Il faut bien comprendre que le nombre de sites actifs est perpétuellement changeant. Le dispositif de suivi, l'Observatoire de l'activité minière, est abondé par les données des partenaires du dispositif HARPIE : gendarmerie, forces armées de Guyane, ONF, Parc amazonien. Cet observatoire est régulièrement amélioré, un travail étant actuellement mené pour introduire la notion de « dormance » des sites, ce dont je me réjouis. Les garimpeiros sont très astucieux et réactifs, si bien qu'ils peuvent très rapidement réactiver un petit site dont le matériel a été jeté ou caché en forêt. Plutôt que déclarer les sites inactifs, un classement en site « dormants » donnerait une idée du niveau d'activité et du potentiel de réactivation. Les critères seraient donc plus simples : un site inactif serait clairement un site abandonné, où l'herbe a repoussé sur les talus et où la pollution dans les cours d'eau n'est plus visible.
Si l'activité s'arrête, la pollution s'arrête-t-elle ? Cela dépend de la localisation. Quand on touche au lit d'un cours d'eau, la pollution reste importante tant que le site est ouvert, car à chaque épisode pluvieux, la décharge de matières en suspension se poursuit. Ainsi, des sites désertés par les garimpeiros continuent de polluer pendant plusieurs mois, voire plusieurs années. En 2008, une de nos études a montré que, lorsqu'un cours d'eau était impacté par des pollutions aux matières en suspension pendant longtemps, ou par épisodes chroniques de plusieurs jours, la diversité biologique changeait, par exemple les poissons carnassiers – nourriture principale des populations – disparaissaient au profit de poissons de vase, voire par rien du tout…
Les voies d'approvisionnement sont identifiées et fluctuent selon les saisons. Quand les niveaux d'eau sont élevés, l'approvisionnement se fait via les fleuves, les grands connecteurs – il existe les connexions entre les bassins de l'ouest et les bassins de l'est, notamment par l'Inini, gros affluent du Maroni – et ce sont souvent des pirogues qui passent. Les forces de l'ordre mettent en place des barrages flottants, mais les pirogues n'hésitent pas à charger ces barrages quand les niveaux d'eau sont trop élevés, ce qui pose un problème de sécurité pour les militaires. Quand les niveaux d'eau baissent, se mettent en place parfois des réseaux d'approvisionnement par mobylettes – c'est le cas pour le Maroni. Il est très facile de se procurer des mobylettes en face, au Suriname. Cela implique un niveau de complicité local – système analogue au trafic de stupéfiants dans certains secteurs de l'Hexagone. On assiste donc à un basculement d'une population, lassée de voir sa ressource pillée, qui se met aussi à trafiquer. Lutter contre ce système de livraison en mobylettes suppose d'intercepter tous les petits layons, tous les petits chemins forestiers.
À qui profite le crime ? Des interpellations ont montré l'existence de réseaux brésiliens et surinamais, mais aussi de réseaux d'approvisionnement sur le littoral guyanais même.
Pourquoi la zone intérieure occupée existe-t-elle encore ? Sur le nombre de sites, je vous ai présenté tout à l'heure des données cumulées depuis les années 1990, ce qui ne signifie pas forcément que tous les sites ne sont pas en cours d'exploitation à l'heure où je vous parle. Par contre, nous les comptabilisons toujours car ils recèlent de l'or et pourraient donc potentiellement voir revenir les orpailleurs. Dans cette forêt gigantesque, on ne peut pas mettre un homme tous les trente mètres – d'autant que la visibilité ne dépasse pas huit mètres ! Tous les effectifs des forces de l'ordre de France n'y suffiraient pas. L'enjeu est donc la territorialisation de la lutte, ce qui oblige à faire des choix.
Le cas de Saül est intéressant. Cette commune a pris en 2005 une délibération visant à éradiquer l'orpaillage illégal dans un rayon de vingt kilomètres. En 2008, constatant que cet objectif était trop ambitieux, la délibération a été reprise pour le ramener à dix kilomètres. Les moyens mis en oeuvre par l'État – gendarmes, forces armées, agents du Parc originaires de la commune – ont ainsi permis de circonscrire l'orpaillage illégal, loin du bourg et des sentiers de randonnée. Aujourd'hui, Saül est un fleuron du tourisme en Guyane et accueille 2 000 visiteurs par an. Mais ce genre d'opération y est facile à réaliser car le problème de fleuve frontalier et d'approvisionnement ne se pose pas à Saül. Dans les autres villages, il faut trouver d'autres solutions.
Sur la traçabilité, une étude récente réalisée par le WWF, avec l'appui du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) et la DEAL, montre que le traçage de l'or est réalisable par différents moyens : chimiques, isotopiques ou minéralogiques, ces derniers supposant que l'or soit extrait brut, c'est-à-dire non fondu. L'étape suivante est de constituer une banque de données, ce qui suppose que l'or soit livré pour être échantillonné. Cet or provient soit des exploitations légales – mais la profession minière s'est peu investie dans cette étude –, soit de saisies d'exploitations illégales, mais les bilans HARPIE font état de très faibles quantités d'or ; en revanche, les quantités de mercure et de matériels saisies sont bien plus importantes. Ce sont des points sur lesquels nous continuons à réfléchir.
L'exploitation légale fait l'objet d'un cadre réglementaire : le schéma départemental d'orientation minière, qui détermine les secteurs où l'orpaillage est autorisé. Au sein du Parc amazonien, il existe donc des zones – hors coeur de parc – où l'orpaillage reste possible. La tentative de remplacement de l'activité illégale par une activité légale, au travers de la procédure accélérée d'installation minière menée par la DEAL, ne s'est pas révélée franchement concluante. En effet, les miniers ont besoin d'axes d'approvisionnement faciles et ne souhaitent pas être entourés d'illégaux, d'où un grand découragement et des trafics. Ainsi, l'orpaillage légal n'est pas la réponse unique. La réponse dépend du secteur. Pour Saül, la solution est une occupation du terrain grâce à l'écotourisme. Pourquoi pas de l'écotourisme sur le Maroni ? Les communes de Maripasoula et de Papaïchton élaborent leur schéma de développement touristique et ont identifié des zones qui à l'heure actuelle sont encore impactées, mais pour lesquelles elles nous demandent de mettre l'accent sur la surveillance et l'aménagement du territoire. Cette solution est assez pertinente dans la mesure où, dès qu'un secteur est occupé régulièrement, les garimpeiros ont tendance à aller ailleurs.
Enfin, sur la coopération, l'accord franco-brésilien suppose de transposer dans le droit national de chaque pays les dispositions qu'il contient, à savoir réglementer la recherche et l'exploitation minière, qualifier les infractions et mettre en oeuvre des mesures de coopération policière. Nous travaillons de plus en plus avec le parc national du Tumucumaque, plus grand que le parc amazonien de Guyane ; malheureusement, huit personnes y sont employées et son acceptabilité même pose problème au plan local. L'accord porte sur les aires protégées ou les secteurs à forts enjeux patrimoniaux, mais l'enjeu principal n'est pas le même pour le Brésil et la France. Au Brésil, l'orpaillage illégal est très rare dans le parc du Tumucumaque – il y a seulement des occupations et donc des flux logistiques qui partent en France. D'où un décalage entre la mise en oeuvre des mesures dans le droit français et dans le droit brésilien. De mon point de vue, le Brésil ne manifeste pas une volonté affirmée de lutter contre l'orpaillage illégal, en tout cas nous le ressentons ainsi. Un moyen simple serait de systématiser les contrôles communs entre la France et le Brésil : peu importerait que la pirogue soit française ou brésilienne, les Français partiraient avec les forces de l'ordre françaises et les Brésiliens avec des forces de l'ordre brésiliennes. Mais pour l'instant, un tel dispositif n'est pas mis en place.