Intervention de Général Charles Beaudouin

Réunion du 17 février 2016 à 9h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Général Charles Beaudouin, directeur de la section technique de l'armée de terre (STAT :

Cette partie de l'appel d'offres relève entièrement de la responsabilité de la DGA. C'est elle qui va choisir le type de marché : appel d'offres, procédure de gré à gré, etc. À ce moment-là, mes équipes vont renforcer la DGA dans ses propres épreuves de sélection s'il y en a. Pour départager les candidats pour l'arme individuelle future (AIF), mes sous-officiers vont vérifier à Mourmelon le fonctionnement de ces armes en leur faisant tirer 20 000 coups. La DGA va faire d'autres essais : armes dans la boue, dans le sable, etc. Tout cela s'effectue sous la responsabilité de la DGA. Mon officier de programme va s'assurer en permanence que le besoin militaire est satisfait. Il participera à l'élaboration des critères techniques d'évaluation de la DGA, mais ne participera pas aux choix financiers – domaine réservé et très confidentiel de la DGA.

In fine, c'est bien la DGA qui a choisi le Patroller et qui choisira l'AIF retenue. Néanmoins, pour avoir participé aux démonstrations du Patroller, je puis vous dire qu'il correspond parfaitement au besoin militaire. Je suis très content du choix du Patroller parce que je sais que nos soldats auront ce qu'il faut sur les théâtres d'opération. Il y a un partage des tâches, ce qui est normal.

Concernant le HIL, le besoin est avéré dès aujourd'hui, bien avant 2028. Cette opération a subi un décalage très important, ces hélicoptères doivent remplacer des Gazelle de quarante ans d'âge dont je vais devoir proposer une valorisation à l'EMAT pour tenir encore quinze à vingt ans. Il faut aussi remplacer les Alouette III de la marine, les dernières au monde utilisées par notre marine sur le porte-avions. Il faut également remplacer des Fennec, des Dauphin et des Puma qui, pour ces derniers, ont plus de trente ans d'âge. Le besoin est actuel mais, l'opération ayant été reportée, nous allons appliquer des « patchs » sur les hélicoptères pour qu'ils puissent tenir.

Le défi majeur consiste à chercher à remplacer des hélicoptères qui sont aussi légers que la Gazelle et aussi lourds que le Puma par un seul hélicoptère. Nous sommes dans une phase du programme guidée par un objectif d'état-major ; le choix reste ouvert. Va-t-on opter pour cet hélicoptère parfait, à mi-chemin entre le Puma et la Gazelle ou pour deux flottes d'hélicoptères ? La question reste à trancher. Notons que le COS – qui utilise des Gazelle – a ses besoins propres. Des réunions seront conduites dans les prochains mois par les trois armées sous l'égide de l'EMA afin de statuer.

Venons-en aux véhicules légers tactiques polyvalents (VLTP), dont le nom recouvre plusieurs acceptions puisque certains sont protégés et d'autres non. Les VLTP protégés sont de la gamme 4X4, douze tonnes, blindés, avec une charge utile de 2,5 tonnes. Dans les grandes lignes, une illustration pourrait en être donnée par le Sherpa de RTD. Le VLTP non protégé doit remplacer le véhicule léger tactique tout-terrain (VLTT) Peugeot P4. En tant que directeur de la STAT, j'ai rédigé l'expression de besoin et donc orienté le choix du véhicule, mais le programme a été reporté brutalement de 2014 à 2020. Or les véhicules légers tactiques P4 ont trente à trente-cinq ans d'âge. Ils ont connu de multiples conducteurs, dont des appelés des années 1980-1990. Aucun véhicule de cet âge et ayant connu autant de conducteurs n'est encore en service en France. Ils nous coûtent très cher à réparer et le parc est en train de s'effondrer progressivement : le nombre de véhicules disponibles est inférieur à 2 500 et leur nombre continue de baisser à un rythme de plusieurs centaines par an.

Il s'agit de faire quelque chose parce que nos régiments n'ont plus les moyens de se déplacer, par exemple pour aller au champ de tir avec des cibles à l'arrière du P4. Constatant ce report budgétaire, l'EMAT a utilisé le programme 178 pour financer un millier de véhicules en urgence au titre de l'Union des groupements d'achats publics (UGAP) et nous avons choisi le Ford Ranger, à l'instar de la DGA, de mairies ou des pompiers. C'était le seul moyen apte à répondre au besoin exprimé : un véhicule qui puisse emporter une tonne de charge utile, en comptant le poids des hommes – avec quatre gaillards de cent kilos équipés, il reste 600 kg. Vous comprenez bien qu'une Dacia ne pouvait pas répondre au besoin : avec quatre soldats équipés, il ne restait que 150 kg d'emport dans un coffre tout petit. Le seul véhicule possible était ce véhicule acheté au titre du marché interministériel, le Ford Ranger, au prix particulièrement compétitif de 26 000 euros pièce.

Au passage, je tiens à signaler qu'il n'y a plus de fabricants de ce type de véhicule 4X4 en France. Nous allons désormais conduire le « vrai » programme d'achat de 4X4 de l'armée de terre, c'est-à-dire les 4 000 à 5 000 véhicules et non pas le « patch » Ford Ranger. Il convient de lancer ce programme au plus vite ; des premières livraisons sont nécessaires en 2018. J'ai alerté les industriels français pour qu'ils présentent sans tarder des solutions. Cela étant, nous ne faisons que constater les choix de l'industrie automobile : nous n'avons pas de possibilité d'acheter des 4X4 non blindés à capacité d'emport importante de fabrication entièrement française.

C'est mon devoir de conseiller les industriels et patrons de PME. Bien avant les orientations sur le Ford Ranger, seul candidat UGAP répondant au besoin, j'ai pressé RTD de présenter le Nissan Navara, qui est un modèle équivalent, Nissan c'est Renault en quelque sorte, mais ils n'ont pas donné suite.

Cela étant, un autre programme important est le VLTP protégé qui va se fondre avec le véhicule blindé multi-rôle (VBMR) léger de SCORPION au sein d'une seule famille. Cela fait en perspective un marché de 2000 véhicules blindés destinés à remplacer les véhicules d'accompagnement : des VAB qui ne sont pas remplacés par le Griffon, des camions Renault TRM 2000, des véhicules légers de reconnaissance et d'appui (VLRA). Toute cette gamme de véhicules, aujourd'hui très âgée, constitue une part importante de la force terrestre actuelle. Les premières livraisons de ce programme sont attendues en 2020.

Revenons à la liaison avec la DGA TT de Bourges, qui est loin d'être le seul centre avec lequel je travaille. Seulement 40 % de mes équipes du centre de Satory travaillent avec Bourges, par exemple, et cela ne représente que 5 % de leur temps. Installés à Bourges, 60 % des personnels se retrouveraient plus éloignés des centres avec lesquels ils travaillent habituellement, tels que celui de Bruz. J'ai calculé que si la STAT était basée à Bourges, les frais de déplacement augmenteraient de 25 % car il serait plus compliqué et plus cher de se rendre à Canjuers, Mourmelon, ou Mailly. Ma raison d'être est aussi de travailler avec les industriels alors que ne sont localisés à proximité de Bourges que Nexter Munitions et un centre de propulseurs de MBDA. Tous les bureaux d'études de l'industrie terrestre sont autour de Paris : RTD et Nexter sont colocalisés avec la STAT à Satory. Si j'envoie mes équipes de marque à Bourges, ils seront loin des architectes de la DGA qui sont à Balard. À Bourges, la STAT – qui a une action interarmes et interarmées – serait éloignée des centres de décisions ; les déplacements des personnels seraient plus difficiles car, de Paris, nous rayonnons partout en France et en OPEX. L'idée de localisation à Bourges repose sur une ambiguïté, car toutes les techniques terrestres de la STAT n'y sont pas représentées : on n'y fait pas de drones tactiques, de systèmes de communication, d'artillerie sol-air. Localiser la STAT à Bourges aurait induit une perte de service rendu par la structure. J'ai suivi cette affaire de près car je venais d'être nommé directeur de la STAT quand le dossier a été rouvert en 2013.

Vous m'avez interrogé sur de possibles homologues européens. En fait, après avoir cherché à créer des liens en Europe, j'ai constaté que nos alliés n'ont pas la chance d'avoir l'équivalent de notre structure. Je le dis vraiment avec conviction. Les armées alliées sont finalement très inféodées à leur industrie d'armement. Je peux vous dire que pour le lance-roquettes unitaire, il y a eu des soucis avec Krauss Maffei Wegmann que n'avait pas vu, ou qu'avait accepté, l'agence d'armement du ministère allemand de la défense (BWB). Lorsque nous avons évalué une première version du Watchkeeper, le drone tactique de Thales, en 2013, les Britanniques ont accepté tous nos constats. Nous avons un système vertueux et une DGA extrêmement efficiente. Y compris comparé aux Américains avec lesquels j'ai discuté, nous avons une section technique de l'armée de terre qui est très militaire. D'autres armées ont confié beaucoup d'aspects de la gestion de leur programme d'armement à des civils. Le général américain Hix, auquel je présentais la STAT, a été surpris du caractère très militaire de la conduite des opérations d'armement en France. Je pense que nous avons un bon équilibre entre une DGA qui est extrêmement efficiente, des armées qui sont compétentes parce qu'elles ont connu des théâtres d'opération – mes sous-officiers et officiers en viennent –, et les industriels qui restent à leur place. Si l'industriel est trop puissant, il nous livre les matériels qu'il veut bien nous livrer, avec tous les soucis que cela peut créer.

S'agissant d'AUXYLIUM, le modèle prévu utilisera toutes les fonctionnalités d'un smartphone. Le soldat pourra se géolocaliser et être géolocalisé par ses chefs, envoyer des messages, des films et des photos. Le problème de mettre une armée dans une ville, c'est que nos postes radio tactiques ne sont pas faits pour cela. Dans un environnement urbain, le poste radio PR4G ne brouillera certes pas l'activité civile, mais il connaîtra des pertes de portée énormes, aussi bon soit-il. Or il est question d'intervenir partout, y compris en étage et en sous-sol. Ce poste AUXYLIUM, inventé par un officier qui a été depuis muté à la STAT, représente une petite révolution. Repris par la DGA, AUXYLIUM a été érigé en opération d'urgence opérationnelle. Ces tablettes très légères ont un avenir en opération, mais il faut en contrepartie disposer d'une bulle radio, dont la portée reste limitée.

Quant aux drones MALE, ils relèvent du domaine de l'armée de l'Air et je ne suis pas compétent pour vous informer sur le Reaper ou sur le projet de drone MALE européen. Cela étant, je peux vous dire que le Patroller, en arrivant en opération, permettra de soulager le Reaper qui est un drone MALE de surveillance et non pas un drone tactique d'appui direct aux opérations. Le Reaper fait les deux en ce moment car c'est le seul drone sur les théâtres d'opération. Ce n'est pas forcément le travail du Reaper, si tant est que l'on dispose d'un drone tactique sur le théâtre d'opération. Le drone MALE doit surveiller toutes les frontières, les grands espaces, et il vole pendant très longtemps. Le drone tactique, lui, est entièrement dévolu aux groupements tactiques interarmes engagés sur le terrain ; il ne les quitte pas et c'est en quelque sorte leur ange gardien. Voilà la différence entre les deux. Je pense que le Patroller permettra de soulager le Reaper dans cette action, dès qu'il sera en service opérationnel, c'est-à-dire pas avant la fin de 2018. Le Reaper a donc de beaux jours devant lui à moins de projeter le système de drone tactique intérimaire (SDTI).

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