Intervention de Chimili Boussoussa,

Réunion du 17 février 2016 à 9h45
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Chimili Boussoussa, :

Je remercie les orateurs d'avoir posé des questions très pertinentes.

Le mercure vient du Suriname, ce qui impose de mettre en place une coopération forte avec ce pays.

Sur le Maroni, la plupart des garimpeiros viennent du Suriname : on en compte environ 3 000 dans le seul village de Bensdorop. Les autorités parisiennes gagneraient à faire une visite sur le terrain : elles pourraient alors constater la nécessité d'une action conjointe entre la France et le Suriname.

Face à la pression des forces de l'ordre les garimpeiros ont adapté leurs méthodes. Alors que les barges travaillaient le jour, elles travaillent désormais la nuit, quand les gendarmes ne contrôlent pas. Ils creusent également des puits dans la forêt, parfois à proximité des villages, alors qu'ils travaillaient sur les « criques » il y a une dizaine d'années. Cette nouvelle donne implique d'adapter continuellement la lutte, en coopération avec les autres pays. Le système de transfert de la richesse est bien rodé. L'or ne reste pas sur place, il part directement au Brésil ou il est stocké dans des banques au Suriname.

Les puits dont je parlais à l'instant représentent un réel danger. La semaine dernière en forêt, nous avons constaté que nombre d'animaux, comme les tortues, sont piégés dans les puits abandonnés et y meurent. Les autorités coutumières ont demandé à la collectivité communale de les aider avec son bulldozer à boucher ces trous à proximité des villages, car nous avons peur que les touristes ne perdent la vie en tombant dans ces puits qui sont souvent rebouchés par les garimpeiros par de simples feuilles et qui deviennent de véritables pièges.

Autrefois, tout le monde – hommes, femmes, enfants – partait à la chasse et à l'abattis. Aujourd'hui, à cause de l'orpaillage illégal, les femmes ont peur d'aller dans leurs abattis ; il y a des pillages et plus personne ne craint la loi française. Les garimpeiros avec lesquels je discute me disent que les gendarmes français sont gentils, mais qu'ils ne peuvent pas faire n'importe quoi au Suriname où la loi est plus dure. Il ne faut pas s'y faire attraper deux fois : on vous fait vite comprendre que ce que vous faites n'est pas bien… Les policiers surinamiens ont davantage de liberté d'action et les malfrats qui portent plainte n'ont pas gain de cause, alors qu'en France, ce sont les gendarmes qui sont inquiétés même lorsqu'il y a infraction !

Nous, autorités coutumières, nous avons notre propre loi. Mais il y a la loi française, que nous devons respecter. S'il n'y avait pas la loi française, nous savons comment régler le problème… Mais nous ne pouvons pas faire n'importe quoi. Nous voulons agir parce que nous nous sentons en danger, mais notre façon de faire est contradictoire avec la loi française. Un membre de notre communauté avait eu un petit souci avec un garimpeiro : il a appliqué la loi traditionnelle et c'est lui qui est maintenant inquiété par la justice française. Nous, autorités coutumières, ne pouvons pas agir selon nos traditions, mais si l'État français nous faisait confiance, pendant un an par exemple, avec un regard plus… distant, nous lui montrerions comment nous pouvons régler les problèmes chez nous…

Enfin, nous demandons à l'État français de donner un peu plus de pouvoirs aux agents du Parc avec lesquels nous travaillons en étroite collaboration, et plus de pouvoirs aux gendarmes pour agir sur le terrain où ils se retrouvent souvent démunis, incapables d'appliquer la solution adéquate sur le terrain, parce que la loi ne le leur permet pas.

Colonel Patrick Valentini. Ce discours illustre parfaitement ce que j'ai dit tout à l'heure sur le fait que nous sommes les « mieux-disants ». Mais évidemment, il ne m'appartient pas de laisser soupçonner quelque tolérance sur ce sujet, il faudrait poser la question aux autorités judiciaires…

En 2015, nous n'avons saisi que 4,3 kg d'or – quand ils s'enfuient, les garimpeiros sauvent d'abord l'or. Nous n'avons jamais réalisé de saisies dépassant 12 kilos. En revanche, la même année, nous avons saisi 80 kilos de mercure, 116 tonnes de vivres, 165 pirogues, 63 quads – l'engin le plus adapté en forêt –, 212 tonnes de carburant, 736 motopompes, 91 concasseurs. Et un concasseur, cela pèse lourd… Pour détruire le matériel sur place, nous utilisons des disqueuses thermiques et des pots thermiques qui font fondre le coeur des engins. Mais, comme nous nous sommes aperçus que les garimpeiros parvenaient malgré tout à réutiliser le matériel, depuis quelques mois, nous transportons sous élingue les concasseurs pour les détruire dans un endroit approprié. Toujours en 2015, nous avons détruit 412 puits – ce sont les sapeurs des armées qui s'en chargent, à l'explosif, pour les rendre inexploitables.

Vous allez finir par croire que les orpailleurs sont plus courageux que nous… Les gendarmes travaillent la nuit, je vous rassure, mais ne font pas d'opération la nuit pour une raison simple : les plus grandes pertes humaines que nous avons connues en Guyane dans le cadre de l'opération HARPIE, ou Anaconda auparavant, étaient dues à des noyades. La nuit, le fleuve est souvent un piège mortel pour les gendarmes, mais aussi pour les orpailleurs. Or nous considérons que la vie des orpailleurs a autant de valeur que celle des autres personnes.

Quelques exemples sur l'orientation de la judiciarisation en matière de lutte contre l'orpaillage illégal. Au premier trimestre 2015, trois chefs de puits qui employaient chacun des dizaines de garimpeiros ont été interpellés, mis en examen et écroués pour des faits d'orpaillage en bande organisée – une première d'enquêteur et de magistrat. En juin 2015, un responsable – a priori orpailleur légal – d'une association professionnelle a été interpellé et mis en examen pour des faits d'orpaillage illégal et de blanchiment : autant dire que les choses ne sont jamais simples… En août 2015, le logisticien le plus important du sud de la Guyane, recherché depuis deux ans, a été identifié et interpellé. En novembre 2015, nous avons démantelé une filière d'immigration irrégulière en Guyane, qui n'avait pas vocation à alimenter exclusivement les chantiers d'orpaillage, ce qui nous a permis de démontrer que le trafic d'êtres humains concernait chaque année environ 3 000 personnes et faisait appel à des complicités en Guyane. Les gens – des Brésiliens et beaucoup d'Haïtiens – venaient en embarcation sur les plages guyanaises avant d'être répartis, pour les uns, dans la zone côtière, et, pour les autres, dans les exploitations pour y travailler comme garimpeiros. Ce dossier judiciaire a duré plus d'un an, avec des dizaines d'écoutes téléphoniques. Autre exemple, moins fréquent, mais qui pourrait signifier un progrès : en décembre 2015, une patrouille a intercepté une barge industrielle sur le Maroni, côté français. Nous avons dû garder cette barge jour et nuit, car nous n'avons pas d'endroit pour stocker ce genre de matériel très lourd…

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