Intervention de Didier Zanini

Réunion du 10 février 2016 à 16h15
Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Didier Zanini, praticien hospitalier à l'AP-HM :

M. Segade a raison d'insister sur la transversalité. À cet égard, mon expérience aux urgences constituait un avantage puisque la polyvalence des prises en charge en est le quotidien. Pour la logistique et le parcours des patients, le profil de l'interne des urgences me paraissait intéressant tandis que pour développer plusieurs filières au sein d'une HAD polyvalente, on pouvait s'entourer de médecins dits spécialistes.

Il existait depuis 1993 une petite HAD à l'Assistance publique-hôpitaux de Marseille (AP-HM) qui possédait une autorisation pour prendre en charge les patients atteints du virus de l'immunodéficience humaine (VIH). Pour des raisons médico-économiques, le virage n'a pas été pris lors de l'arrivée de la trithérapie ; l'activité a été suspendue au début des années 2000.

En 2011, la volonté de reconstruire un projet s'est fait jour. Comme je découvrais l'HAD, je suis parti à la recherche d'informations dans les différentes HAD pour me rendre compte que le mode de fonctionnement et le statut juridique étaient très différents de l'une à l'autre. J'ai fait le tour de France, visitant une dizaine d'HAD. À Marseille, cinq HAD existaient déjà ; pour le département des Bouches-du-Rhône, onze HAD sont autorisées. On peut s'interroger sur l'intérêt d'un si grand nombre d'HAD sur un même territoire. Selon les données de l'Agence technique de l'information sur l'hospitalisation (ATIH), dix-huit HAD interviennent sur le département. Ces données ne sont pas forcément vérifiables, mais le nombre d'HAD qui interviennent est indubitablement supérieur au nombre d'autorisations dans le département. Les autorisations sont très hétéroclites : le périmètre correspond pour certaines à des communes, pour d'autres à des kilomètres à compter du centre de telle ville, et pour d'autres encore aux alentours d'un CHU.

Nous avons utilisé l'autorisation existante, en étendant son périmètre puisque celui du CHU était plus large que celui de la ville de Marseille, pour laquelle l'autorisation avait été délivrée initialement. Depuis 2012 et l'ouverture de l'HAD, ce périmètre couvre 370 kilomètres carrés sur lesquels toutes les autres HAD interviennent également.

Après avoir exploré les HAD, nous avons rencontré les services hospitaliers de l'AP-HM qui pouvaient être pourvoyeurs de patients, en ciblant ceux dont les durées moyennes de séjour (DMS) étaient très longues et les taux de rotation parfois très hauts. À partir de cette étude médico-économique, nous avons déterminé des parcours de patient bien identifiés, en essayant de respecter la polyvalence de notre prise en charge et d'améliorer l'image de l'HAD ; l'audit interne nous avait appris que l'image de l'ancienne HAD n'était pas bonne. En interrogeant les professionnels de santé sur l'HAD, nous avons pris conscience de leur méconnaissance de l'HAD et de la typologie de patients pouvant être pris en charge. Ils croyaient que l'HAD ne s'adressait qu'à des personnes âgées, ou à des patients en fin de vie ou en soins palliatifs.

Pour ce type de patients, il apparaissait que d'autres HAD sur notre territoire prenaient en charge et le faisaient bien. C'est pourquoi nous nous sommes orientés vers d'autres segments d'activité. Aujourd'hui, nous ne prenons toujours pas en charge les patients en soins palliatifs, ce qui fait de nous une HAD un peu atypique. Pour marquer les esprits, nous avons choisi de nous intéresser à la néonatologie et aux prématurés. Nous voulions montrer qu'il était possible de proposer l'HAD pour des bébés, de faible poids de naissance ou atteints d'infections materno-foetales. Je vous donne un exemple : 500 enfants naissaient au CHU avec des infections materno-foetales qui étaient traitées de manière un peu empirique par des injections d'antibiotiques en perfusion ; les enfants restaient huit jours à l'hôpital, avec leur mère qui aurait pu sortir au troisième jour. J'ai donc proposé aux obstétriciens d'autoriser la sortie des enfants et de leur maman au troisième jour, de continuer l'HAD pendant cinq jours et de poursuivre sous la surveillance de la protection maternelle et infantile et des pédiatres. 250 enfants par an aujourd'hui sont pris en charge par l'HAD de l'hôpital.

À rebours de la méthodologie traditionnelle des chemins cliniques – à partir d'une cohorte de patients existante, on essaie de trouver un système d'organisation collégiale qui permet de les prendre en charge de manière plus efficiente –, nous avons conçu un chemin à partir d'un potentiel de patients que nous n'avions pas. Nous avons ainsi défini une dizaine de chemins cliniques chez l'adulte, l'enfant et la femme enceinte, à partir de référentiels de l'HAD existants.

Pour l'enfant, nous nous heurtons au problème de la tarification qui aujourd'hui n'est pas du tout adaptée aux cas que nous prenons en charge. Dans notre esprit, l'HAD n'a pas vocation à allonger la durée d'hospitalisation mais bien à la réduire.

Nous avons aussi souhaité travailler sur l'amont, c'est-à-dire essayer de développer à partir des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) ou des établissements médico-sociaux des chemins cliniques qui prennent en charge des patients pour leur éviter un passage aux urgences. J'ai trop été confronté pendant ma carrière aux urgences à ces patients dont la venue aux urgences accentue la fragilité, parce qu'ils restent sur des brancards pendant des heures pour aboutir dans un service qui n'est pas du tout adapté à leur pathologie, avec une durée d'hospitalisation qui est d'autant plus longue que celle-ci est inappropriée. On connaît tous l'issue parfois fatale pour ces patients déjà fragilisés. Notre idée était donc de développer des partenariats avec des EHPAD ou des établissements médico-sociaux pour éviter ces hospitalisations inappropriées et déclencher immédiatement une HAD pour des urgences qui ne sont pas vitales, quitte à ce que soit organisé dans ce cadre un parcours via les urgences, dans un délai bien précis, ou dans un service de soins traditionnel adapté pour une durée nécessairement réduite car organisée.

Sur le choix de ces deux axes de travail, le temps nous a donné raison puisque les filières qui marchent bien sont celles qui ont été pensées dès le début.

Aujourd'hui, nous comptons trois départements : un département obstétrique qui prend en charge une dizaine de patientes en ante partum, essentiellement pour des menaces d'accouchement prématuré déterminées, selon des critères très précis ; ce département fait appel à des sages-femmes salariées de l'AP-HM, parfois à des sages-femmes libérales par le biais de conventions ; un département pédiatrie qui prend en charge vingt enfants, avec des puéricultrices de l'AP-HM, sous l'autorité d'un petit temps médical de pédiatre – correspondant à 40 % d'un temps plein ; un département adulte qui s'occupe de 45 à 50 patients par jour sous l'autorité d'un praticien hospitalier qui est à mi-temps. Au total, nous prenons en charge environ 70 patients par jour. Le déficit de temps médical saute aux yeux ; je ne suis pas là pour le défendre mais le débat sur la médicalisation ou non d'une HAD est légitime. Pour 70 patients, nous n'avons même pas un médecin à temps plein !

Évidemment, ceux qui interviennent bénéficient de la coordination des soins et sont en lien permanent avec un médecin traitant. Je ne vous cache pas qu'à Marseille – mais je suppose que cela vaut pour de nombreuses régions – il est très difficile de trouver des patients qui aient véritablement un médecin traitant. L'absence de médecin traitant limite parfois la prise en charge et crée une petite insécurité. Si je peux me permettre de donner mon avis tout à fait personnel, aujourd'hui, il ne faut pas contourner le médecin traitant, bien au contraire. Il faut l'intégrer à la prise en charge de l'HAD puisque celle-ci n'a pas vocation à durer afin de pouvoir assurer la continuité des soins par la suite à domicile. Le médecin traitant a toute sa place dans l'HAD. Le médecin coordonnateur, qui est un praticien hospitalier, souhaite aussi pouvoir assurer la médicalisation et la prise en charge globale du patient, même si le chemin clinique ne correspond pas à sa spécialité – il est formé à cette polyvalence.

Cela nous ramène au débat sur la spécialisation de l'HAD. Il ne faut pas en avoir peur. Je crois qu'il faut conserver la polyvalence mais je ne crois aussi qu'on ne peut pas être bon partout et qu'on ne peut pas tout faire. C'est pourquoi nous avons essayé de déterminer des chemins cliniques qui prennent en charge des patients de tous âges en fonction des besoins de l'établissement auquel ils sont rattachés. Si on ne peut pas répondre à la totalité des besoins, on peut se tourner vers les autres HAD sur le territoire, qui possèdent les compétences qui nous manquent, afin de collaborer avec elles pour certaines typologies de patients.

La médicalisation de l'HAD est à mon avis nécessaire pour être crédible vis-à-vis de nos confrères et pour défendre cette forme de prise en charge. En outre, elle permettrait de remédier aux problèmes de transmission de l'information, en particulier avec le médecin traitant. Nous pourrions suivre les patients de bout en bout. Nous pourrions même assurer un « service après-vente » – l'expression n'est pas très heureuse – notamment pour éviter des hospitalisations itératives pour non-observance du traitement ou pour mauvaise gestion de la sortie du patient.

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