proximité, j'ai écouté avec intérêt, il y a quelques jours, les déclarations du secrétaire d'État chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche sur l'internat de médecine générale, prônant l'accroissement des investissements dans l'ambulatoire et la mise sur pied de formations plus transversales. Il faut en effet rappeler que la seule référence des étudiants en médecine, aujourd'hui, c'est un système hospitalier avec hébergement, ce qui n'est pas sans incidence sur le regard qu'ils portent sur l'ambulatoire.

Le deuxième obstacle est d'ordre réglementaire, et je prendrai quelques exemples permettant d'envisager des pistes, qui figurent d'ailleurs dans le rapport de la Cour des comptes.

On se plaint que l'HAD ne soit pas suffisamment développée dans les établissements médico-sociaux. On peut comprendre, étant donné la complexité des documents à remplir et des règles à respecter de part et d'autre, que les acteurs soient peu enthousiasmés par cette perspective. Il convient donc d'alléger le contexte réglementaire et administratif.

Si la restriction des indications d'admission des patients résidant dans des établissements médico-sociaux avait une raison d'être en 2007, lorsque les premiers textes sur l'HAD et les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) ont été adoptés, elle n'a plus lieu d'être aujourd'hui.

De même, les textes qui ont fixé, il y a vingt ans, le cadre de compétence du médecin coordonnateur ne sont plus adaptés à la situation actuelle.

Nous avons beaucoup de mal à faire évoluer ce cadre réglementaire, qui constitue un frein à l'hospitalisation à domicile.

Le troisième obstacle est d'ordre tarifaire.

On s'étonne parfois que nous ne puissions pas accueillir des patients qui souffrent de graves problèmes neurologiques. Je pense aux cas de sclérose latérale amyotrophique (SLA) ou de sclérose en plaques, à la maladie de Parkinson, à des patients sous nutrition artificielle ou sous oxygénothérapie, voire sous ventilation artificielle, que les règles de tarification nous empêchent de prendre en charge dans la durée. Ces patients, en effet, consomment des médicaments coûteux – un patient sous antibiothérapie pendant deux mois revient à 250 euros par jour –, qui ne figurent plus dans la « liste en sus » et qui, par conséquent, ne nous sont pas payés en plus.

Tels sont les freins au développement de l'hospitalisation à domicile. Ils ne tiennent ni au statut, ni à la taille, ni à l'ancienneté des établissements d'HAD, ni au fait qu'ils soient implantés en ville ou en zone rurale, mais à un mode d'organisation conçu à une époque où l'exigence de professionnalisme n'était pas la même qu'aujourd'hui. Je pense notamment à la continuité médicale, c'est-à-dire à la capacité de garantir une réponse médicale vingt-quatre heures sur vingt-quatre, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui de tous les établissements, et ce indépendamment de leur statut, de leur taille ou de leur lieu d'implantation.

Je voudrais, au passage, corriger une donnée financière qui figure dans le rapport de la Cour des comptes et qui donne le sentiment que l'augmentation de notre activité et de notre part dans les dépenses d'hospitalisation ne sont pas en corrélation avec nos coûts.

Les exemples cités prennent pour référence les années 2011 et 2014. Pendant cette période, notre activité a augmenté de 21 %, passant de 3,7 à 4,5 millions de journées d'hospitalisation. Le rapport de la Cour des comptes chiffre le coût à 771 millions d'euros en 2011, à 943 millions d'euros en 2014. Mais le périmètre n'est pas le même dans les deux cas, car les 943 millions incluent les médicaments payés dans le cadre de la liste en sus. Hors liste en sus, le coût pour l'assurance maladie n'a augmenté que de 16,5 %, soit moins que le volume d'activité. Si l'on rapporte la masse financière que je viens d'évoquer au nombre de journées, le coût moyen a même légèrement diminué, passant de 197,60 euros en 2011 à 196,80 euros en 2014, et ce malgré la sortie récente de notre périmètre d'activité du post-partum physiologique, qui était un mode de prise en charge relativement peu rémunéré.

Comment agir par rapport à ces problématiques ?

Notre dix-neuvième Journée nationale de l'hospitalisation à domicile, qui s'est tenue début décembre 2015, portait sur l'accompagnement des aidants. Nous nous sommes beaucoup occupés des malades dans le cadre de l'hospitalisation à domicile, mais peut-être pas assez des aidants. Nous devrions y veiller, car c'est sans doute là que résident en grande partie les causes de refus d'hospitalisation à domicile.

Dans les établissements d'HAD, et dans le monde de la santé en général, on se heurte à une grande difficulté : il faut expliquer, encore expliquer, toujours expliquer. Les internes, par exemple, changent deux fois par an. Si vous leur avez expliqué les choses en mai, vous devez le refaire en novembre. Nous n'insisterons donc jamais assez sur la nécessité de la communication.

En ce qui concerne l'accès à l'HAD, nous pouvons nous féliciter de ce qu'elle est possible, au moins du point de vue institutionnel, sur l'ensemble du territoire. Elle est toutefois plus compliquée à organiser à certains endroits, par exemple à la montagne ou dans certains quartiers urbains difficiles. La tarification à l'activité est moindre pour ces territoires, alors qu'elle est un peu plus rémunératrice à Paris, en Corse ou dans les départements d'outre-mer (DOM). Il est plus difficile de faire de l'HAD quand on se heurte à des congères que lorsqu'on se déplace dans un département comme le mien, la Loire-Atlantique, où la neige ne fait pas partie du quotidien. Cela a une incidence sur le taux de recours dans des territoires isolés, qu'il faut donc aider.

Si la Cour des comptes a raison de pointer la lenteur avec laquelle, malgré la circulaire de décembre 2013, ces obstacles sont levés, mais il est injuste d'en faire le reproche aux acteurs de terrain.

Les agences régionales de santé (ARS) ont été, c'est vrai, un peu lentes à réagir, même si les choses progressent. Certaines ont décidé de suivre les indicateurs de recours à l'hospitalisation à domicile, tandis que d'autres se sont montrées plus laxistes. Il faut qu'il y ait un engagement général, qui se fera sans doute au niveau de la conférence des directeurs d'ARS.

Nous travaillons aujourd'hui avec la conférence des directeurs généraux de centre hospitalier universitaire (CHU), notamment avec sa commission stratégie, pour assurer une meilleure compréhension de notre offre, laquelle est, reconnaissons-le, quelque peu complexe et absconse pour une personne extérieure qui est simplement en quête d'une solution permettant au malade hospitalisé de sortir le plus vite possible.

Nous devons avoir des grilles d'évaluation plus simples et plus explicites. Les travaux sur les filières, que nous conduisons avec l'Agence nationale d'appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (ANAP), vont dans ce sens, mais il est vrai que cela prend du temps.

Nous sommes les premiers à dire que l'hospitalisation à domicile est un univers mouvant. Aujourd'hui, nous faisons des choses que nous n'aurons plus vocation à faire demain parce que les technologies, la coordination et l'ambulatoire se seront améliorés, mais il y a d'autres secteurs dont nous devons nous saisir, comme la chimiothérapie à domicile.

Nous en avons un exemple dans une région on ne peut plus rurale : le Limousin. Le CHU de Limoges a développé avec les établissements d'HAD un protocole en hémato-oncologie, sur quatre médicaments administrés dans le cadre d'une chimiothérapie parentérale par voie veineuse. Cela a pris trois ans, mais, aujourd'hui, en Limousin, 100 % des chimiothérapies en hémato-oncologie sur quatre produits se font en HAD. La première cure se fait au CHU de Limoges, les suivantes à domicile.

Nous devons investir ce champ, qui est complexe et qui requiert pleinement l'exigence de qualité et de sécurité que j'évoquais tout à l'heure. C'est une voie d'avenir, qui conduira à faire bouger le périmètre de l'HAD. Le poste chirurgical constitue un autre exemple.

Neuf ans après, l'assurance maladie a enfin répondu à notre demande, s'agissant des études médico-économiques auxquelles nous aspirions…

Il en va de même pour la Haute Autorité de santé. Nous entendons les professionnels, infirmiers, médecins, dire qu'ils pourraient faire ce que nous faisons. Mais, lorsque nous engageons le dialogue, ils se rendent compte que, au regard de la complexité et de la technicité requises, nous répondons pleinement à nos obligations, et qu'ils ont besoin de notre appui. Ils sont alors prêts à coopérer avec nous, mais il nous faut des référentiels pour que chaque partie – praticiens hospitaliers, médecins généralistes, autres professionnels libéraux – sache où est sa place et celle des autres.

Les travaux devraient être conclus en 2016. J'espère qu'ils le seront, après le petit coup de poing donné sur la table par Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. Il est vrai que, même à nos yeux, cela ne va pas assez vite. L'efficience doit être notre objectif. Elle consiste à réaliser le bon mode de prise en charge, au bon moment, pour le bon patient et au moindre coût.

Nous devons aussi avoir un objectif de qualité. Ce n'est pas faire injure au monde ambulatoire que de dire qu'il ne souscrit pas aux règles de qualité et de sécurité qui sont celles des HAD. On peut dire beaucoup de choses sur les établissements hospitaliers, mais on ne peut pas nier les progrès considérables qui ont été faits grâce aux certifications des hôpitaux et des cliniques, et donc des HAD. Le retard pris par le secteur ambulatoire est un élément qui ralentit les passages d'un secteur à un autre.

Enfin, les règles déontologiques doivent être rappelées systématiquement, concernant le respect du choix des patients, l'articulation entre les offreurs et le bon usage des deniers publics.

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