Intervention de Denis Beau

Réunion du 9 février 2016 à 18h00
Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Denis Beau, directeur général des opérations de la Banque de France :

Disons que, pour mener des adjudications sur une dette aussi importante que celle de la France, il faut un outil technique performant, et que notre contribution consiste à fournir cet outil à l'AFT.

Vous nous avez interrogés en deuxième lieu sur les statistiques relatives à la détention de la dette de l'État. Ces statistiques sont établies par la Banque de France à partir d'une collecte réalisée auprès d'établissements teneurs de comptes-titres, dans le cadre de l'élaboration de la balance des paiements, pour des besoins qui nous sont propres, pour la stabilité financière et la politique monétaire.

C'est dans ce cadre que nous publions dans la balance des paiements des données concernant la part de la dette française qui est détenue par des non-résidents. Selon le dernier chiffre dont je dispose, qui concerne le troisième trimestre 2015, cette part est estimée à 63 %.

Quant à la part de la dette qui est détenue directement par les ménages, elle était, toujours au troisième trimestre 2015, très faible puisqu'elle dépassait pas 0,01 %, soit 260 millions d'euros, sur 1 900 milliards d'euros de dette totale : c'est marginal.

J'en viens au programme d'achat de titres de dette publique mené par l'eurosystème – la Banque centrale européenne et les banques centrales nationales. Un élément de contexte, d'abord. Trois programmes sont en cours d'exécution : les deux premiers, lancés en octobre et novembre 2014, permettent d'acheter des actifs privés tandis que le troisième, le plus important, vise les titres publics ; il a débuté en mars 2015. Au total, l'eurosystème achète environ 60 milliards d'euros de titres par mois, en valeur de marché. Selon la communication qui a été faite, il est pour l'instant prévu que ces achats durent jusqu'en mars 2017.

C'est le Conseil des gouverneurs de la BCE qui a décidé de ce programme et qui en a arrêté les principes. Les titres éligibles au programme d'achat de titres publics ont une maturité comprise entre deux et trente ans et proviennent de quatre catégories d'émetteurs : les États souverains de la zone euro, les agences reconnues par l'eurosystème, les collectivités territoriales et les émetteurs supranationaux localisés dans la zone euro. Pour sélectionner ces titres, on applique en outre des critères de qualité de crédit.

Un principe fondamental de fonctionnement de l'eurosystème est la décentralisation. En vertu de ce principe, ce sont les banques centrales nationales qui procèdent à l'exécution des décisions – en l'espèce, des achats de titres. Cette logique très prégnante est guidée par des considérations d'efficacité : les marchés sont complexes et chaque banque centrale dispose d'équipes spécialistes du marché national. Plusieurs règles permettent de coordonner et d'assurer l'exécution de ces achats comme s'ils étaient l'oeuvre d'une seule banque centrale dotée de multiples bras.

S'agissant de l'allocation des achats entre les différentes banques centrales nationales, les montants sont déterminés selon une clé qui correspond à la répartition du capital de la BCE. De ce fait, la Banque de France achète environ 20 % des 60 milliards mensuels. La BCE elle-même procède à des achats, mais pour des montants limités, qui représentent 8 % de l'ensemble des titres à acheter.

Selon les classes d'actifs, ce principe de décentralisation peut être aménagé. En ce qui concerne les titres supranationaux, compte tenu des caractéristiques de ce marché et des compétences des banques centrales nationales, deux banques centrales, dont la Banque de France, procèdent aux achats pour toutes les banques centrales de l'eurosystème.

En outre, un principe de spécialisation s'applique, en vertu duquel chaque banque nationale, en raison de sa connaissance du marché national, est appelée à intervenir sur le marché dont elle est le plus proche. De ce fait, la Banque de France achète au premier chef des titres français, même si nous en achetons aussi d'autres – je viens de mentionner les titres supranationaux.

J'en viens aux modalités d'achat. Lorsqu'il s'agit de déterminer le montant à acheter au cours d'une période donnée, la coordination est un peu plus poussée. Dans ce cas, en effet, l'on s'efforce de peser le moins possible sur le fonctionnement des marchés sur lesquels on intervient. À cette fin, un principe de neutralité est appliqué dans tout l'eurosystème. Ainsi, s'agissant de titres dont la maturité s'échelonne de deux à trente ans, on achète l'ensemble des titres en respectant la maturité moyenne des dettes sur lesquelles on intervient. En outre, les interventions ont lieu tous les jours, tout au long de la journée. C'est aussi ce souhait de limiter leurs conséquences sur la liquidité des marchés qui explique la création de dispositifs permettant de prêter à nouveau les titres achetés dès lors qu'un phénomène de rareté se ferait jour sur le marché.

Au 31 janvier 2016, la Banque de France avait acquis 84,4 milliards d'euros de titres souverains. Sachant que les 8 % achetés par la BCE sont attribués aux différentes dettes de la zone euro en fonction de la répartition de son capital, la dette française achetée dans le cadre du programme depuis son lancement en mars 2015 représente au total 92 milliards d'euros environ, sur 553 milliards de titres publics achetés.

Vous m'avez interrogé sur les conséquences sur les taux d'intérêt des rachats de dette publique par les banques centrales. Leur évaluation précise est un exercice délicat, car de multiples facteurs jouent sur le prix de ces titres sur le marché secondaire ; mais des estimations sont possibles. Je vous renvoie à la récente analyse de l'INSEE à ce sujet, publiée en décembre 2015, et qui tend à montrer qu'à elle seule, l'anticipation du programme par les opérateurs de marché a fait baisser les taux de 80 points de base, ce qui est assez significatif compte tenu du niveau absolu des taux d'intérêt. Il existe évidemment une marge d'erreur. Mais l'on peut considérer que l'effet global des programmes d'achat sur les niveaux généraux des taux sur le marché équivaut à une baisse d'environ 100 points de base des taux directeurs.

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