Intervention de Antoine Herth

Réunion du 16 février 2016 à 21h30
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAntoine Herth :

Je m'exprimerai au nom du groupe Les Républicains.

J'ai été d'abord surpris que l'ordre du jour de cette audition soit limité au projet de décret relatif à l'étiquetage, mais M. le ministre a sagement élargi l'objet du débat.

De fait, monsieur le ministre, confirmé à vos fonctions dans le Gouvernement Valls 3, vous retrouvez avec le remaniement une forme de virginité : c'est l'occasion de vous livrer à une déclaration de politique générale agricole pour les mois à venir.

Il n'a échappé à personne que les représentants d'Europe Écologie Les Verts ont fait un retour en force au Gouvernement. Que faut-il en déduire quant à l'orientation générale de votre politique ? Quels gages votre ministère sera-t-il amené à donner dans le cadre de cette recomposition de la majorité ? Allez-vous interdire les insecticides néonicotinoïdes ? Allez-vous geler les projets de retenue d'eau ? Allez-vous renforcer les contraintes de la réglementation sur les nitrates ? Vous venez de nous dire que non, qu'au contraire vous les allégiez ; mais un coup d'arrêt va-t-il être porté à cette politique que vous meniez – ou que vous dites avoir menée – jusqu'à présent ?

La gestion de la crise agricole est, j'imagine, au coeur de la feuille de route que le Président de la République et le Premier ministre vous ont confiée. Au-delà du retournement de marché assez exceptionnel que vous avez décrit et du phénomène de surproduction généralisée, vous évoquez souvent deux autres raisons de cette crise, en renvoyant l'opposition, dites-vous, à ses propres responsabilités.

La première est la loi de modernisation de l'économie (LME). Vous n'en avez pas parlé ce soir ; dommage ! Selon vous, cette loi est la source de tous les désordres qui affectent les relations commerciales entre production et distribution. Or, alors que la gauche a supprimé la TVA sociale dès son accession au pouvoir, en quatre ans, vous n'avez pas touché à la LME. Monsieur le ministre, allez-vous abroger cette loi ?

À propos de TVA sociale, l'article de Libération que vous avez cité et que j'ai pu parcourir ne parle pas du cycle de vie des allégements de charges. La TVA sociale avait l'avantage de faire contribuer les importations de produits – et Dieu sait s'il y en a – à la ressource fiscale, laquelle permettait ensuite de financer les allègements. Ce n'est pas le cas du CICE.

Un autre inconvénient du CICE est la présence d'un interlocuteur supplémentaire. Dans le cadre de la TVA sociale, l'agriculteur discutait avec la MSA, comme il en a l'habitude, et l'on pouvait même imaginer un dispositif d'allégement automatique. De votre côté, vous faites entrer le fisc dans la boucle : ce sont des papiers en plus. Bref, le CICE ne contribue pas à alléger les contraintes administratives.

La seconde raison de la crise, selon vous, c'est la suppression des quotas laitiers. Vous affirmez que c'est l'actuelle opposition qui a décidé la suppression des quotas lorsque la France présidait pour six mois le Conseil de l'Union européenne, en 2008. L'auditeur non averti en conclut que c'est au pays qui préside le Conseil de décider des orientations. Dès lors, puisque vous souhaitez le rétablissement des quotas – une piste qu'il me paraît au demeurant opportun d'étudier sérieusement, vu les désordres provoqués par leur suppression –, quel est le pays qui va décider du retour à une régulation de la production laitière ? Les Pays-Bas, qui président actuellement le Conseil ? La Slovaquie, qui leur succédera à la fin de l'année ? Malte, qui sera chargée de la présidence tournante de janvier à juin 2017 ? Le Royaume-Uni, qui prendra le relais de juillet à décembre ? Je vous fais grâce des suivants. Il ne serait pas inutile, en France, de faire oeuvre de pédagogie à propos du fonctionnement du Conseil européens et de la manière de dégager des majorités pour prendre des décisions à l'échelle de l'Union européenne.

On retrouve le même problème en matière d'étiquetage. Vu de Bruxelles, l'acquis majeur de l'Union européenne est son marché intérieur. Ainsi, beaucoup de produits de grande consommation affichent le logo CE, qui signifie que le fabriquant s'engage à respecter la réglementation européenne. On comprend donc qu'en dehors des IGP-AOP (indications géographiques et appellations d'origine protégées), l'idée d'un étiquetage national ne s'intègre que difficilement à la doctrine européenne – j'emploie ce terme à dessein : c'est bien d'une posture qu'il s'agit. En réalité, le choix des consommateurs continue de dépendre très fortement de l'identification à un territoire qu'ils connaissent et dans lequel ils se reconnaissent ; ce territoire est national, voire régional. Dès lors, comment allez-vous faire accepter à la Commission européenne ce qu'elle va considérer comme une entorse à sa doctrine ? À cet égard, l'article 5 de votre décret, excluant de son champ d'application les produits fabriqués ou commercialisés dans un autre État membre, sera-t-il suffisant ? Et que pensez-vous de l'idée promue par le Sénat de contourner la difficulté par un droit à l'information du consommateur ?

Du point de vue de Bruxelles, il faudrait accroître la part des IGP-AOP. Or, dans la charcuterie, en France 3% de la production est sous IGP, contre 23 % en Italie. Comment aller plus loin ? Existe-t-il des blocages ? Si oui, lesquels ?

Je conclurai en soulignant que nous venons de vivre un moment extraordinaire : trente-cinq minutes d'intervention de M. Stéphane Le Foll pour remplacer le débat auquel nous n'avons pas eu droit dans le cadre de la proposition de loi en faveur de la compétitivité de l'agriculture, voilà qui a un petit goût de repentance !

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