Intervention de Bérengère Blin

Réunion du 17 février 2016 à 9h45
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Bérengère Blin, directrice adjointe du Parc amazonien de Guyane :

Je vais vous présenter la problématique de l'orpaillage illégal sur les territoires du Parc amazonien de Guyane.

À l'heure actuelle, l'orpaillage illégal est le principal impact social et environnemental sur ces territoires. En ce sens, il concerne pleinement les missions du Parc amazonien de Guyane définies par le code de l'environnement depuis 2007, à savoir contribuer au développement des communautés d'habitants qui tirent traditionnellement leurs moyens de subsistance de la forêt et des fleuves.

Le contexte est hors normes. Dans ce département, dont la superficie est équivalente à celle du Portugal, les liaisons sont extrêmement longues, puisque certains bourgs ne sont accessibles qu'après plusieurs jours de pirogue, ou d'avion puis de pirogue. Ce territoire est très riche en biodiversité et en paysages. Il est riche d'une culture, d'une histoire et de modes de vie originaux encore fortement inféodés au milieu naturel. Il est marqué par un fort multiculturalisme et des dynamiques démographiques et migratoires. Autre caractéristique importante : il partage plusieurs centaines de kilomètres de frontières avec le Brésil et le Suriname, notamment avec les deux fleuves que sont l'Oyapock et le Maroni.

Les modes de vie en Guyane sont encore intimement liés à la forêt et au fleuve.

En 1990, un protocole de suivi des impacts cumulés de l'activité aurifère illégale a été mis en place, notamment par l'Office national des forêts (ONF). Le premier impact était la déforestation, ce qui rendait, au début du moins, le suivi relativement aisé.

Les surfaces impactées étaient très faibles avant les années 1990, date à laquelle ont été créées les premières réserves nationales. L'occupation s'est alors fortement étendue pour s'accélérer en 2004 jusqu'à aujourd'hui. En 2007, le Parc amazonien a été créé et, en 2008, l'opération HARPIE a été mise en place sous contrôle du préfet et du procureur.

Les dynamiques varient, selon les années, en fonction du cours de l'or et des opérations de lutte. Par contre, l'activité est toujours localisée dans les mêmes secteurs, qui correspondent logiquement aux grands secteurs filoniens. Après la densification à partir de 2004, l'impact perdure malheureusement : les filons sont identifiés, il y a des phénomènes de « repasse » – les garimpeiros reviennent dès qu'un site a été exploité – et les modes d'exploitation, de vie et d'organisation des garimpeiros en forêt s'adaptent : ils disposent désormais de très bons systèmes de communication pour informer sur les opérations à venir.

Le principal problème tient au fait que l'orpaillage illégal touche un territoire qui est occupé, même s'il est isolé. La carte de droite montre les territoires où vit la population guyanaise et qu'elle occupe pour la chasse, la pêche, les loisirs, l'abattis. Ces zones recèlent un potentiel touristique et scientifique très riche. De ce fait, il se crée des conflits d'usage entre les secteurs en rouge et les secteurs en jaune, sachant que l'orpaillage illégal entraîne une pollution des cours d'eau, une insécurité, des effets néfastes pour la santé et une raréfaction de la ressource.

L'Inini, affluent principal du Maroni, est très pollué par les matières en suspension générées par l'exploitation aurifère en amont.

Au sein du parc, vaste de 2 millions d'hectares, 80 agents seulement sont affectés, ce qui vous laisse imaginer la difficulté de leur tâche face à une exploitation dans les cours d'eau et sur la roche.

Lors des opérations de renseignement, les garimpeiros n'hésitent pas à jeter leur moteur dans la « crique » en entendant les hélicoptères arriver ; autrement dit, ils cachent le matériel.

Les barges d'exploitation servent à pomper la terre pour l'exploiter puis la relarguer.

La rivière Camopi est le lieu de vie de nombreux habitants, mais aussi leur lieu de pêche, d'abattis, etc., où la pollution, bien visible sur la photo, entraîne une raréfaction des ressources. Sur l'autre rive de l'Oyapock, côté brésilien, se trouvent des commerces chinois qui vendent tout et n'importe quoi pour orpailleur, et des installations de garimpeiros qui leur permettent de surveiller les mouvements des forces de l'ordre et d'être réactifs quand celles-ci repartent – d'où un enjeu de tenue de terrain.

En termes d'analyse et de perspectives, il existe un dispositif de lutte contre l'orpaillage illégal. Ce dispositif est nécessaire, mais il atteint ses limites compte tenu de l'adaptation des garimpeiros aux modes de lutte. Dans ce contexte, on peut distinguer deux pistes principales.

Premièrement, des dispositifs d'amélioration.

Il faut travailler, et nous l'avons déjà fait, avec les forces de l'ordre, à l'élaboration de dispositions qui permettent notamment aux agents du Parc amazonien de Guyane d'intervenir sur des saisiesdestructions de matériels utilisés pour l'orpaillage illégal.

Il convient également de centrer la lutte sur des territoires prioritaires comme les bassins de vie, où les fleuves ont un impact sur le mode de vie des populations.

Il faut, en outre, renforcer la coopération transfrontalière policière et judiciaire. L'accord de coopération entre le Brésil et la France, ratifié par le Brésil en décembre 2013, prévoit de réelles mesures policières et judiciaires, mais, si la France a mis en place un certain nombre de mesures concrètes, c'est moins évident côté brésilien. La coopération doit également inclure le Suriname.

Deuxièmement, des dispositifs d'exception.

D'abord, il faudrait étendre au sein des personnels de la gendarmerie les compétences saisies-destructions. En effet, un des facteurs limitants actuellement est la disponibilité des officiers de police judiciaire ; les agents du Parc le sont dans la limite de leurs compétences sur certains secteurs, mais ils sont très peu nombreux. L'élargissement de ces compétences à certains personnels de la gendarmerie permettrait de multiplier par deux ou trois la capacité d'action judiciaire pour saisir et détruire le matériel.

Ensuite, certaines infractions mériteraient d'être requalifiées, comme la complicité d'orpaillage illégal qui reste pour l'instant une infraction secondaire : tant que le responsable de l'orpaillage illégal n'est pas appréhendé, les choses sont difficiles.

Enfin, il faudrait faire en sorte que le retour des garimpeiros au Brésil soit assorti de sanctions. Pour l'heure, les garimpeiros appréhendés rentrent au Brésil, mais repartent immédiatement côté Guyane, car aucun dispositif de coopération judiciaire ne permet de les sanctionner dans leur propre pays.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion