Deux d'entre vous m'ont interrogé sur les munitions de petit calibre et l'absence de filière française dans ce domaine. En fait, la situation est liée à l'histoire du fusil d'assaut de la manufacture d'armements de Saint-Étienne (FAMAS). C'est l'arme de petit calibre la plus exigeante du monde, notamment parce qu'elle a une culasse non calée. Le FAMAS était conçu avec sa munition – dont l'étui était en acier – et Nexter fabriquait les deux. L'arrêt de la filière relève d'un choix de politique industrielle qui se pose dans d'autres domaines. Peut-on maintenir toutes les filières et acheter systématiquement français ? Je ne le crois pas.
Ce marché des armes de petit calibre est assez erratique. Dans les années 1990, Nexter avait racheté la Fabrique nationale de Herstal (FN Herstal), puis il l'avait revendue. L'absence d'investissements durables de la défense dans le petit calibre explique certaines décisions du groupe. C'est un peu use it or lose it : si vous n'avez pas de commandes, comment voulez-vous investir et produire ? N'oubliez pas que l'armée de terre a décru quasiment de moitié dans les années 1990. Elle s'est retrouvée avec un stock de fusils d'assaut suffisant et elle a vécu avec, ce qui est compréhensible puisqu'elle avait des choix drastiques à faire, notamment concernant des Puma qui ont trente-huit ans d'âge. Le FAMAS était là ; il n'y avait pas de raison de le remplacer plus tôt. Le problème est qu'il n'a pas été tellement exporté non plus. Nexter a donc arrêté sa production de fusil et de munitions et la DGA a lancé des appels d'offres pour trouver d'autres fournisseurs.
Pour les munitions du FAMAS, nous nous approvisionnons désormais auprès de la société américaine, Alliant Techsystems Inc. (ATK), qui répond parfaitement à nos besoins. Nous avons essayé plusieurs fournisseurs israélien, brésilien, anglais. L'un après l'autre, ils ont été éliminés parce que le FAMAS exigeait une munition de 5,56 millimètres très performante. Dans les années 2010, nous avons eu un problème avec un lot de munitions acheté auprès des Émirats arabes unis (EAU) qui ne fonctionnait pas du tout avec le FAMAS. Au bout de cinquante mètres, les balles étaient déstabilisées. L'armée de terre, en déficit de munitions, a traversé une crise. La DGA a réagi en diversifiant ses sources. Nous avons eu la chance – je dis bien que c'est une chance – d'avoir une munition d'ATK qui est devenu notre fournisseur principal.
Pour l'AIF, il s'agira d'une arme au mécanisme plus classique que le FAMAS et au calibre OTAN standard, et certains candidats sont déjà très utilisés. Nous aurons donc moins de problème de sources d'approvisionnement pour les munitions. Aurait-il fallu créer une filière française performante ? Car la performance va de soi : nos soldats ont droit au meilleur ; en opération, ils doivent pouvoir tirer précisément à 200 ou 300 mètres ; ils risquent leur vie. On ne peut pas acheter des munitions moins bonnes sous prétexte qu'elles sont françaises. Or la concurrence est exacerbée et le niveau mondial très relevé. Si un Français peut s'aligner, tant mieux pour lui ! S'il est bon, il sera retenu. Et s'il est un peu plus cher que les autres ? Il appartiendra à la DGA de décider, puisque c'est elle qui est responsable des acquisitions. Mais dans un marché en concurrence, il faut justifier le choix d'un fournisseur plus cher que les autres.
Vous m'avez aussi interrogé sur le budget des urgences opérationnelles. En fait, il n'y en a pas. Depuis 2008, nos armées ont conduit quelque 300 opérations de ce type qui ont été financées sur le budget des programmes. C'est le CEMA qui décide de l'urgence opérationnelle, sur proposition des armées. La proposition vient de la base et nous, en tant que centre d'expertise et d'évaluation, nous agissons comme des vigies sur le terrain. Nous sommes donc les premiers à faire ce genre de propositions. Si le CEMA l'accepte, l'opération d'armement est plus rapide mais pas différente des autres : elle passe en priorité, mais elle respecte le code des marchés publics. La décision doit être réfléchie et cohérente car les urgences opérationnelles mobilisent des effectifs et des budgets qui vont être pris ailleurs et elles provoquent parfois l'arrêt de programmes en cours, car il s'agit de livrer très vite aux forces. Si le matériel n'est pas sur étagère, cela va prendre deux, trois ou quatre ans pour le développer. Dans ce cas, l'opération aura perdu son caractère d'urgence. C'est donc quelque chose qu'il faut manier avec beaucoup de précaution. L'Afghanistan a généré ce type d'effets car il s'est agi de réintégrer en urgence des programmes différés pour des raisons budgétaires, comme les tourelleaux télé-opérés qui ont vocation à éviter des pertes humaines tout en appliquant des feux sous blindage.
La doctrine française veut que l'interopérabilité avec nos alliés se fasse au niveau de la brigade et non pas au niveau du régiment ou du groupe tactique interarmes (GTIA). À ces derniers niveaux, c'est un officier allié, détaché en liaison, qui fera l'interface. En conséquence, le nouveau système d'information des armées (SIA) sera bien évidemment interopérable selon les standards de l'OTAN, mais pas le système d'information du combat SCORPION (SICS).