Intervention de Delphine Batho

Réunion du 9 février 2016 à 16h30
Mission d'information sur l'offre automobile française dans une approche industrielle, énergétique et fiscale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDelphine Batho, rapporteure :

Je commencerai par indiquer quelques données complémentaires. Sur les 200 milliards d'euros de chiffre d'affaires du groupe Volkswagen à l'échelon mondial, 6 milliards sont réalisés en France, où il se situe en troisième place sur le marché national. Rappelons aussi son poids économique en termes d'emplois et de commandes aux grands équipementiers.

La révélation du scandale du logiciel truqueur a été un tremblement de terre. Cette affaire grave a montré – et je parle à titre personnel – jusqu'où peut conduire la course effrénée aux profits. Elle a fait trois types de victimes : les consommateurs dont la confiance a été trompée ; la santé et l'écologie, du fait de l'absence totale de conscience de ce qu'est la responsabilité environnementale d'une entreprise au XXIe siècle ; l'industrie automobile elle-même, à double titre. D'abord, ce procédé a constitué une forme de concurrence déloyale par rapport à d'autres constructeurs qui, eux, s'efforcent non sans difficultés de respecter les normes. Il y a une grande différence entre l'usage d'un logiciel truqueur destiné à contourner les tests d'homologation et les écarts constatés entre les différents protocoles d'homologation et les tests en conditions réelles. Ensuite, cette affaire a provoqué une crise de confiance qui porte préjudice à l'ensemble d'un secteur industriel stratégique.

Mme la présidente l'a rappelé, 946 000 véhicules sont concernés en France, soit deux fois plus qu'aux États-Unis. Des procédures judiciaires et administratives sont engagées. Nous n'avons pas l'intention d'interférer avec le cours de la justice en raison du principe de séparation des pouvoirs. Reste que plusieurs parlements se sont emparés de l'affaire pour connaître les mesures de réparation destinées aux consommateurs mais aussi examiner ses causes profondes et cerner la responsabilité des pouvoirs publics – certaines personnes auditionnées par notre mission d'information ont utilisé le terme de « complicité ».

Ce scandale a été révélé grâce à l'action non des autorités publiques mais d'une modeste ONG, à laquelle je veux ici rendre hommage, l'International Council on Clean Transportation (ICCT), et elle l'a été aux États-Unis et non pas en Europe.

Le PDG de Volkswagen, Matthias Müller, a affirmé : « Franchement, c'est un problème technique, nous n'avons pas eu la bonne interprétation de la loi américaine et nous avions fixé certains objectifs pour nos ingénieurs. Ils ont résolu le problème, atteint les objectifs en trouvant une solution avec un logiciel qui n'est pas compatible avec la loi américaine. C'est ce qui s'est passé ».

J'aimerais insister sur le fait, monsieur Rivoal, que ce logiciel n'est pas davantage compatible avec la réglementation européenne. Je voudrais tordre le cou à l'affirmation selon laquelle les normes auraient été violées aux États-Unis mais pas en Europe. Examinons les chiffres. La norme Euro 5 fixe les émissions de NOx à 180 milligrammes par kilomètres. Un dépassement de quarante fois la norme américaine équivaut à 1 720 mg par km, soit une valeur très supérieure à la norme européenne. Par ailleurs, le règlement européen de 2007 affirme explicitement dans son article 5 que « l'utilisation de dispositifs d'invalidation qui réduisent l'efficacité des systèmes de contrôle des émissions est interdite ». Il définit à son article 3, paragraphe 10, lesdits dispositifs comme « tout élément de conception qui détecte la température, la vitesse du véhicule, le régime du moteur en toursminute, la transmission, une dépression ou tout autre paramètre aux fins d'activer, de moduler, de retarder ou de désactiver le fonctionnement de toute partie du système de contrôle des émissions, qui réduit l'efficacité du système de contrôle des émissions ». Les choses sont claires.

Ma première question porte sur les mesures de rappel : sont-elles validées pour tous les véhicules ? Le KBA a confirmé le 30 novembre avoir reçu de Volkswagen les solutions techniques pour l'Europe pour les trois types de moteurs affectés. Le 27 janvier, dans un communiqué, il indiquait qu'il a donné l'autorisation finale pour les moteurs utilitaires de 2 litres mais que l'autorisation pour les autres moteurs concernés était encore en cours d'examen, contrairement à ce qu'indiquait Volkswagen dans son communiqué du 16 décembre.

Deuxièmement, comment expliquez-vous que les mesures en question soient validées par le KBA mais invalidées par l'Environmental Protection Agency aux États-Unis ? L'EPA a en effet rejeté les propositions techniques de Volkswagen pour la mise aux normes des véhicules incriminés. Par ailleurs, la Commission européenne a demandé toutes les informations techniques à Volkswagen pour s'assurer que les mesures correctrices envisagées sont efficaces. Enfin, on peut se demander si le KBA est le mieux placé pour se prononcer sur la validité des solutions techniques proposées. Cet office fédéral est placé sous l'autorité du ministre des transports et confie les tests à réaliser au Technischer Überwachungsverein (TÜV), autrement dit l'organisme qui a homologué les véhicules incriminés. Il n'y a donc pas de regard extérieur sur les plans d'action techniques. Ajoutons que le KBA accrédite comme laboratoires de tests des filiales d'entreprises comme Bosch ou une filiale directe de Volkswagen située au siège même du groupe, ce qui soulève un problème de conflit d'intérêts, qui n'est pas spécifique à l'Allemagne, je veux tout de suite le préciser.

J'en viens au calendrier de mise en oeuvre des solutions techniques. J'aimerais savoir à quoi correspondent les pourcentages dans le document que vous avez présenté. Dans les interviews que vous avez données, monsieur Rivoal, vous avez indiqué que parmi les 600 000 clients s'étant manifestés auprès de Volkswagen France, seuls 150 000 avaient été identifiés comme propriétaires d'un véhicule touché. On sait que 946 000 véhicules au total sont concernés. Qu'allez-vous faire pour les quelque 800 000 propriétaires n'ayant pas été identifiés. La mesure de rappel est-elle obligatoire à vos yeux ? Certains consommateurs s'inquiètent des performances de leur véhicule après rectification. Peut-on avoir l'assurance que les 946 000 propriétaires concernés en France bénéficieront de solutions de correction s'agissant d'émissions polluantes qui, si elles n'entraînent pas de problème de sécurité, posent assurément des problèmes de santé publique ?

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