Intervention de Stéphane le Foll

Réunion du 16 février 2016 à 21h30
Commission des affaires économiques

Stéphane le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement :

En effet, au moment de l'examen de la proposition de loi en faveur de la compétitivité de l'agriculture et de la filière agroalimentaire, je me suis engagé à faire suivre le débat parlementaire d'une discussion ici même, afin de vous montrer qu'il existe dans ce domaine des points d'accord entre nous et que les engagements du Gouvernement permettent d'atteindre les objectifs du texte, même si celui-ci a été rejeté.

Cette proposition de loi posait tout d'abord la question de la compétitivité. Celle-ci fait vivement débat, ce que je comprends pour avoir personnellement constaté les difficultés que rencontrent l'agriculture et l'industrie agroalimentaire. Cette question a fait l'objet de plusieurs rapports qui sont disponibles au ministère de l'agriculture. Au cours de la discussion du projet de loi d'avenir pour l'agriculture, M. Antoine Herth nous a souvent fait le reproche de ne pas parler de compétitivité. J'aimerais donc faire quelques mises au point à ce sujet.

En 2012, les allégements de cotisations patronales dans le secteur agricole représentaient au total 1,046 milliard d'euros. En 2014, avec l'instauration du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), les allégements de charges sont passés à 1,294 milliard. En 2015, avec le pacte de responsabilité et les baisses de cotisations individuelles des exploitants – je laisse de côté la suppression progressive de la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S), qui concerne les coopératives –, ont été portés à 1,710 milliard. En 2016, ils atteindront 1,780 milliard et, en 2017, 1,814 milliard. Si l'on ajoute l'industrie agroalimentaire où ils représentent 1,8 milliard en 2016 et 2 milliards en 2017, leur montant total dans le secteur atteint quelque 4 milliards d'euros, soit un peu moins que le budget de mon ministère : voilà qui donne la mesure de l'effort accompli.

J'aimerais illustrer les conséquences de ces allégements par quelques exemples qui seront publiés demain dans un article de la rubrique « Désintox » de Libération. Cet article a été préparé avec la Fédération nationale des producteurs de fruits, donc avec des professionnels du monde agricole, exploitation par exploitation, ce qui met les chiffres cités à l'abri de tout soupçon. Il s'agit de comparer la baisse de cotisations sociales qu'aurait permis d'obtenir la TVA sociale, si celle-ci avait été mise en oeuvre sous la forme prévue à la fin de la précédente législature, avec celle qui résulte de la combinaison du CICE et du pacte de responsabilité. Avec la TVA sociale, Robert, saisonnier au SMIC, aurait coûté à son employeur 1 692 euros, contre 1 645 euros sous l'effet conjugué du CICE et du pacte de responsabilité, soit 47 euros de différence – à peine 2,8 %. Prenons Chantal, permanente au SMIC : dans l'hypothèse d'une TVA sociale, son coût pour l'employeur serait de 1 631 euros ; avec le CICE et le pacte de responsabilité, il atteint 1 594 euros, soit 37 euros de moins. Soient maintenant un permanent et 45 saisonniers dans une exploitation de 21 hectares de pêches, nectarines et abricots : dans la première hypothèse, le coût est de 79 989 euros ; dans la situation actuelle, il tombe à 77 426 euros, ce qui représente une différence de 2 000 euros environ ou de 3,2 %. Quant au calcul du coût pour l'employeur de 3 permanents et 70 saisonniers, dont 7 chefs d'équipe, dans une exploitation de 38 hectares de pommiers, il aboutit à 117 428 euros dans le premier cas, à 113 614 dans le second : la baisse atteint cette fois environ 3 000 euros et 3 %.

Ces chiffres ne viennent pas du ministère de l'agriculture, mais le hasard de leur publication fait bien les choses : elle me donne l'occasion de vous confirmer ce soir que l'effet de nos allégements de charges dans le secteur est équivalent à celui qu'aurait produit la TVA sociale ; bref, dans ce débat sur les baisses de charges, nous avons l'avantage.

Au total, en matière de compétitivité, les efforts du Gouvernement sont déjà substantiels. D'autres chiffres concernant les cotisations vont être annoncés demain. Ils compléteront le dispositif actuel, lequel est parfaitement logique eu égard à une perte de compétitivité qui fait l'objet d'un débat récurrent et qui a indiscutablement coûté très cher au secteur agricole et agroalimentaire français. Pour que ce débat soit mené de manière objective, il convient de tenir compte des chiffres que je viens de vous donner.

La proposition de loi en faveur de la compétitivité de l'agriculture proposait une baisse de charges sur trois postes : les cotisations individuelles, l'impôt sur le revenu et enfin les cotisations sur le travail permanent, une idée chère à M. Charles de Courson. Ces diminutions de charges étaient gagées sur une hausse de la TVA et de la contribution sociale généralisée (CSG). Que dire des implications fiscales d'un tel dispositif quand la TVA sociale – moins efficace que nos mesures, je viens de le montrer – supposait déjà une hausse de TVA de trois points –, c'est-à-dire une hausse d'impôt ?

Second problème posé par cette proposition de loi, les baisses de cotisations sur le travail permanent s'appliquaient au seul secteur agricole, ce qui est contraire à la réglementation européenne. Telle est d'ailleurs la raison pour laquelle nous avons dû remettre en cause à notre arrivée les allégements issus d'une proposition de M. Charles de Courson : nous avons préservé les exonérations sur le travail saisonnier, mais ce que nous avons obtenu au niveau européen ne nous a pas permis de les étendre au travail permanent.

Néanmoins, les chiffres sont là, et demain le Premier ministre mettra de nouvelles propositions sur la table pour poursuivre cet effort que notre perte de compétitivité rendait nécessaire : il fallait agir, car une partie de l'activité agricole et agroalimentaire française était en train de disparaître. C'était l'un des enjeux des débats sur la loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt comme sur la proposition de loi précitée.

J'en viens à la simplification et au fameux moratoire sur la « surtransposition » des normes. Je le dis très clairement, jamais il n'y a eu de surtransposition depuis que nous sommes arrivés au pouvoir en 2012. Assurément, des règlements européens ont été appliqués, lorsqu'il s'est agi de résoudre le problème de la mise en oeuvre par la France de la directive Nitrates, qui était soumis à la Cour de justice de l'Union européenne avant même ma nomination. À cette fin, j'ai dû prendre plusieurs décisions qui ne constituaient pas une surtransposition, mais visaient à tenir compte du procès qui nous était fait pour nous conformer à la directive-cadre sur l'eau, qui date de 2000 mais reprend des dispositions antérieures.

Je suis allé jusqu'à négocier des mesures qui n'existaient pas jusqu'alors et qui sont très utiles aux éleveurs. Je songe en particulier à la possibilité de stocker les fumiers pailleux en plein champ, qui leur évite d'investir dans du béton, sachant que les délais d'épandage applicables en zone vulnérable obligent à stocker les effluents d'élevage. Cette possibilité a été obtenue dans le cadre des programmes d'action ; c'est essentiel. De même, grâce à la loi d'avenir, nous avons pu expérimenter en Bretagne un mécanisme qui permet d'utiliser l'excédent d'azote organique en remplacement de l'azote minéral. Cela nous a permis, je le rappelle devant les Bretons ici présents, de sortir pour la première fois plusieurs bassins versants des zones d'excédent structurel.

S'agissant des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE), nous avons formulé des propositions de simplification des procédures qui ne remettent pas en cause les objectifs environnementaux. Nous avons ainsi instauré un régime d'enregistrement, intermédiaire entre la déclaration, qui est la procédure la plus simple, et l'autorisation, qui nécessite une enquête publique. Ce régime permet au préfet de mener sa propre enquête, de répondre aux injonctions et de satisfaire aux normes environnementales sans ouvrir d'enquête publique, ce qui fait gagner beaucoup de temps. Il fonctionne aujourd'hui de manière très satisfaisante dans la filière porcine, d'après les informations que me fournissent les préfets, particulièrement en Bretagne. Surtout, ce régime n'a pas suscité de recours, contrairement à ce que l'on pouvait craindre. Ainsi, selon le préfet des Côtes d'Armor, 90 dossiers d'enregistrement ont été déposés qui n'ont fait l'objet d'aucun recours et ont permis d'accélérer considérablement la mise en oeuvre des projets. Nous avons donc étendu cette procédure aux volailles et nous allons l'étendre à la viande bovine, répondant ainsi à une demande très forte des professionnels, de sorte que toutes les filières seront couvertes.

Selon les conclusions d'une mission qui s'est rendue en Allemagne avec un vice-président de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture (APCA), si les délais officiels d'instruction des dossiers ICPE sont de douze mois en France et de sept mois en Allemagne, les délais constatés – à la fois par le ministère de l'agriculture, par celui de l'environnement et par les professionnels, représentés par l'APCA – vont jusqu'à deux ans en Allemagne, contre un an en France. Surtout, les coûts sont beaucoup plus élevés en Allemagne ; dans ce pays, les enquêtes publiques sont à la charge des exploitants qui déposent les dossiers.

Au total, loin de surtransposer, nous avons, au contraire, oeuvré à une simplification des procédures que tous souhaitaient.

Nous avons aussi cherché à simplifier et à coordonner les contrôles. Sur ce sujet, la circulaire du Premier ministre du 31 juillet 2015 a repris 95 % des préconisations du rapport sur les contrôles des exploitations agricoles préparé par la présidente Frédérique Massat avec une directrice départementale des territoires et un président de chambre d'agriculture.

J'en viens au plan de soutien à l'élevage – un vrai sujet. Il mobilise fortement les services comme les professionnels de l'agriculture. Les cellules d'urgence installées en mars 2015 ont oeuvré à mesure que les plans se succédaient et se complétaient. Les mesures incluent des baisses des cotisations à la mutualité sociale agricole (MSA), l'appel au fonds d'allégement des charges (FAC) et plusieurs remises fiscales. À ce jour, si l'on tient compte de l'ensemble des dispositions fiscales, sociales et bancaires, ce sont 246 millions d'euros qui ont été versés. Ils se décomposent comme suit. D'abord, 140 millions au titre du volet social : prise en charge de cotisations à la MSA, possibilité d'asseoir les cotisations sur les revenus de l'année n - 1 plutôt que des trois dernières années, abaissement de l'assiette minimale de la cotisation maladie. En ce qui concerne ensuite le FAC, qui permet la prise en charge des intérêts d'emprunt, 21 000 dossiers ont été traités, soit un peu plus de la moitié des 40 000 dossiers validés en cellule d'urgence départementale, et 75 millions d'euros ont été payés ; il restera donc à verser à peu près la même somme, ce qui porte la mobilisation du fonds à 150 millions environ. L'enveloppe complémentaire de 50 millions d'euros qui s'ajoute aux 100 millions initialement prévus a déjà été distribuée dans les régions. Quant aux remises fiscales gracieuses, en particulier sur la taxe foncière sur les propriétés non bâties (TFNB) et sur les autres impôts directs, elles ont conduit au versement de 31 millions d'euros, pour 70 000 dossiers déposés. Au total, il reste donc 165 millions à payer : le plan de soutien à l'élevage représente environ 400 millions d'euros.

Certains pourront considérer que c'est insuffisant. Mais en Bretagne, par exemple, ce sont 439 éleveurs porcins qui ont été aidés par l'intermédiaire du FAC et des prises en charge de cotisations MSA, pour une aide moyenne de 15 000 euros par élevage. Pour un éleveur laitier, l'aide moyenne est de 5 000 euros. J'ai choisi cette région parce qu'elle intéresse de nombreux députés et qu'elle connaît aujourd'hui de grandes difficultés.

J'en viens au conseil européen des ministres de l'agriculture. C'est la France qui a obtenu que l'on y aborde la crise agricole : l'ordre du jour formel des ministres de l'agriculture établi par la présidence néerlandaise ne prévoyait rien de tel, mais j'ai fait valoir à mon homologue néerlandais qu'une réunion des ministres européens de l'agriculture ne pouvait pas ne pas aborder cette crise qui sévit, non seulement dans notre pays, mais en Europe. Cela a été fait, de manière informelle, pendant deux heures et demie, au moment du déjeuner, ce qui a permis un tour de table assez large au cours duquel j'ai pu mesurer les difficultés auxquelles nombre de pays sont confrontés. Le commissaire européen à l'agriculture a constaté que la situation, dont il estimait en septembre qu'elle pouvait être résolue grâce aux 500 millions d'euros d'aide alors débloqués, était beaucoup plus grave qu'il ne l'avait anticipé, donnant ainsi raison au ministre français. Et, à la suite du conseil, il a adressé un courrier à tous les ministres européens de l'agriculture, invitant chacun à lui soumettre des propositions en vue du prochain conseil des ministres, prévu en mars, afin de dégager des solutions inédites et innovantes au niveau européen.

Je le répète, c'est une crise de marché massive que nous vivons, caractérisée par un excédent d'offre, en particulier dans les secteurs du lait et du cochon. Dans ce dernier secteur, l'excédent d'offre, qui existait déjà, a été aggravé par l'embargo russe – sur la levée duquel j'ai insisté dans le mémorandum que j'ai déposé ; mais je reviendrai sur ce sujet, qui fait débat. Aujourd'hui, l'excédent de porc représente 200 000 à 250 000 tonnes à l'échelle du marché européen, en tenant compte du potentiel d'exportation. Sur le marché du lait, la situation est encore pire. Alors que le prix est déjà bas à l'échelle mondiale, un processus totalement destructeur est à l'oeuvre en Europe : selon une stratégie affichée, une quinzaine de pays continue de produire davantage, de sorte que la production laitière s'emballe ; et plus les prix sont bas, plus certains font du volume parce qu'ils croient ainsi compenser cette baisse, qu'ils ne font en réalité qu'alimenter. Je l'ai dit au conseil des ministres européens : on ne peut pas continuer ainsi.

Les instruments dont nous disposions pour réagir en pareil cas ne peuvent plus être mobilisés : le dépassement des quotas n'est plus sanctionné puisqu'il n'y a plus de quotas. Il sera donc difficile de trouver des moyens de maîtriser la situation et de signifier qu'il ne faut plus accroître la production, d'autant que les possibilités de l'écouler sur le marché international, en particulier chinois, ne sont pas au rendez-vous ou ne sont plus à la hauteur de ce que nous attendions il y a peu encore. Et ce n'est pas moi qui le dis : c'est l'Observatoire européen du marché du lait. La situation n'est pas tenable.

Je me suis efforcé de le rappeler et de faire en sorte que nous ayons à ce sujet une discussion très claire avec tous les pays européens. J'ai d'ailleurs constaté qu'une douzaine de pays étaient dans la même situation que nous, notamment en ce qui concerne le lait, et partageaient nos inquiétudes : l'Allemagne, l'Italie, la Pologne, la Belgique, le Portugal, l'Irlande, la Roumanie, la Bulgarie, la Lettonie, la Slovaquie, la Slovénie et Chypre. L'Espagne et la Pologne ont été particulièrement virulentes, car elles connaissent de très graves difficultés.

Le commissaire a compris cette situation et indiqué, lors de sa conférence de presse, qu'il retenait l'analyse que j'avais faite dès le mois de septembre. Il va donc travailler sur nos propositions et, je l'ai dit, a demandé à l'ensemble des États de lui en faire d'autres. Nous en ferons ; nous ne manquons pas d'idées.

J'en reviens au problème de l'embargo. Soyons honnêtes, il ne dépend pas du commissaire à l'agriculture mais du commissaire au commerce ; ce sera rappelé. Voici, très clairement, quels en sont les termes. Lorsque les Russes ont instauré un embargo sanitaire – je ne parle pas ici de l'embargo diplomatique –, c'était parce que des cas de peste porcine africaine avaient été détectés dans les pays Baltes. C'était certainement aussi une manière d'anticiper ce qui allait se passer en Ukraine quelques semaines plus tard – même si je ne dispose pas d'informations supplémentaires à ce sujet. C'est cet embargo qui est en vigueur aujourd'hui. Les Russes sont prêts à discuter de sa levée, mais ils ne veulent pas qu'elle s'applique à des pays concernés par la peste porcine africaine, ce qui exclut des pays frontaliers de la Biélorussie et de la Russie. En d'autres termes, il s'agirait d'appliquer le principe de régionalisation en limitant la levée aux pays indemnes. C'est ici que le débat devient plus difficile. En effet, les pays exclus estiment que, l'Europe négociant pour eux, la mesure devrait s'appliquer à tout le monde ou à personne. Nous devons réussir à leur faire accepter cette idée très simple : même si la mesure ne concerne que certains pays, sa mise en oeuvre profitera à tous, car elle réduira le volume de produits porcins présents sur le marché européen en permettant d'en écouler une partie sur le marché russe. Ce débat est en cours. La France plaidera pour la levée de l'embargo sanitaire selon le principe de régionalisation.

En outre, j'ai demandé de nouvelles mesures d'aide au stockage privé du lait comme du porc. Je suis d'autant mieux placé pour le faire que les opérateurs français, en particulier bretons, sont ceux qui ont le moins recouru à cette possibilité jusqu'à présent, pour des raisons sur lesquelles nous pourrons revenir. À elles deux, l'Allemagne et l'Espagne ont stocké plus de 40 000 tonnes de porc, contre à peine 2 000 tonnes pour la France.

J'en viens au débat sur les prix, dans le cadre des négociations commerciales avec les grandes et moyennes surfaces. Je l'ai rappelé tout à l'heure dans l'hémicycle lors des questions au Gouvernement, des pressions ont été exercées sur l'ensemble des négociateurs présents dans les box d'achat – où il se passe bien des choses qui ne sont pas toujours acceptables du point de vue réglementaire, d'où la perquisition qui a eu lieu chez un grand distributeur et qui, d'après ce que l'on peut en savoir, devrait déboucher sur des sanctions, ce qui signifie que les règles de négociation n'ont pas été respectées. Nous devons faire en sorte qu'elles le soient.

Nous avons aussi signifié très fortement que l'on ne saurait entamer les négociations par des baisses de prix : il est nécessaire de tenir compte de la situation. Dans l'élevage, en particulier, il faut faire en sorte de maintenir les niveaux observés en 2015 : ce serait le scénario le moins défavorable.

Enfin, des contrôles renforcés ont été annoncés par M. Emmanuel Macron ; ils ont débouché sur la perquisition à laquelle je viens de faire allusion. Rappelons que la loi dite « Macron » durcit les sanctions applicables en cas de manquement, en portant l'amende encourue à 5 % du chiffre d'affaires.

La grande distribution et les industriels ont tous leur part de responsabilité vis-à-vis des producteurs et des éleveurs ; ils doivent l'assumer ensemble, car ce sont eux qui négocient dans les box d'achat. J'ai noté que plusieurs enseignes avaient publié des communiqués dans lesquelles elles se disaient tout à fait disposées à maintenir les niveaux des prix de l'an dernier, en particulier une grande enseigne bien implantée en Bretagne.

Je suis également satisfait que la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution (FCD), qui regroupe les enseignes de la grande distribution, ait accepté la création d'un fonds de 100 millions d'euros qui appuiera spécifiquement la filière porcine. Ce geste faisait depuis plusieurs mois l'objet d'une négociation, engagée après la fermeture du marché de Plérin : auparavant, la tenue des prix était l'essentiel ; lorsque ce n'est plus cette logique qui a prévalu, la négociation a pu reprendre. Nous nous sommes efforcés de la faciliter, en particulier par l'avis rendu par l'autorité de la concurrence, qui a validé le « fonds porcin ». Il appartient désormais aux professionnels de gérer ce fonds.

Il est un aspect à propos duquel M. Emmanuel Macron et moi-même avons exercé une pression amicale. Nous disposons d'un véhicule législatif : la loi dite « Sapin 2 ». Nous avons donc prévenu toutes les parties prenantes – industriels et grands distributeurs – que nous organiserions une réunion à l'issue des négociations commerciales, c'est-à-dire après le salon de l'agriculture, en mars, pour leur permettre de formuler des propositions concrètes ; si elles ne le font pas, nous nous en remettrons à la loi pour garantir que, lors des négociations, on tienne compte des conséquences de la fixation des prix pour les producteurs. Nos interlocuteurs ont immédiatement protesté contre cette idée, qui nous renverrait, selon eux, à l'ère soviétique ! Eh bien, s'ils veulent éviter cela, qu'ils nous fassent des propositions, car nous ne pourrons pas en rester non plus au régime purement libéral, qui n'est pas plus efficace. La menace est très claire. Je vous en avais parlé lors du précédent débat.

Il faudra aussi intégrer aux dispositions de la loi Sapin 2 la non-cessibilité des contrats laitiers, voulue par le Sénat. Il va de soi que les producteurs qui ont conclu un contrat avec une laiterie souhaiteraient pouvoir le valoriser ; mais le leur permettre conduirait à renchérir le coût de l'installation pour les jeunes agriculteurs, comme l'a fait la marchandisation des quotas laitiers. Et l'on viendra sans doute demander à l'État de compenser ce renchérissement. Voilà pourquoi j'étais d'accord avec le Sénat et avec ceux qui, ici même, défendaient cette mesure.

Toujours dans la loi Sapin 2, nous allons renforcer les contrôles visant les entreprises qui refusent de publier leurs chiffres. C'est aujourd'hui le cas de grandes entreprises du secteur de l'abattage ou du lait dont on sait par ailleurs – grâce aux informations dont on dispose sur les autres entreprises du secteur, surtout laitier – qu'elles gagnent de l'argent. Il n'est pas question de leur reprocher ces gains : si certaines de nos entreprises réussissent bien, si nous avons en France trois des plus grandes entreprises laitières au monde, tant mieux ! Mais, dans le contexte que nous connaissons, chacun doit contribuer à l'effort qui permettra d'éviter la catastrophe. Or les sanctions actuellement applicables sont si légères que les entreprises ont intérêt à ne pas publier leurs résultats, un peu comme les navires pour qui il valait mieux dégazer en pleine mer quitte à payer l'amende qu'aller le faire dans un port.

J'en terminerai par l'étiquetage obligatoire. Après le « décret Le Fur », brandi en pleine séance publique, je vous présente ce soir le « décret Le Foll » officiel ! M. Le Fur, comme souvent, a nourri le débat d'informations fausses afin de jeter le doute sur l'ambition qui m'animait. Le « décret Le Fur » occupait à peine une page : celui-là en compte plusieurs. Il vous a été distribué. J'en ai parlé à la Commission européenne et aux commissaires. Parmi leurs objections figurait l'argument suivant : certes, les consommateurs souhaitent la traçabilité des produits transformés et l'étiquetage obligatoire de l'ingrédient principal – ils le disent clairement, y compris à l'échelle européenne –, mais cela leur coûterait plus cher et pèserait sur leur pouvoir d'achat, qui est une priorité pour la Commission européenne. J'ai indiqué que nous étions prêts à faire une expérimentation : nous verrons bien si cela coûte effectivement plus cher. Tel est l'objet du décret qui vous a été distribué.

Ce décret, nous nous sommes efforcés de le rendre compatible avec les exigences européennes comme avec la législation française. Il impose l'obligation d'étiquetage de l'origine des produits transformés aux entreprises françaises – et non aux entreprises européennes, sans quoi nous aurions perdu d'avance, car nous nous heurterions à la réglementation européenne. Au contraire, nous avons ici un texte bien calé, cadré, qui apporte la solution souhaitée au problème abordé dans le débat sur l'origine. Nous ferons encore plus d'efforts en matière de traçabilité avec le logo « Viandes de France » : cet élément essentiel d'identification de l'origine des produits a du succès, il commence à se répandre dans la grande distribution et il est bien repéré par les consommateurs. Il suffit de se rendre dans une grande surface pour constater, même sur les produits transformés, le jambon par exemple, la visibilité de ce petit hexagone tricolore. De fait, nous avions demandé aux acteurs de la grande distribution de promouvoir ce label par leurs pratiques d'achat ; il y a eu une évolution, et c'est très important. Le décret viendra compléter la démarche ainsi engagée.

En conclusion, il y avait dans la proposition de loi en faveur de la compétitivité de l'agriculture et de la filière agroalimentaire des éléments dont il était tout à fait légitime de débattre : la compétitivité et les baisses de charges, la non-cessibilité des contrats laitiers et l'étiquetage. Sur ce dernier point, l'idée de la proposition de loi était qu'un consommateur puisse interroger l'industriel sur l'origine des viandes. Avec le décret, la traçabilité ne fait plus l'objet d'une simple demande mais d'une obligation. Le débat aura été utile. En outre, je l'ai dit, de nouvelles propositions viendront compléter demain les baisses de charges dont je vous ai parlé. Au total, nous avons là un dispositif global dont je suis convaincu qu'il résout le problème posé, mais en partie seulement. Pour le reste, les prix sont bas. Sachez que le prix des céréales va tomber à 140 euros la tonne, voire moins. Et ce n'est pas le ministre qui en a décidé ! Je le dis à l'intention de ceux qui se demandent ce que fabrique le ministre et qui pensent qu'au lieu de faire le porte-parole, il devrait s'occuper du prix des céréales. Leur prix a baissé, mais ce n'est pas de ma responsabilité.

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