Les Hurleurs de Guyane vous remercient de leur offrir une tribune pour témoigner sur ce dramatique problème, l'orpaillage illégal, qui gangrène notre territoire. Madame la députée de la deuxième circonscription de Guyane, Chantal Berthelot, nous vous remercions de votre écoute et de votre disponibilité, ainsi pour votre soutien et votre engagement de longue date sur le sujet.
Ma famille s'est installée en Guyane en 1979. Après avoir créé en 2010 une association de protection de l'environnement citoyenne, Mo Péyi Prop', je suis devenue en 2013 cofondatrice du collectif citoyen Les Hurleurs de Guyane. Depuis mars 2014, je suis conseillère municipale de Kourou et vice-présidente de la communauté de communes des Savanes, en charge de l'environnement, du développement durable et des déchets.
Les fondateurs du collectif Les Hurleurs de Guyane ont lancé leur premier appel au rassemblement citoyen, le 20 novembre 2013, après avoir été informés de la venue en Guyane du Président Hollande en décembre de la même année. À cette date, on dénombrait plus de 400 sites d'orpaillage illégal sur l'ensemble du territoire. Le 13 décembre 2013, à l'appel des Hurleurs de Guyane, plus de 1 000 personnes se sont rassemblées place des Palmistes à Cayenne pour hurler leur désaccord et leur crainte face à cette tragédie à laquelle nous assistons impuissants. Nous comptons aujourd'hui près de 4 500 sympathisants, plus de 40 associations, entreprises et partis politiques guyanais, tous réunis autour d'une charte précisant le cadre et les objectifs de notre mouvement : un collectif citoyen, non violent, apolitique, qui demande la restauration de l'État de droit et l'éradication de l'orpaillage illégal en Guyane.
Ce fléau, qui sévit depuis vingt-cinq ans et a connu une forte explosion au début des années 2000, est extrêmement perturbant, non seulement pour la société, mais aussi pour l'environnement, sans compter qu'il soulève de sérieuses inquiétudes en matière de santé publique et même pour la paix sociale.
En plus d'être responsable d'une fuite massive de capitaux et du pillage en règle de toutes les ressources, ce phénomène apporte en effet avec lui son lot de conséquences dramatiques : déforestation, destruction des biotopes, abus de la chasse, de la pêche et de la cueillette, pillage des cultures vivrières, mise en danger des populations vivant dans ces territoires. Au-delà de la pollution des cours d'eau, l'orpaillage illégal génère des pollutions diverses liées à l'activité anthropique : destruction de la biodiversité, pollution et lessivage des sols, libération du mercure naturel, usage illégal du mercure pour l'amalgame de l'or, bio-accumulation de ce même mercure dans les chaînes trophiques, ce qui pose de sérieux problèmes de santé publique.
L'orpaillage illégal engendre une société violente, avec des garimpeiros déracinés, souvent démunis, parfois esclaves. Il est générateur d'épidémies, de déscolarisation, de prostitution, de contrebandes, de mafias agressives en tout genre, qui engendrent des fous furieux comme Manoelzinho qui n'hésita pas à ouvrir le feu, tuant deux militaires à Dorlin en 2012 lors d'une mission des forces armées. La légende de l'or qui rend fou n'en est plus une chez nous…
À l'époque de la visite de François Hollande, il était permis de fonder de grands espoirs sur les moyens à venir pour éradiquer ce fléau, car le Président de la République avait indiqué à sa descente d'avion le 13 décembre 2013 : « Nous irons jusqu'au bout de ce combat ». Ce même jour, nous avions obtenu une audience avec un conseiller du Président, à qui nous avions remis un mémo sur le sujet et demandé des renforts et un soutien financier dans cette lutte. Depuis, nous assistons aux conférences de presse organisées tous les six mois par la préfecture de Guyane qui présente un bilan de la lutte contre l'orpaillage illégal. Nul ne peut nier les nombreuses actions réalisées ces deux dernières années ainsi que les excellents résultats obtenus, malgré une situation extrêmement complexe et changeante.
Il est légitime de saluer le travail important, les efforts de coordination et les moyens mis en oeuvre par l'ensemble des acteurs au service de cette lutte. Pourtant, il est très difficile pour nous de nous satisfaire de ces résultats et nous demeurons très inquiets quant à la pérennité de ces efforts. Certains indicateurs s'opposent et nous permettent de décrire le dispositif mis en place comme étant incomplet, voire insatisfaisant. Quand les informations officielles nous annoncent d'excellents résultats, voire d'excellentes nouvelles, les témoignages recueillis par le Collectif sont peu rassurants : formation d'îlots de sable dans les courbes des fleuves, modifiant leur tracé ; eaux turbides ; abattis vidés ; présence de barges sur le fleuve Maroni, les pilotes jouant avec la frontière fluviale franco-surinamienne.
Lors du dernier bilan de la lutte contre l'orpaillage illégal, Mme Milka Sommer-Simonet, membre de l'organisation des Amérindiens de Guyane et des Hurleurs de Guyane, a transmis un message des autorités coutumières des villages amérindiens du Sud Maroni et du Grand Man Amaïpoti, la haute autorité traditionnelle en pays amérindien, pour indiquer que ce fléau continue de détruire leur lieu de vie, leur santé et leurs ressources, et pour appeler une fois encore l'État français à l'aide, sans être dupes de sa capacité à tenir ses promesses.
Concernant la santé, le mercure est un neurotoxique puissant, sa forme volatile étant la plus dangereuse. Transformé en méthylmercure, il se fixe d'abord sur la flore. Puis, via la chaîne trophique, la bio-accumulation se met en place jusqu'au consommateur final, l'homme. Lorsque celui-ci n'a pour apport protéinique que du poisson, il devient impensable de s'en passer. On demande aux populations guyanaises de changer de régime alimentaire pour éviter la bio-accumulation du mercure. Mais pour se nourrir de quoi ?
Des analyses récentes sur le mercure chez l'humain dans le sud du Maroni ont été réalisées récemment par l'association Solidarité Guyane : les résultats sont alarmants. Nous ne comprenons pas pourquoi aucune étude scientifique officiellement mandatée et indépendante n'a été réalisée afin de vérifier l'exactitude de ces résultats. Quid du principe de précaution ? Les risques sont grands de voir se développer des maladies incurables, de voir naître des enfants déficients qui deviendront des adultes dépendants. Les professionnels de santé et l'agence régionale de santé mènent des actions de sensibilisation et de suivi des femmes enceintes et des jeunes enfants, mais nous n'avons aucun moyen de connaître les conclusions de leurs analyses. La Protection maternelle et infantile ne souhaite pas publier les résultats, arguant qu'il s'agit d'études personnelles et donc confidentielles. Pourquoi aucune étude épidémiologique n'a-t-elle été menée depuis dix ans, la dernière sur le mercure datant de 2005 ? Dans ces conditions, comment pouvons-nous prendre la mesure de l'impact sur la santé des peuples vivant dans les zones touchées ? Nous ne comprenons pas pourquoi tant de mystère et tant d'opacité.
Concernant les sites, le dernier bilan officiel recense 204 sites actifs, mais ne pointe aucune évolution dans le Parc amazonien de Guyane. Tous les acteurs concernés ont pourtant reconnu que plus de la moitié, soit environ 100 camps d'orpaillage illégal, se trouvent au sein même du Parc amazonien de Guyane – plus grand parc national français et européen. Quelle crédibilité pour cet outil de préservation de l'environnement s'il demeure gangrené par un tel fléau ?
Nous nous inquiétons aussi des moyens matériels dont disposent les forces armées engagées dans la lutte contre l'orpaillage illégal pour continuer à fermer les sites illégaux, maintenir la pression sur les sites fermés et les occuper pour certains. Nos militaires ont d'autant intérêt à rester en alerte que la cible est organisée et changeante. Or les témoignages nous informent que les sorties de terrain, en plus d'être dangereuses, sont longues et difficiles, et que les effectifs sont insuffisants pour permettre un repos correct des hommes au retour des missions. Qu'en est-il alors de la pérennité de ces missions et de ces avancées ? L'état d'urgence décrété par la France sera-t-il un levier pour renforcer les moyens en Guyane ?
Compte tenu de tous ces éléments intentionnellement généralistes, je me permets à présent d'appeler votre attention sur la nécessité de lever le flou sur l'efficience des dispositifs mis en place et sur la volonté de l'État d'endiguer cette menace. Car enfin, cette menace dure depuis plus de vingt-cinq ans et, plus de deux ans après l'engagement du Président Hollande, les Hurleurs de Guyane existent toujours – notre mouvement sera dissous lorsque l'orpaillage illégal aura été éradiqué. Afin de lever certaines opacités et mettre un terme aux dissonances entre, d'une part, les données factuelles, mais invérifiables, des bilans officiels, et, d'autre part, les constats et le ressenti des populations locales, en particulier les Amérindiens et les Bushinengués, le collectif citoyen des Hurleurs de Guyane demande la mise en place d'une mission d'information parlementaire, indépendante du ministère de la défense, chargée d'évaluer l'efficacité des efforts de lutte contre l'orpaillage illégal et la pertinence des moyens mis en oeuvre en termes quantitatifs, mais aussi et surtout en termes qualitatifs.