Intervention de Flavien Neuvy

Réunion du 10 février 2016 à 11h30
Mission d'information sur l'offre automobile française dans une approche industrielle, énergétique et fiscale

Flavien Neuvy, directeur de l'Observatoire CETELEM de l'automobile :

Madame la présidente, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de me donner l'occasion de m'exprimer devant vous. Depuis son installation, votre mission d'information a eu l'occasion d'entendre de très nombreux experts et, en lisant le compte rendu de vos auditions, j'ai eu le sentiment que vous disposiez déjà d'un niveau d'information très important. On ne peut écarter totalement le risque que je vous dise des choses que vous savez déjà, mais je vais m'efforcer de le limiter en m'en tenant à un propos liminaire assez court, afin de laisser une plus grande place à l'échange de questions et réponses.

Le CETELEM a été créé en 1953, à une époque où l'achat d'un réfrigérateur représentait six mois de salaire moyen pour un Français : c'est justement pour financer cet équipement que le CETELEM a ouvert son premier dossier de crédit, dans un magasin de la banlieue parisienne. Depuis, nous n'avons cessé d'entretenir des liens très forts avec le monde du commerce – celui lié à l'équipement de la maison, mais aussi le commerce automobile, dont nous connaissons bien les différents acteurs, à savoir les concessionnaires, les clients et les constructeurs. Ce positionnement pivot nous a conduits à mettre en place, en 1985, une étude annuelle sur le marché automobile français, avec l'objectif de fournir une information complémentaire à nos clients, à savoir les concessionnaires. Depuis cette époque, nous réalisons chaque année une étude consistant à analyser les grandes tendances et évolutions en matière d'automobile et de mobilité. Initialement limitée à la France, cette étude est devenue européenne au milieu des années 2000, et elle s'est étendue à l'échelle mondiale il y a deux ans : elle porte désormais sur quinze pays dans le monde, ce qui représente environ 70 % des ventes de véhicules neufs.

J'ajoute que nous réalisons également des études portant plus largement sur la consommation des ménages, ce qui nous a amenés à étudier, il y a trois ans, l'évolution de la consommation collaborative, qui touche le monde de la mobilité. Nous disposons donc d'une vision assez complète de l'évolution des attentes des consommateurs que sont les automobilistes. Nos études sont réalisées de manière tout à fait indépendante : nous autofinançons nos études, qui consistent à retranscrire ce que nous disent les consommateurs, et ne dépendons donc pas du tout des constructeurs. Enfin, nous ne parlons jamais de crédit dans nos études, qui ont pour objet d'analyser et d'anticiper les attentes des consommateurs.

Mon propos liminaire comprendra trois points. Je vais d'abord procéder à un rapide tour d'horizon du contexte de l'industrie automobile et des défis majeurs auxquels elle doit faire face – des défis qui n'ont jamais été aussi nombreux et difficiles à relever. Je m'attarderai ensuite sur le marché français et ses particularités, avant de conclure en évoquant les critères d'achat des automobilistes français, notamment le critère environnemental.

Le premier point positif que l'on peut relever au sujet de l'industrie automobile, c'est que les ventes mondiales sont dans une phase de croissance spectaculaire. Alors qu'en 2009 – une année qui, il est vrai, a constitué un point bas en termes de ventes en raison de la crise financière –, il s'est vendu 62 millions de véhicules légers neufs – particuliers et utilitaires – dans le monde, le nombre de ventes a atteint 88 millions d'unités en 2015, ce qui représente une hausse de 40 % en très peu de temps.

Nous pensons qu'il s'agit d'une croissance forte et durable, et que le cap des 100 millions de voitures neuves vendues chaque année dans le monde pourrait être franchi en 2020. Cela ne se fera pas grâce à la croissance des pays développés, où le taux d'équipement des ménages est déjà très élevé – on compte déjà environ 800 voitures pour 1 000 habitants aux États-Unis et 600 voitures pour 1 000 habitants en Europe –, mais sera basé sur la demande dans les pays émergents, qui sont très en retard – on compte encore moins de 100 voitures pour 1 000 habitants en Chine –, car il existe une corrélation très forte entre d'une part le niveau de vie d'un pays, son développement économique, et d'autre part le taux de motorisation de ce pays. Au fur et à mesure que les pays émergents vont se développer, leurs classes moyennes vont disposer de moyens financiers plus importants et acheter plus de véhicules.

Pour autant, il ne faudrait pas croire que la filière de l'automobile jouit d'une santé florissante : le secteur reste fragile. N'oublions pas, par exemple, que General Motors a fait faillite en 2009, ce qui paraissait impensable compte tenu de la taille de l'entreprise. Peu de temps après son entrée en fonction, Barack Obama s'est attaqué à ce qui a été son premier gros dossier selon une ligne de conduite très claire, consistant à dire que les dizaines de milliards de dollars demandés aux contribuables américains devaient avoir deux contreparties. Premièrement, General Motors, qui s'est placée sous la protection du chapitre 11 de loi américaine sur les faillites, devait mettre sur le marché des véhicules consommant moins, donc de plus petits véhicules – le résultat attendu n'a pas été au rendez-vous, puisqu'il ne s'est jamais vendu autant de 4x4 et de pick-up aux États-Unis qu'en 2015, année où le pays a retrouvé son niveau économique, mais aussi ses habitudes d'avant la crise. Deuxièmement, l'administration américaine a insisté sur le fait que la société devait poursuivre son activité, quitte à fermer certains sites, ce qui s'est traduit par une restructuration extrêmement violente pour le secteur industriel américain ; un autre choix a été fait en Europe, celui d'amortir le contrecoup de la crise au moyen d'aides publiques du type des « aides à la casse ».

Le secteur automobile doit faire face à une multitude de défis, parmi lesquels quatre me paraissent particulièrement importants. Le premier défi réside dans le fait que, derrière une croissance d'une ampleur significative, on constate de nombreuses disparités : si, globalement, tout semble aller bien, à mieux y regarder, on s'aperçoit que le monde d'aujourd'hui n'a plus rien à voir avec celui du début des années 2000. À l'époque, le marché chinois n'existait pas : il ne se vendait en Chine que quelques centaines de milliers de voitures chaque année. Depuis 2009, il est devenu le premier marché mondial, avec 24 millions de voitures neuves vendues l'an dernier, ce qui représente près de 20 % des immatriculations mondiales. Pour les dix premiers constructeurs mondiaux, dont les deux constructeurs français font partie, il est impossible de se tenir durablement en dehors de ce marché, surtout en raison des perspectives qu'il offre à moyen terme. Renault vient d'ailleurs d'ouvrir sa première usine en Chine avec l'appui de Nissan, qui s'y trouve implantée depuis longtemps.

Alors même que la Chine montait en puissance, le poids relatif de l'Europe diminuait : il est passé d'un quart des ventes mondiales en 2005 à seulement 15 % aujourd'hui. Cela pose problème en termes de production, car l'industrie automobile est une industrie lourde, qui nécessite de vendre les véhicules à proximité de leur lieu de production, le plus souvent sur le territoire du pays concerné – une condition souvent imposée par les réglementations nationales. L'industrie automobile a donc dû s'adapter en un laps de temps très court à ce changement brutal de la géographie des ventes. À cet égard, il est intéressant de constater que si les ventes mondiales ont progressé d'environ 1,5 % en 2015 – ce nouveau record sera sans doute battu dès l'année prochaine –, le marché sud-américain s'est effondré, chutant de presque 25 %, de même que le marché russe, qui semblait extrêmement prometteur il y a quelques années, ce qui avait incité les constructeurs, notamment Renault, à y investir. En résumé, le premier défi pour les constructeurs consiste donc à investir massivement et rapidement sur les zones paraissant prometteuses, tout en sachant qu'ils ne sont jamais à l'abri d'un retournement de situation en quelques mois.

Le deuxième défi est environnemental. Au-delà du scandale Volkswagen, il est indéniable que les contraintes environnementales et en termes de sécurité ont obligé les constructeurs à investir massivement : c'est le sens de l'histoire que de produire des voitures toujours plus propres et plus sûres. Or, chaque gramme de CO2 gagné au kilomètre coûte très cher aux constructeurs en termes de recherche et développement – cela se chiffre en centaines de milliards d'euros – et, moins les voitures sont polluantes, plus il est difficile de faire mieux dans ce domaine, ce qui impose d'investir de façon constante et massive pour obtenir des résultats.

J'ajoute que les contraintes environnementales et les normes de sécurité diffèrent selon les zones géographiques, ce qui complique encore la tâche des constructeurs. De ce point de vue, si les États-Unis sont souvent cités en exemple pour leurs normes très restrictives en ce qui concerne le diesel – notamment pour ce qui est des émissions de particules et de NOx –, on oublie parfois que les gros 4x4, très nombreux sur les routes américaines, ne sont pas des modèles en matière de protection de l'environnement.

Enfin, il arrive que des politiques publiques totalement contradictoires se succèdent au sein d'un même État à quelques années d'intervalle. Je pense évidemment au système de bonus-malus écologique mis en place en France à l'issue du Grenelle de l'environnement d'octobre 2007. Incitant les Français à acheter des voitures émettant moins de CO2, cette mesure a connu un succès au-delà de toutes les espérances – comment aurait-il pu en être autrement, lorsque nos concitoyens avaient l'impression d'accomplir une action vertueuse, tout en touchant de l'argent pour cela ? Constatant que les automobilistes achetaient en masse des véhicules diesel – souvent des petits modèles, pas toujours fabriqués en France –, les industriels ont beaucoup investi en recherche et développement pour mettre au point de nouveaux systèmes de dépollution et anticiper le passage aux normes d'émission Euro 5 et Euro 6. Or, quelques années plus tard, ils se sont entendu dire que, le diesel étant très nocif en termes de santé publique, il fallait revenir en arrière en rapprochant les prix de l'essence et du diesel, afin de rééquilibrer le parc automobile au profit des véhicules à essence.

Ces grands coups de volant en termes de politiques publiques, extrêmement difficiles à suivre pour les constructeurs, ne sont pas non plus sans conséquences pour les automobilistes : dès lors que l'on décide d'harmoniser les prix de l'essence et du diesel, on prononce la fin des ventes de véhicules particuliers diesel. Ainsi, la part des ventes de véhicules diesel en France aura subi d'énormes fluctuations, passant d'environ 33 % au début des années 1990 pour atteindre 75 % à la fin des années 2000 et redescendre à 50 % cette année, en un mouvement qui ne cesse d'accélérer. À partir du moment où les prix des carburants sont les mêmes, pour amortir le surcoût à l'achat et à l'usage – car un véhicule diesel est plus coûteux à entretenir –, il ne faudra plus faire 20 000 kilomètres par an, mais sans doute 30 000 ou 40 000 : dès lors, plus personne n'aura intérêt à acheter une voiture diesel. Dans un tel contexte, la valeur des véhicules diesel à la revente va diminuer, et leurs propriétaires vont subir une décote d'environ 20 % – ce qui peut représenter une perte de 1 000 euros pour un véhicule de 8,5 ans et 70 000 à 80 000 kilomètres au compteur, donc une perte potentielle totale de 20 milliards d'euros si l'on considère que 20 millions de véhicules sont concernés en France.

Enfin, les distributeurs vont eux aussi être touchés, car ils proposent de plus en plus souvent des locations avec option d'achat, et vont donc devoir racheter des véhicules à une valeur fixée contractuellement, alors que la valeur réelle des véhicules aura, elle, nettement diminué.

Dès lors que l'on acte collectivement la fin du diesel en France pour les véhicules particuliers, on doit accepter de se retrouver presque exclusivement avec des véhicules à essence – les véhicules électriques et hybrides sont, certes, appelés à se développer, mais ils sont pour le moment présents en faibles proportions –, qui consomment davantage d'énergie fossile et émettent plus de CO2, ce dont chacun doit avoir conscience.

Le troisième défi auquel les constructeurs doivent faire face est d'ordre technologique – et son importance n'est pas la moindre, loin s'en faut. Il s'agit tout d'abord de tenter de déterminer quelle sera la technologie dominante dans quinze ou vingt ans. Or, il est pratiquement impossible de répondre à cette question, le champ des possibles en matière d'énergies et de motorisations étant immense. Il est très risqué, voire impossible, pour les constructeurs, de faire l'impasse sur quelque choix que ce soit : ils sont donc obligés d'engager des sommes considérables en recherche et développement dans toutes les directions. Ainsi, les sommes très importantes affectées par Renault-Nissan à la recherche et au développement dans le domaine du véhicule électrique ne sont qu'une partie des énormes investissements effectués par l'alliance dans tous les secteurs, notamment celui du véhicule hybride, du moteur au gaz naturel, voire des agrocarburants de deuxième génération.

Le deuxième défi technologique a constitué une surprise pour les industriels qui, s'ils l'avaient vu venir, n'y ont pas cru au départ : il s'agit de la voiture autonome, qui risque pourtant de secouer sérieusement le monde de l'automobile. Si la voiture autonome – et connectée – a de grandes chances d'être perçue comme une véritable révolution, c'est qu'elle pourrait modifier en profondeur le modèle économique qui s'est imposé jusqu'à présent dans le secteur de l'automobile : à l'avenir, il pourrait y avoir plus d'argent à gagner dans les services liés à l'utilisation du véhicule que dans sa fabrication. C'est ce qui explique que certains acteurs extérieurs au monde de l'automobile montrent de l'intérêt pour la voiture autonome : si Google travaille sur ce thème depuis plus de dix ans, c'est bien parce que ses responsables ont une idée derrière la tête – et je ne pense pas qu'il s'agisse de fabriquer des voitures, car cela ne correspond pas à leur modèle économique, consistant à dégager une forte rentabilité à partir de peu de capitaux. Google dispose d'ores et déjà des moyens technologiques et financiers de se lancer dans une telle entreprise, d'abord parce que cela fait dix ans que la firme de Montain View s'intéresse à ce projet, ensuite parce que la capitalisation boursière est supérieure à celle, cumulée, des dix premiers constructeurs automobiles mondiaux.

Les industriels de l'automobile se doivent de relever le défi, et ont commencé à le faire : en 2015, des constructeurs automobiles allemands ont racheté Here, une cartographie appartenant à Nokia, pour un montant de plusieurs milliards d'euros. Cependant, cette réaction est très récente : les industriels sont longtemps restés persuadés que personne ne pouvait pénétrer dans un cercle qu'ils maintenaient soigneusement fermé, et où la concurrence ne s'exerçait qu'entre eux. On sait aujourd'hui que c'était une erreur et que Google, mais aussi d'autres acteurs du monde de l'internet, sont capables de s'emparer d'une partie de leurs revenus potentiels.

Le quatrième défi est sociétal : il s'agit de la place de la voiture dans notre société et de l'évolution de la mobilité d'une façon générale. Au cours des dix dernières années, le secteur a vu apparaître une multitude d'offres alternatives à la propriété pure et simple de son véhicule, qui a été le modèle exclusif depuis l'existence même de la voiture. La plupart des automobilistes étant très attachés à leur voiture, on a pu penser que ce modèle était immuable, ce qui n'était pas le cas. Aujourd'hui, il existe d'autres modes d'utilisation de la voiture, qu'il s'agisse du covoiturage, de la voiture en libre-service, de la location de voiture entre particuliers, ou encore de la location de longue durée aux particuliers. Dans les grands centres urbains, vous pouvez vous déplacer très facilement tous les jours en voiture sans jamais en posséder une.

Lorsque des offres alternatives apparaissent – dans le secteur de l'automobile comme dans d'autres –, il est fréquent que les acteurs historiques partent du principe que cela ne marchera pas. Ce n'est pas un constructeur qui a lancé BlaBlaCar, ce ne sont pas les grands loueurs qui ont eu l'idée d'offrir un nouveau service de location de voiture entre particuliers, ce n'est pas un industriel de l'automobile qui a pris l'initiative de proposer des voitures électriques en libre-service ! Presque systématiquement, l'apparition d'offres alternatives suscite au mieux du scepticisme, quand ce ne sont pas des ricanements ironiques. Les parlementaires que vous êtes sont bien placés pour connaître le moment où une formule commence à bien marcher : il suffit d'attendre que les acteurs historiques viennent frapper à votre porte en criant à la concurrence déloyale, c'est un signe qui ne trompe pas.

L'évolution de la mobilité bouscule les constructeurs pour une raison simple : sous l'effet des offres alternatives, la voiture, qui est longtemps restée le mode de transport individuel par excellence, devient un objet que l'on partage beaucoup plus. Au lieu de rester au garage durant 90 % du temps, elle va être largement plus utilisée : le covoiturage, par exemple, se traduit par des voitures mieux remplies. De ce fait, il est permis de se demander si, dans dix ou vingt ans, nous aurons collectivement besoin d'autant de voitures qu'aujourd'hui dans les sociétés développées. Je précise que les moins de trente ans sont les plus ouverts à ces nouvelles formes de mobilité.

Pour résumer, les constructeurs doivent investir des milliards pour s'adapter à la mutation géographique des ventes, mais aussi pour répondre aux contraintes réglementaires et pour essayer de deviner quelles seront les motorisations du futur. Cela fait beaucoup d'argent, donc beaucoup de risques, pour des résultats extrêmement faibles par rapport aux capitaux investis.

Le deuxième point dont je veux vous parler est relatif aux évolutions structurelles du marché français. J'en ai identifié quatre.

D'abord, comme vous le savez, notre parc automobile vieillit : il a aujourd'hui 8,5 ans en moyenne. Je précise que cette tendance s'observe sur la quasi-totalité des marchés développés. Le parc automobile allemand a le même âge que le nôtre, le belge 8 ans, le britannique un peu moins de 8 ans, l'italien 10 ans, l'espagnol 11 ans, le japonais 8 ans et l'étasunien plus de 11 ans. Seule la Chine se différencie avec une moyenne d'âge de 4,5 ans, ce qui s'explique par la jeunesse de ce marché. La France n'est donc pas une exception, et il s'ajoute à cela que les Français roulent de moins en moins : en moyenne un peu moins de 13 000 kilomètres par an actuellement, et ce chiffre diminue de 100 kilomètres par an environ – surtout dans l'intra-urbain, en raison du développement de l'offre de transport en commun. C'est justement cette diminution du kilométrage parcouru annuellement – jointe au fait que les voitures sont plus fiables – qui permet aux Français de conserver leurs véhicules plus longtemps.

Il existe une deuxième tendance durable : comme celui du parc automobile, l'âge moyen de l'acheteur d'un véhicule neuf ne cesse d'augmenter. Il est aujourd'hui de plus de 55 ans en France, contre 52 ans en Allemagne, 48 ans en Espagne, 50 ans en Italie et au Japon, 52 ans aux États-Unis et 55 ans au Royaume-Uni : la comparaison avec les autres pays n'est donc pas à notre avantage. J'ajoute que les constructeurs français ont un profil d'acheteur encore plus âgé – 56 ans pour Renault, 58 ans pour Peugeot et 60 ans pour Citroën, me semble-t-il.

Les moins de 35 ans, eux, n'achètent quasiment pas de voitures neuves : ils ne représentent effectivement que 10 % des acheteurs. Nous nous sommes interrogés sur ce point et avons même réalisé une étude sur le thème « Les jeunes et l'automobile », qui a mis en évidence des résultats plus complexes que ceux auxquels je m'attendais. Les jeunes ne disent pas qu'ils envisagent de passer toute leur vie sans acheter une voiture, ils ne disent pas que la place de la voiture sera moins importante dans dix ans, ni qu'aucune voiture ne leur fait envie : en réalité, s'ils n'achètent pas de voiture neuve, c'est essentiellement parce qu'ils n'ont pas les moyens de le faire, le budget moyen qu'ils consacrent à l'achat d'un véhicule étant de 9 000 euros. Cela n'a rien d'étonnant quand on sait que l'on entre le plus souvent sur le marché du travail avec un CDD et un salaire modeste, ce qui rend l'obtention d'un crédit relativement difficile. C'est un vrai problème pour les constructeurs, car rien ne dit que les jeunes d'aujourd'hui achèteront des voitures quand ils auront l'âge des acheteurs actuels : en trente ans, de nombreuses évolutions peuvent survenir.

La troisième tendance, c'est que les Français achètent de moins en moins de voitures neuves. L'an dernier, 962 000 voitures particulières neuves ont été vendues aux 28,3 millions de ménages français, ce qui représente un taux de ménages acheteurs de 3,4 %, le plus faible niveau qu'ait connu notre marché au cours des trente dernières années – ce taux était de 7 % au début des années 1990 : plus de 1,5 million de voitures neuves étaient alors vendues aux ménages chaque année. Les ventes aux particuliers, qui représentaient 75 % du marché il y a 25 ans, sont tombées à 50 % aujourd'hui, et ne cessent de diminuer.

Les raisons de cette chute sont multiples. D'abord, la voiture n'a plus tout à fait la même place qu'il y a trente ans. Elle est moins statutaire : les Français considèrent que ce n'est plus le meilleur moyen de montrer que l'on a réussi dans la vie, et se demandent s'il est bien utile de dépenser 22 000 euros – le prix moyen actuellement – pour acheter un véhicule neuf alors qu'un véhicule d'occasion peut suffire – ce qui explique que le marché de l'occasion soit surdimensionné par rapport à celui du neuf. Le prix des voitures neuves est un problème qui n'a rien de simple à résoudre. Il est difficile de disposer de chiffres fiables sur l'évolution du prix de vente des voitures, notamment en raison du fait que l'INSEE produit des chiffres corrigés en supprimant l'effet qualité. Ce qui est certain, c'est que les voitures coûtent de plus en plus cher, pour deux raisons principales : d'une part, les contraintes réglementaires que j'ai évoquées précédemment – les constructeurs doivent en effet amortir les investissements importants effectués pour mettre au point des moteurs moins polluants, par exemple ; d'autre part le fait que, ces dernières années, les constructeurs ont eu tendance à suréquiper les véhicules en équipements électroniques en laissant le moins en moins à l'acheteur le choix des options, regroupées par packs, afin de tirer les marges vers le haut. Un automobiliste âgé de 65 ans n'utilisera jamais la très grande majorité des équipements électroniques dont son véhicule est doté, et il ne sait probablement pas à quoi ils peuvent servir ! Si, pour lui, le prix de ces équipements n'a qu'une importance relative – il n'a plus de crédit immobilier et dispose donc de ressources plus importantes –, il n'en est pas forcément de même pour les acheteurs potentiels moins âgés.

Les constructeurs affirment que le prix de vente n'est pas un problème, puisque le mix des ventes fait apparaître un prix moyen assez élevé, correspondant à des voitures bien équipées. Ils oublient que les ventes ont beaucoup diminué en volume, et que les personnes qui achètent aujourd'hui une voiture ont tendance à faire le choix d'une baisse de gamme par rapport à leur véhicule précédent – ils vont, par exemple, passer d'une Mégane à une Clio –, alors que c'était l'inverse jusqu'à présent ; cela leur permet souvent de choisir un véhicule mieux équipé. Dans le budget des ménages français, le premier poste est celui du logement, auquel nos concitoyens consacrent beaucoup plus d'argent que leurs voisins allemands.

Par ailleurs, l'évolution de nos modes de vie réduit progressivement les marges de manoeuvre financières des ménages. Ainsi, les dépenses en matière de téléphonie représentent une part croissance du budget. Il y a aujourd'hui 70 millions de cartes SIM en France, ce qui représente quatre téléphones portables pour une famille composée de deux adultes et deux enfants, et un budget correspondant qui peut atteindre 150 à 200 euros par mois, soit l'équivalent d'un crédit automobile – or, si un crédit automobile a une fin, les dépenses relatives au téléphone portable ont vocation à durer toute la vie. Ainsi, les dépenses contraintes ou pré-engagées des ménages ont tendance à limiter les marges de manoeuvre financières des ménages, qui procèdent à des arbitrages au détriment de l'achat de véhicules neufs.

La dernière tendance à évoquer, liée à la précédente, est que le peu de Français qui achètent une voiture neuve optent le plus souvent pour un petit modèle, moins cher. Ces voitures génèrent moins de marge pour les constructeurs et une grande partie des modèles concernés est fabriquée à l'étranger. Aux États-Unis, on assiste à la situation inverse : non seulement le marché a retrouvé et même dépassé ses niveaux d'avant la crise, mais les véhicules vendus sont le plus souvent de gros modèles, permettant aux constructeurs de dégager des marges confortables.

J'en viens au dernier point que je voulais évoquer, à savoir les critères d'achat des automobilistes français. Autant le dire tout de suite, les critères environnementaux ne sont pas pris en compte au moment d'acheter une voiture – du moins est-ce un critère mineur pour les acheteurs : si, dans l'absolu, ils n'ont rien contre une voiture moins polluante, ils préfèrent toujours préserver leurs intérêts financiers plutôt que l'environnement – or, la plupart du temps, c'est-à-dire en l'absence de prime à la casse, ils doivent choisir entre les deux. Les critères les plus importants sont d'abord le prix – qui inclut la consommation de carburant –, puis la fiabilité du modèle, enfin le design. De ce point de vue, je ne suis pas sûr que le scandale Volkswagen ait un impact important sur les ventes du groupe à moyen et long terme : si un contrecoup assez fort a été observé au lendemain du scandale, c'est-à-dire en octobre et novembre 2015, je pense que l'image de la marque ne souffrira pas très longtemps, la qualité et la fiabilité de ses modèles n'ayant pas vraiment été mise en cause. Il est à noter, d'ailleurs, que les campagnes de rappels auxquelles procèdent régulièrement tous les constructeurs pour des problèmes de sécurité – qu'il s'agisse du freinage ou des airbags, par exemple – n'ont jamais de conséquences durables sur leurs ventes. Je terminerai en disant que les jeunes générations – les moins de trente ans – intègrent un peu plus la dimension environnementale que leurs aînés, notamment en ce qui concerne les émissions de polluants.

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